Je viens de terminer une seconde lecture du livre de
Leïla Slimani :
Chanson douce.
Intéressant, mais c'est une écriture que je n'aime pas trop (trop sèche, essentiellement informative, proche finalement d'un type d'émission de télé que l'auteur cite d'ailleurs "enquêtes criminelles" ou autres "faites entrer l'accusé") La construction globale est aussi trop linéaire, j'aime les conduites de récit plus complexes...) Seule qualité à mes yeux, l'auteur nous laisse quelques clefs, sans prescrire de lecture obligée.
Il n'est jamais question dans ce texte de la dimension « psychotique » de l'héroïne. Elle transparaît, bien entendu, et ressemble fortement à la personnalité de cette nounou new-yorkaise condamnée pour l'assassinat des deux enfants qui lui étaient confiés. Ce n'est donc pas sur le terrain de la psychiatrie portera ma critique.
Je reviens sur «
Chanson douce », qui ne ressemble guère à une comptine !. Je l'ai soumis à mon test favori : la seconde lecture. Là, ça ne résiste pas. Les personnages sont aussi caricaturaux que ceux du théâtre bourgeois. le parti pris « objectif », sur le ton d'un rapport de gendarmerie. sec et froid comme un constat ne convient vraiment qu'au personnage principal, et pour cause : c'est une psychotique qui fonctionne avec toute la rigueur d'un délire, même au prix d'une « façade » imparable. Mais les autres personnages, Myriam et Paul (les parents) sont des caricatures qui n'ont pas l'excuse de la voie unique sur laquelle est engagée Louise. Si on cherche une clef, je pense qu'il y en a une, révélatrice, dans la citation par l'auteur de la saisie télévisée citée plus haut, où l'on reconstruit de chic le parcours d'un criminel ou de l'enquête, en réduisant précisément l'enchainement des faits à un récit très déterministe, une voie unique. le seul moment intéressant c'est l'histoire des « morsures à l'épaule» où effectivement il y a là des « pistes à suivre » dont on ne nous donne pas la clef de lecture, et qui ouvre la porte à la liberté du lecteur. Ouf !
Hum, même les caricatures sociales craquent un jour et pourtant l'auteur ne nous parle pratiquement pas (à part les hurlements de la mère) de l'enfer des parents. Et je pense que même un psychotique comme Louise a plus d'épaisseur que ce qu'on nous en montre. Je n'y vois guère qu'une pâle copie du double crime des soeurs Papin (avec lequel le récit de Mme Slimani entretient des réminiscences, ne serait-ce que dans l'idée des marques sur le corps (ici les pinçons, là les morsures au bras ou à l'épaule). La lecture du roman comme critique sociale ne tient pas davantage : les patrons bobos sont ignobles, et la misère de la « nounou » ferait pleurer dans les chaumières comme la chansonnette éponyme… mais même dans l'ironie, rien de crédible !
Je m'en tiens donc au conseil de
Michel Tournier : un bon roman supporte une relecture. Essayez ! Bien sûr, ça prend du temps.
Mais quand on aime... En tous cas il y a des oeuvres qui, elles, supportent l'épreuve et qui n'ont pas le prix Goncourt !
Michel le Guen