Just Kids

Sam nous plaisait à tous les deux ; moi pour son côté franc-tireur, Robert pour son côté aristocratique. Il étudiait le soufisme et s’habillait simplement de lin blanc et de sandales. Il était dépourvu de prétention et semblait parfaitement inconscient de l’effet qu’il produisait sur les autres.

J’étais un peu timide, mais il l’était plus encore, et nous étions patients l’un envers l’autre.

Mon succès était pour Robert l'objet d'une fierté sans mélange. Ce qu'il voulait pour lui-même, il le voulait pour nous deux. [p.302]

Robert a dit: « Tu sais quoi, j'aime vraiment la blancheur de ta chemise. Tu peux enlever ta veste?» J'ai jeté la veste sur mon épaule, façon Frank Sinatra. J'étais habitée par les références. Il était habité par l'ombre et la lumière.
«C'est revenu», a-t-il dit.
Il a de nouveau pris quelques clichés.
«Je la tiens.
-Comment tu le sais?
-Je le sais, c'est tout.»
Il a pris douze photos ce jour-là.
Quelques jours plus tard, il m'a montré la planche-contact.
«Dans celle-ci, il y a de la magie», a-t-il affirmé.
Lorsque je la regarde aujourd'hui, ce n'est jamais moi que je vois. C'est nous. [p.294 - 295]

Nous avions besoin de temps pour éclaircir la signification de tout cela, trouver une façon de l'assumer et de redéfinir le nom de notre amour. Il m'avait appris que la contradiction est souvent la voie la plus évidente vers la vérité. [p.238]

Une voiture passait : jai entendu les accents de leur nouveau single qui passait à la radio, «Riders on the Storm». Je m'en suis voulu d'avoir presque oublié l'influence capitale qu'avait exercée sur moi Jim Morrison. C'est lui qui m'avait mise sur la voie de la fusion de la poésie et du rock and roll ; j'ai résolu d'acheter leur album et d'écrire un article digne de ce nom pour le défendre. [p.223]

Entourée de chansons inachevées et de poèmes abandonnés. j'étais à la fois dispersée et coincée. J'allais aussi loin que je le pouvais et me prenais un mur, celui des limites que je m'imaginais. C'est alors que jai rencontré un type qui ma révélé son secret, et ce n'était pas sorcier. Quand tu te prends un mur, abats-le d'un coup de pied. [p.204]

Comme nous longions le boulevard Montparnasse, j'ai repéré un gros titre qui m'a remplie de chagrin : Jimi Hendrix est mort. 27 ans. Je connaissais parfaitement le sens de ces mots. Jimi Hendrix n'aurait jamais l'occasion de retourner à Woodstock pour créer un langage universel. Il n'enregistrerait jamais plus à l'Electric Lady. Nous avions tous perdu un ami. Je me suis rappelé son dos, sa veste aux broderies compliquées et ses longues jambes tandis qu'il remontait les marches ce soir-là, s'apprêtant à partir à l'aventure pour la dernière fois. Le 3 octobre, Steve Paul a envoyé une voiture nous chercher, Robert et moi, pour aller voir Johnny Winter au Fillmore East. Johnny était au Chelsea pour quelques jours. Après le concert, nous nous sommes tous retrouvés dans sa chambre. II avait joué à la veillée de Timi Hendrix. Ensemble, nous avons pleuré la mort de notre poète de la guitare: parler de lui nous réconfortait. [p.203]

Nous sommes rentrés chez nous, main dans la main. Pendant un instant, je suis restée en arrière pour le regarder marcher. Sa démarche chaloupée de marin m'avait toujours touchée. Je savais qu'un jour je m'arrêterais et qu'il poursuivrait sa route, mais jusque-là rien ne pouvait nous séparer. [p.132]

Il avait lui aussi un chemin à suivre et n'aurait d'autres choix que de m'abandonner en route. [p.100]