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sur 4112 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Avec ce troisième roman, Leïla Slimani sort de sa zone de confort. Elle ouvre ses horizons bien au-delà de la bourgeoisie parisienne, bien au-delà du drame contemporain en lieu clos pour proposer une saga familiale sous forme de trilogie. Ce premier tome s'inspire de l'histoire de ses grands-parents et couvre les années 1946-1956.

Dès les premières pages, son talent de narratrice m'a embarquée, glissant d'un personnage à un autre avec une fluidité remarquable, alternant les points de vue dans une intensité croissante. Et tous les personnages sont absolument superbes car d'une richesse psychologique rare. Ils sont tous terriblement vivants dans leurs contradictions, leurs aspirations, leurs emballements, leurs errements, toujours observés avec bienveillance par Leïla Slimani.

Et tous vivent dans le pays des autres. A commencer par Mathilde, jeune alsacienne qui débarque à Rabat après avoir épousé un spahi marocain venu libérer la France durant la Deuxième guerre mondiale, emplie d'un appétit de vivre assoiffé, rêvant d'aventures à la Karen Blixen. Mais c'est l'opprobre des colons qu'elle rencontre, c'est la solitude, c'est une ferme miséreuse dans laquelle elle vit et c'est un mari qui s'assombrit et s'épuise qu'elle découvre dans une vie plate et morne. Mathilde est la petite soeur d'Emma Bovary. Durant tout le roman, son enjeu sera de trouver la voix de l'émancipation dans ce pays des autres sans heurter la culture de son mari, et pour cela, elle doit perdre son identité facle de Française pour s'en construire une autre, plus personnelle.

Un si beau personnage, c'est déjà un cadeau mais là, tous les autres sont tout aussi passionnants. Amine, son mari, le Charbovary du bled : lui le soldat qui a a touché en France le sentiment fugace d'être quelqu'un et qui une fois au Maroc, redevient un indigène ; il assume mal d'avoir une femme blanche qui ne le comprend pas, il en devient amer et autoritaire, et en même temps il a des valeurs chevillées au corps, le travail, l'honneur, la famille. Selma, sa petite soeur de seize ans, débordant de sensualité et obligée de l'étouffer pour vivre dans le pays des hommes. Et la merveilleuse Aïcha, la fille de Mathilde et Amine, enfant brillante, sauvage, secrète, scolarisée dans une école de bonnes soeurs où elle est la seule non blanche. Métisse dans un pays où il faut choisir son camp

Ce qui est formidable dans ce roman, c'est l'indulgence et la douceur du regard que l'auteure porte sur eux, ils ne sont jamais jugés. Et c'est ainsi qu'elle traite tout l'arrière-plan historique de ce Maroc qui se révolte pour ouvrir la voie à la décolonisation : sans sectarisme, sans manichéisme, mais avec tous les camaïeus de gris, en respectant les aspérités complexes de l'histoire. Il faut assurément beaucoup de maturité et de tolérance pour parler ainsi du monde.
Cette plongée dans l'histoire en parallèle de l'intimité personnelle de ceux qui la vivent est passionnante. Les logiques de domination colon – indigène, homme-femme sont décrits avec une acuité percutante. L'adjectif « romanesque » prend du sens lorsqu'on lit le Pays des autres. Je l'ai dévoré. le talent de conteuse de Leïla Slimani, son écriture fine et précise dénué de lyrisme lourdaud, l'épaisseur de ces personnages, j'ai tout aimé. J'aurais juste voulu m'enflammer, aller au-delà de l'émotion et de la vibration pour palpiter de partout.

J'attends avec impatience le deuxième tome qui sera centré sur les années 1970-80, les années de plomb au Maroc. J'espère y retrouver Aïcha. Et décidément, après Dans le jardin de l'ogre, après Une Chanson douce, après Sexe et mensonges ( la vie sexuelle au Maroc ), Leïla Slimani est vraiment une auteure importante.
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Le pays des autres est un grand livre, plein de souffle, d'une belle et forte simplicité, qui possède tout ce qu'on attend d'une lecture: une vision très personnelle et un souffle épique , historique, une parole décapante et des points de vue contrastés , une richesse d'émotions jointe à  une parfaite rigueur d'analyse. 

Leila Slimani s'inspire de la vie de ses grands parents, Amine et Mathilde, lui colonel des spahis, elle jeune fille gâtée d'une famille bourgeoise alsacienne, unis par une passion sensuelle et forte, et par un rêve héroïque de réussite , à la Karen Blixen, sur les terres arides des environs de Meknès.

Deux très jeunes époux, deux cultures, deux religions, deux éducations radicalement différentes-et l'amour. Mais celui-ci  mis à rude épreuve par celles-là. Sans compter que Mathilde comme Amine sont ce qu'on peut appeler des caractères..

 
Comme Mathilde, sensible et généreuse, comme la farouche et secrète Aïcha née de ces noces "de la carpe et du lapin", comme Selma la jeune et jolie belle-soeur, comme toutes ces femmes "modernes" qui luttent pour leur émancipation qu'elle soit financiere et quasi professionnelle, pour Mathilde, scolaire pour la petite Aïcha  ou sexuelle pour Selma, le Maroc d'après guerre rue, lui aussi, dans les brancards. 

Mais ce sont ceux de la colonisation, ce Protectorat français qui  met sous tutelle ce fier pays qui a cru mériter le respect de la France en combattant à  ses côtés et découvre, après la guerre, l' ignorance et le mépris de cette seconde "mère-Patrie" qui le  traite en enfant mineur ou en femme subalterne, jusqu'à l'éclatement des émeutes nationalistes et indépendantistes de 1956.

On devine que le pays acquerra plus vite son autonomie-sans parler des libertés démocratiques- que les femmes qui y vivent.

Voilà pour la saga familiale et la fresque historique. Mais c'est oublier ce qui fait tout le sel de cette première partie de ce qui est annoncé comme une trilogie.

D'abord, les personnages, jamais figés, jamais d'un bloc, toujours pris sous plusieurs angles pour éviter leur caricature ou leur simplification, et pour rendre, surtout , leur adaptation au réel, si différent de leurs rêves , retracer leur évolution dans un pays lui-même en mutation profonde. J'en veux pour exemple ce Noël alsaco- marocain bouleversant où Amine, le droit et honnête Amine,  va voler nuitamment un cônifère sur les terres du colon voisin pour que Mathilde ait son sapin, où il subit avec stoïcisme et fureur rentrée la condescendance méprisante des commerçants, en venant acheter un costume de père Noël.. .sans réussir à satisfaire les attentes de sa femme qui ne retrouve pas dans cette pauvre mascarade ses souvenirs  de Noël alsacien et pleure de déception devant un cadeau mal choisi tandis que les enfants sont épouvantés par ce père Noël incongru.

Les personnages sont modelés par leur expérience, par les grands événements de leur vie.

Plus tard, Mathilde, encore fantasque et rebelle, toute pleine de désirs inassouvis et d'amères déconvenues, part pour un séjour d'un mois en Alsace où son père vient de mourir. Après le bluff, les mensonges sur sa vie prétendument héroïque et romanesque, au Maroc, elle finit par confesser à une soeur qu'elle n'aime pas la triste vérité, faite de misère, de renoncement, de contraintes et de malentendus. Et par lui dire sa tentation de rester, en abandonnant au pays ses deux enfants.

Elle revient pourtant.

Et c'est, pour moi, un des plus beaux passages du livre : "Tandis qu’elle pénétrait dans la maison, qu’elle traversait le salon baigné par le soleil d’hiver, qu’elle faisait porter sa valise dans sa chambre, elle pensa que c’était le doute qui était néfaste, que c’était le choix qui créait de la douleur et qui rongeait les âmes. Maintenant qu’elle était décidée, à présent qu’aucun retour en arrière n’était possible, elle se sentait forte. Forte de ne pas être libre."

Tout un petit monde, bien campé et extrêmement vivant, fourmille autour de ce couple mixte déchiré, déchirant et pourtant solidaire aux heures graves.

Le récit procède par petites touches, jamais partial, toujours partiel, plein de facettes et d'antennes sensibles, attentif aux petits frémissements, aux grandes colères, aux terribles résignations, aux rêves entrevus et brisés des existences individuelles   comme aux secousses plus vastes et inquiétantes de l'Histoire en marche.

Leïla Slimani excelle à rendre les contrastes de paysages: Meknès avec ses ruelles et sa médina grouillante de vie, ses patios frais, ses odeurs prégnantes,  la campagne avec ses collines arides où toute exploitation agricole tient de l' exploit, la mer magique, dorée et bleue,  comme une récompense rare, un événement..

   Plus qu'une chose en particulier, j'ai aimé ...tout! 

La cohérence entre le particulier et le général, les contrastes subtils, jamais forcés, la vérité renversante des personnages, la simplicité,  le naturel et la force de conviction de la langue dont le lyrisme est toujours discret, les choix,  classiques et justes, sans esbrouffe, sans afféterie, sans tic...

Du grand Slimani. 

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Pluie , vent , éclaircies, fraîcheur, un temps à rester à la maison et à ...lire . Et quelle lecture ! Commencé et ... terminé dans la foulée ce magnifique " Pays des autres " de Leila Slimani .Oui , le mauvais temps n'explique pas tout , et sûrement pas mon intérêt pour ce " voyage " au Maroc avec Mathilde et Amine.
1944 , le bel Amine , soldat marocain de l'armée française passe par l'Alsace avec son régiment et tombe dans les bras de la belle Mathilde . ( non , non , pas celle du " Grand Jacques ) . Un des rares effets bénéfiques d'un conflit aussi meurtrier sur les hommes et..les femmes . Grand amour et , pour Mathilde , un départ vers une vie idyllique dans un pays méconnu mais qui , sous le Protectorat , passe pour un véritable Eldorado ...Il y a bien quelques réticences familiales mais rien ne pourra détourner Mathilde de son destin ...
Au Maroc où ils s'installent , le monde idéal entrevu s'écroule rapidement . Déjà , Amine retrouve un statut que Mathilde n'avait pas " vu " , l'argent manque , Amine ne vivant que pour son travail alors que Mathilde préférerait les " strass et paillettes " et subit les remarques désobligeantes des femmes françaises tout autant que marocaines . le choc culturel est rude pour Mathilde et son couple subit les assauts violents assénés par des us et coutumes ancestraux .....En dire plus serait priver les lecteurs de tout le sel de cette première partie d'une saga prévue en trois volumes .
Ce qui est extraordinaire , c'est l'implication subtile de madame Slimani qui , franchement , sait " rester à distance " , ne prend pas partie mais se montre d'une remarquable bienveillance vis à vis de tous ses personnages dont aucun , vraiment aucun , ne méritera un qualificatif de " gentil ou de méchant " , mais évoluera avec ses convictions et sa sincérité , ses qualités et ...ses défauts . On se plaira à accompagner les personnages dans leurs quêtes, dans leurs interrogations , dans leurs troubles , dans leurs émois. Certaines scènes, comme - celle de la livraison du lit chez le régisseur, nous feront mourir de rire , d'autres nous émouvront ou nous révolteront . Nous nous intéresserons au sort de tous sans que l'auteure ne prenne position , mais nous " donne à voir , à penser " .Il est vrai que cette période d'avant l'indépendance du Maroc montrait une situation de tension croissante entre les uns et les autres , entre français et populations autochtones. On ressent du reste cette tension bien présente mais vécue dans la vie quotidienne bien plus que dans les hautes sphères politiques , absentes du roman . On se trouve plongés au milieu de ces populations qui ne savent plus trés bien où elles sont , où elles vont , qui ne comprennent pas forcément pourquoi il faudrait bouleverser un monde établi et se préparer à tirer , demain , sur les amis d'hier .
Toutes proportions gardées , j'ai retrouvé dans ce roman , la même saveur , la même émotion que dans le brillant " Art de perdre " de la non moins brillante Alice Zeniter et c'est avec impatience que j'attendrai la suite de ce " Pays des autres " . J'aimerais bien savoir si la " greffe va prendre entre le citronnier et l'oranger " offerts par Amine à sa fille Aicha , Aicha qui , du haut du toit , dans les toutes dernières pages , lance un beau et mystérieux regard de défi sur ... Dans ce premier tome , je vous laisse " découvrir " le " fruit obtenu ".
Quant à la forme du récit, que dire ? Que Leila Slimani sait écrire , adapter son style à la situation , jouer avec les mots et faire " vivre " les émotions et nous " transporter " dans son monde ?...Bien sûr mais je ne serais pas très original ....Même si les prix sont parfois décriés, c'est tout de même un " prix Goncourt " , un prix Goncourt qui sait où il va ...et d'où il vient . Un très beau livre , enfin , selon moi . Nul doute que je ne serai pas le seul à le penser .
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Appelé à servir la France pendant la seconde guerre mondiale, le Marocain Amine rencontre en Alsace celle qui, en 1946, deviendra son épouse et le suivra à Meknès. Très mal accueilli dans une société de plus en plus violemment clivée entre colons et autochtones, le couple franco-marocain aura deux enfants et, pendant bientôt une décennie, s'acharnera à transformer une terre aride et rocailleuse en une vaste exploitation agricole. En 1955, au moment où Amine et Mathilde commencent à entrevoir le fruit de leurs efforts, l'insurrection des nationalistes marocains contre le Protectorat français met leur campagne à feu et à sang…


Comme les citranges, ces fruits amers issus de l'hybridation d'un oranger et d'un citronnier, Amine et Mathilde, sans parler de leurs enfants, sont au croisement de deux mondes que tout sépare : la culture et les usages bien sûr, en particulier leur conception de la condition féminine, mais aussi le regard des autres où ne se reflète que leur statut d'intrus, de traîtres à leurs identités, et bientôt d'ennemis de part et d'autre. Comment s'y retrouver quand on finit si intimement écartelé entre deux camps, et que, rejeté de tous, spolié de toute identité, l'on devient partout indésirable et étranger ?


L'histoire de ce couple franco-marocain, inspirée de la vie des grands-parents de l'auteur, est l'occasion de se plonger dans une vaste fresque historique, qui restitue avec véracité, sans parti-pris ni langue de bois, ce que fut la colonisation française au Maroc. Le regard plein d'acuité et d'empathie de Leïla Slimani excelle à faire comprendre toutes les complexités et les ambivalences de la relation d'assujettissement des locaux aux colons étrangers, mais aussi des femmes aux hommes. Dans ce roman couvent les ferments de la liberté, que l'on pressent proche pour le peuple marocain, mais bien plus inaccessible pour les personnages féminins.


A la fois épique et intimiste, ce récit au souffle indéniable et à l'écriture juste et sensible, réussit magnifiquement à faire revivre le Maroc colonialiste d'après-guerre, dans une narration réaliste et captivante qui fait attendre avec impatience les deux prochains volets de la trilogie annoncée. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Mathilde, jeune alsacienne éprise de liberté, épouse Amine Belhaj, un jeune officier marocain de l'armée française, à la fin de la seconde guerre mondiale. le couple s'installe à Meknès, où le jeune homme doit reprendre la ferme achetée par son père dix ans plus tôt.
Celle-ci est à l'écart de la ville, et constituée en majorité de terrains peu fertiles. Commence alors une vie de dur labeur pour Amine, et de rêves brisés pour Mathilde occupée par sa maison, son mari et ses enfants et coincée entre ses désirs de modernité et les traditions marocaines. D'autant que le nationalisme et l'aspiration à l'indépendance secouent le pays...

Le pays des autres est le premier roman de Leïla Slimani que je lis. J'avais apprécié son écriture et son style dans le diable est dans les détails, un recueil de textes courts sur l'intégrisme islamique. Ils font merveille dans cet ouvrage, avec richesse et sans lourdeur, proposant une lecture aisée et fluide.
La plume de l'auteure est ici au service de l'histoire, l'histoire de l'amour et du désamour entre deux individu(e)s, Mathilde et Amine, qui se superpose aux déchirements entre deux peuples, marocain et français, à la fin du colonialisme. Une fiction construite sur de solides fondations historiques.
Le texte est fort et puissant. Il ne nous cache presque rien des vies des deux époux, de leurs rêves inachevés, de la confrontation à une réalité brutale. Il évoque plus discrètement, par petite touche, les luttes pour l'émancipation du peuple marocain, vis à vis de la puissance coloniale, mais également en réaction à des traditions trop pesantes.
Un gros coup de coeur !
Lien : http://michelgiraud.fr/2021/..
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En 1944, Mathilde fait la connaissance d'Amine Belhaj, un Marocain venu combattre aux côtés de l'armée française.
Ils se marient et partent au Maroc, à Meknès, une ville habitée par de nombreux colons français.
Amine et Mathilde partent vers la campagne pour exploiter des terres et une ferme.
La terre est rocailleuse et Amine rencontre beaucoup d'obstacles.
Ils ont deux enfants, une fille et un garçon.
Mathilde déploie beaucoup d'énergie pour sa famille.
Elle veut absolument qu'ils étudient et c'est possible car la ville n'est pas si éloignée.
C'est dans le plus grand dénuement que Mathilde effectue son parcours de femme étrangère au pays, regardée comme une intruse par les autochtones.
Elle fait d'énormes efforts pour intégrer les coutumes, l'alimentation mais jamais elle n'abandonne sa personnalité.
Jamais elle ne se soumet à son mari. Aïcha doit assister aux nombreuses scènes de violence entre son père et sa mère.
Malgré son dénuement, sa misère, Mathilde écrit des lettres à sa soeur Irène où elle se décrit en train de vivre dans l'opulence et l'aventure, comme Karen Blixen dans "Out of Africa" dit-elle. Elle ne veut pas avouer ses difficultés, mieux que ça, elle veut lui susciter de l'envie.
Le premier volet se termine un peu avant 1960 et j'espère vraiment que les évènements tourneront bien pour Amine , Mathilde et leur famille.
Quand on écoute les interviews de Leïla Slimani, on apprend la suite dans les toutes grandes lignes.
J'ai remercié l'auteure bien sincèrement car elle a privilégié l'histoire humaine de la famille. Elle ne s'est pas étendue sur la situation politique du pays qui voulait son indépendance et refusait le protectorat français.
C'est bien sûr utile à savoir mais je retiens surtout du récit que Mathilde luttait pour ses enfants et était la première d'une famille qui allait donner une grande importance au rôle de la femme.
L'écriture est très belle, agréable à lire, avec les faits qui se suivent. C'est une qualité pour moi, je n'adore pas les romans qui sautent d'une époque à l'autre ou d'un personnage à l'autre au moment où je suis captivée par ce que je lis.
Leïla Slimani nous raconte l'histoire de sa famille mais ce n'est pas le tout de raconter, il faut encore arriver à faire vivre les personnages par les mots et elle y arrive à merveille.
Je lirai bien sûr les deux suivants pour connaître la suite de la vie de la famille et je suis certaine que tout ne sera pas rose et banal.
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« Ici, c'est comme ça » dit Amine à Mathilde sa femme alsacienne, lorsqu'ils s'installent au Maroc, à Meknès, où la ville européenne est séparée, depuis les principes émis par le maréchal Lyautey, de la médina.
Avant, entre eux, ce n'était pas comme ça, lui était l'étranger venu, par force des choses, défendre la France dans un combat qui ne le concernait pas. En 1946, au retour dans son propre pays, il jouit enfin du droit de l'homme, de sa puissance, et même s'il n'a rien expliqué de sa culture et de sa religion à Mathilde, voilà, elle est là, chez lui, c'est comme ça.

En une saga complexe, Leila Slimani nous fait entrer dans la tête de cette femme amoureuse, qui n'a pas pris le temps de savoir où elle mettait les pieds, qui doit accepter une autre manière d'exister pour les femmes, qu'elle n'imaginait pas pouvoir vivre sans sortir jamais de leur maison, dans l'ombre du mari ou des fils. Lui, il la voudrait pareille à sa mère, respectueuse de sa culture, sa langue et sa terre, patiente et sans existence.
Elle avait rêvé sa vie selon Karen Blixen, Alexandra David- Néel, elle rencontre la réalité, une ferme aride, isolée, une société de paysans dont son mari, le premier, s'épuisant à travailler la terre.
« C'est la pente des femmes européennes que de refuser le réel » pense Amine.
Le réel, pour l'instant, ce sont les rats, les scorpions, la servitude des uns et le pauvre pouvoir des autres, le refus de s'amuser, de danser, de prendre du plaisir autrement que dans le fond du lit, et l'attitude des autres ( Oui, on est bien dans le pays des autres )quant à ses enfants métis, des sauvages pour les mères européennes de la pension où Mathilde a tenu à faire élever sa fille Aïcha .
Métis, elle l'est, comme cet oranger sur lequel Amine greffe une branche de citronnier. le mélange donnera-t-il des fruits juteux ?

Mathilde est malheureuse, puis se révolte, puis se rend compte que pour l'essentiel elle est d'accord avec Amine, quant à l'avenir du pays et à son progrès contre la misère puis part en Alsace, où elle retrouve sa vie de jeune fille, ses amies presque toutes mal mariées, amères et déçues :
« Elles voulaient savoir si elle aussi avait fait l'expérience désolante de la trivialité de la vie, du silence imposé, des douleurs de l'enfantement et de la copulation sans tendresse ».
Sa soeur envieuse veut qu'elle parte vite, d'autant qu'elle se vante et décrit sa vie comme une victoire, au moment où elle doute si elle va rester en Alsace, ou accepter son choix une seconde fois, accepter de ne pas être libre.
Saga complète, entremêlant les détails de la vie courante, les sentiments complexes des uns et des autres, et la période historique d'avant l'indépendance, avec tous les conflits d'intérêts et les positions divergentes, ainsi que, au centre, une réflexion sur les rails qui parfois guident nos pas, sans qu'aucun choix conscient ne les suscitent.

Il ne s'agit pas du tout d'un destin quelconque, mais de rencontres fortuites au contraire, et dans le cas de Mathilde, un vrai choix en connaissance de la situation où elle se met.

LC Thématique de septembre : Etat des lieux
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Avec ce premier tome de ce qui deviendra une trilogie, je découvre une toute autre Leïla Slimani que celle découverte avec "Chanson Douce", en 2016. Pas de fait divers tragique ici, pas d'ambiance "thriller psychologique" ou de meurtre d'enfant, on en est bien loin. Loin géographiquement tout d'abord, parce que cette saga familiale se déroule principalement aux abords de Meknès, au Maroc, et loin dans l'esprit surtout, puisque l'auteure nous emmène visiter ses propres origines, au travers d'une histoire inspirée de celle de ses grands-parents.
Le personnage de Mathilde a tout d'abord suscité en moi beaucoup de sympathie : normal, elle est alsacienne ! Et elle a bravé les convenances pour épouser un spahi, ces soldats nords-africains venus aider les français au cours de la seconde guerre mondiale et qui ont notamment contribué à libérer l'Alsace du joug allemand. Et elle l'a suivi au pays, où il tente de faire fructifier la terre aride héritée de son père. Mais les conditions de vie sont difficile, surtout pour une française épouse de marocain, qui ne sera intégrée ni parmi les colons, ni parmi les habitants du pays. Elle souffre du manque de confort et de la solitude, et s'aigrit peu à peu. Quant à Amine, son mari, il travaille d'arrache-pied pour de bien maigres résultats. Et le retour au Maroc l'a transformé, il fait bien comprendre à Mathilde
qu'ici elle n'a pas grand-chose à dire, parce "ici, c'est comme ça" point barre. Deux enfants viennent agrandir la famille, Sélim et Aïcha, cette dernière se montrant rapidement très douée, ce qui lui vaudra d'être scolarisée dans un établissement catholique, où elle subira à son tour mise à l'écart et stigmatisation.
Et autour gravite tout le reste de la famille, ainsi que les voisins plus ou moins bienveillants envers ce couple mixte. La soeur d'Amine, Selma, adolescente trop belle et trop rebelle m'a particulièrement touchée, la vie ne lui fera pas de cadeau.
Pendant les dix années où prend place ce premier volume, le malaise va peu à peu croître entre Marocains et colons français, on sent monter la pression et Leïla Slimani rend fort bien cette ambiance tendue où de premiers heurts vont bientôt se produire. Tout ceci ne va bien sûr pas arranger la situation de Mathilde...
J'ai vraiment pris grand plaisir à cette lecture, j'ai d'ailleurs dans la foulée réservé le second tome à la bibliothèque. J'ai trouvé que l'équilibre entre l'histoire familiale et L Histoire tout court était très bien dosé, le mélange "prend" bien et on s'instruit au passage. On ne se rend pas du tout compte que l'auteure est née bien après cette période, elle pourrait être l'une des protagonistes. J'ai dans ma propre famille des personnes qui ont vécu des situations un peu similaires (couple mixte, émigration dans le pays du mari, bouleversements politiques de grande ampleur), j'ai donc imaginé assez facilement ce qu'a pu être la vie d'une française dans les conditions décrites ici. Par contre, Mathilde a quand même fini par me devenir moins sympathique vers le milieu du livre, pour une raison que je ne dévoilerait pas, mais que vous comprendrez sans doute à la lecture de ce livre. Son mari Amine, m'est d'abord apparu comme un homme dur et insensible, mais il est en fait bien plus nuancé et sa façade cache une profonde frustration, un besoin de reconnaissance non assouvi, et beaucoup d'amour pour sa famille.
J'espère avoir donné l'envie à quelques-un(e)s d'entre vous de découvrir cette histoire assez dure, mais belle et qui sonne profondément vrai. Moi j'attends de pouvoir en lire la suite, mais entretemps une pile de romans jeunesse et une MC me guettent sur la table du salon ! J'arrive, j'arrive...
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Il faut une sacrée dose de talent pour réussir à faire revivre dans toute sa complexité, une époque, une histoire, celle du Maroc de la fin de la Seconde guerre mondiale à l'année de son indépendance en 1956. le tout sans tomber dans le piège du manichéisme, des clichés, de l'idéalisation d'une culture au dépend d'une autre. « le pays des autres » de Leïla Slimani est une fresque familiale entêtante, enivrante, servie par une plume d'une sensibilité rare. C'est aussi et surtout, un formidable instantané sur les conditions de vie des femmes, un portrait délicatement ciselé de deux cultures, celle du Maroc et celle de la France, du regard porté sur une union mixte vu par beaucoup comme étonnante. Ce « pays des autres » voit Leïla Slimani s'inspirer de ses grands parents, de cette double identité culturelle. Son grand-père s'est battu pour la France dans les troupes coloniales, et il a inspiré le personnage d'Amine, tandis que sa grand-mère était elle française, et on la retrouve sous les traits de Mathilde. Amine et Mathilde se rencontrent à la toute fin de la guerre, alors que la France est libéré en 1944 avec le soutien notamment des troupes coloniales, qui ont payé de leur sang le rétablissement de la liberté, dans un pays qu'il ne connaissait pas ou très peu. Cette méconnaissance amène des deux côtés, à des à-priori qui sont autant d'obstacles à leur amour. le poids du patriarcat pourtant est sous des formes bien évidemment différentes, source de privation de liberté pour ces femmes. Je retiens ainsi ce dialogue entre Georges, le père de Mathilde et Amine, le premier n'hésitant pas à encourager le second à user de violence, le cas échéant, sur sa fille pour exercer son autorité. « Ce pays des autres » s'est aussi ce choix de Mathilde d'aller vivre avec Amine au Maroc, et donc de perdre ses repères en s'appropriant ceux d'une autre culture. le poids du pouvoir des hommes pèsent sur les femmes marocaines qui sont soumises à des interdits arbitraires. Il y a celles qui l'acceptent et celles qui tentent de s'émanciper. le personnage de Selma, la jeune soeur d'Amine, m'a particulièrement touché, sa soif de liberté, son souhait de vivre en femme émancipée et de combattre ce patriarcat oppresseur. Il s'agit là de présenter, cette nouvelle génération de femmes marocaines qui veulent s'émanciper, avec le soutien des nationalistes marocains. La lutte qui s'engage entre Amine et sa soeur Selma est poignante Mais là encore, le regard porté est nuancé car aucun des différents personnages de ce roman ne sont intégralement ou viscéralement des salauds ou des gentils. La réflexion de Leïla Slimani est d'une grande richesse et l'histoire, de ce couple hors norme, passionnante à suivre. On y découvre la famille d'Amine, Mouilala, sa mère, gardienne de la tradition ancestrale, visant à laisser aux hommes le pouvoir de décision, tandis que les femmes s'occupent des tâches ménagères, des enfants entre autres choses. Leïla Slimani dépeint avec une rare finesse psychologique, cette lutte de l'indépendance opposant les colons européens au peuple marocain Une nouvelle fois, le portrait est magnifique, la réalité montré ici est complexe et cette lutte a eu plusieurs facettes La guerre est un autre aspect important du livre, celle d'Amine en France, celle de son ami Mourad qui fera la campagne de France puis l'Indochine et tous reviendront changés de cette expérience traumatisante. L'ingratitude de la France est en toile de fond car ces hommes qui se sont battus courageusement n'ont pas retrouvé de place en rentrant au Maroc. Mourad est vu comme un traître parce qu'il est fidèle à la France tandis que le frère d'Amine choisi la voie de la lutte armée pour l'indépendance. Là encore, rien n'est simple. Ce premier tome de ce qui sera une trilogie suivant les destinées de Selma, d'Aïcha et leurs enfants, est captivant de bout en bout. D'une grande richesse sur le plan littéraire, le style d'écriture tout en sensibilité n'est pas sans rappeler celui de l'immense Marguerite Duras. Si vous voulez découvrir tout un pan de cette histoire, comprendre la difficile adaptation à une autre culture, suivre enfin un magnifique portrait de femmes, alors ce livre est fait pour vous !
Lien : https://thedude524.com/2020/..
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Il y avait bien longtemps que je n'avais pas dévoré un roman avec un tel plaisir, une si grande satisfaction de page en page, de chapitre en chapitre.
Sans que jamais ma JOIE d'avancer ne se tarisse, je me suis délectée de chaque ligne, de chaque paragraphe inclus dans ce beau récit historique et féministe, fougueux et humaniste.

J'ai d'abord apprécié la plume envoûtante à souhait de Leïla Slimani, pleine de vie, de dignité et de cris.
C'est avec une justesse sans égal qu'elle dénonce subrepticement les prisons mentales qui détruisent nos sociétés et les humains. Dans son paysage marocain, aux allures de Far West, Mathilde " l'alsacienne" enfouit ses rêves de jeune fille, ivre de voyages et de romanesque. Son statut d'étrangère dans le Maroc occupé des années 50 est révélé par ses traditions, sa fièvre nationaliste et religieuse, et surtout la vie quotidienne sous protectorat français. Cette jeune épouse blanche est maintenue à l'écart du coeur des choses, dans ce silence qui fait qu'on se sait ailleurs que chez soi.

Cette histoire crie l'universalité de nos quêtes de bonheur qui n'ont pas le même goût selon où l'on naît, selon les enseignements reçus. Qu'il est douloureux d'exister quand on n'est ni orange, ni citron, mais citrange. Au Maroc, comme partout.

Leïla Slimani nous offre une fresque au romanesque tantôt contenu tantôt majestueux, grâce à sa narration juste, déliée, ivre de sensations, de ressentis et de détails forts. Nourri de nombreuses mémoires, et documents privés comme historiques, ce roman magnifique une fois terminé me donne immédiatement envie de le relire, et évidemment de découvrir la suite.

Un immense coup de coeur (pour la première fois avec cette auteure) !

Lien : http://justelire.fr/le-pays-..
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Le pays des autres

De quelle région est originaire Mathilde ?

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Thème : Le Pays des autres de Leïla SlimaniCréer un quiz sur ce livre

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