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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
J'ouvre la fenêtre de ma piaule, sortir les odeurs de moisissure, de peinture défraichie et de sueur aigre, rentrer le parfum iodé de la mer, le parfum jasminé de la femme, respirer cet air irrespirable de nostalgie et de désespoir. La fenêtre ouverte, c'est un peu le disque rayé de ma vie. Des vies et des rêves qui se hachent et se bloquent inlassablement, comme des vagues qui s'échouent sur le rivage avec quelques détritus de radeaux de fortune ou d'infortune. Je referme la fenêtre, trop ébloui par le soleil et l'azur. La radio du voisin braille comme un appel à la prière, ce n'est qu'un énième discours du chef, fidèle à lui-même pendant des heures. Au neuvième étage, je repense à cette vieille russe, blonde et soviétique jusque dans ses poils pubiens. Elle m'ouvre sa porte, de temps en temps, en même temps que sa robe, et je lèche son parfum, je respire frénétiquement sa sueur.

Dans la rue, les femmes font la queue avec leurs tickets de rationnements, les vieux s'attablent à des terrasses de café, cigare et verre de rhum, occupent le temps d'une vie à faire danser des dominos dans leurs mains ridées, les jeunes filles dansent au son de la brise qui fait virevolter leurs jupes légères. le même décor depuis des années, avec des vieilles carcasses d'automobiles sillonnant la poussière des bouts de trottoir. Les mêmes hommes, tristes ou rêveurs, les mêmes femmes, blondes russes ou noires mulâtres. le disque rayé de multiples vies. Elles sont quand même belles, ces cubaines, sers-moi un verre de rhum, poupée, même si je ne suis pas ton homme, trop triste devant ce sourire si éblouissant. le disque rayé de ma vie.

Le petit fils au tee-shirt, tel que la presse l'a souvent défini, ne sera l'auteur que d'un unique disque, un 33 tours rayé comme un roman à 33 Révolutions. Une oeuvre désenchantée et poétique sur Cuba, son île avant son exil. Elle est aussi fascinante qu'hypnotique comme un disque rayé. Une nouvelle tempête s'approche, les nuages noirs se forment, mais les gens s'en foutent totalement. Ce n'est pas la première tempête, ni même la dernière. Une nouvelle surviendra, encore et encore, répétition du temps et des embruns. Des gens partiront sur un radeau, un canot ou un vieux rafiot. Ils reviendront probablement, noyés ou abattus. Rien de nouveau, le disque rayé de l'espoir. Peut-être certains atteindront la côte américaine, ceux-là échapperont aux disques du Commandante ou Presidente.

Sans espoir ni guère d'envie, comme lassé par la vie, je retourne vers ma chambre d'hôtel, m'allonge sur le lit aux draps défraichis, rêve de rhum et de poils pubiens blonds – ou noirs. Les yeux clos, le vent souffle sous la fenêtre amenant ses embruns chargés d'amertume, j'entends le souffle de son coeur et de ma langue parfumée au rhum, je me vois lui lécher son sexe imbibé de sueur et de rhum. le disque rayé de ma putain de vie.
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Un court roman touchant : un trentenaire cubain décrit sa vie, triste, morne et répétitive.
Non Cuba n'est pas un paradis. Ce qui était une belle idée, une utopie socialiste, s'est transformé en dictature, en une société sans droit, pleine de corruption, de tickets de rationnement et de privations de liberté.
Un message encore plus poignant lorsqu'on apprend que l'auteur est le petit fils de Che Guevara ... Dans les entretiens en fin d'ouvrage, il souligne que certes la révolution était basée sur des idées géniales mais le Che avait aussi des opinions pathétiques, absurdes et prétentieuses.
Le titre, 33 révolutions, fait référence aux disques vinyl 33 tours : à Cuba, c'est toujours la même histoire, les mêmes infos, la même routine et les mêmes mensonges ...
La mer est-elle la dernière solution?
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Une petite pépite, dénichée dans ma bibliothèque municipale.
Un livre qui cherche à être le témoignage des pensées d'un homme dont la renommée est liée à l'Histoire ... être le petit fils d'une légende mondiale n'a pas dû être facile … Canek est le petit fils du Che, cet homme dont le portrait a décoré de si nombreuses chambres d'étudiant.

Il y a pour commencer,
33 révolutions, qui est le seul roman de l'auteur, cela ressemble à une nouvelle dont le titre peut être interprété de différentes façons …
33 chapitres pour décrire la vie comme une autre à La Havane dans les restes d'une révolution ratée …
33 tours comme un disque d'un autre temps qui nous répète jour après jour la même rengaine, musique lancinante, épuisante et surtout sans espoir …
33 révolutions comme nous le suggère la dernière ligne, une tentative pour en finir.

Un sentiment de tristesse, de mélancolie ne peut que nous envahir en pensant aux drames qui ont lieu ou ont eu lieu à Cuba mais il pourra aussi nous faire penser à ce qui se joue chaque jour beaucoup plus près de nous dans la Méditerranée transformée en cercueils.
Une lecture qui m'a replongée dans mes souvenirs …
Coppelia, le glacier révolutionnaire dans le quartier de Vedado à La Havane (1), ce qu'il en reste, un parc décrépi où une foule de cubains continue de venir, des queues interminables aux quatre coins de cet îlot, des gardes qui laissent passer des heureux élus prêts à s'installer à l'une des nombreuses terrasses, l'étranger lui se verra dirigé vers un unique escalier qui dessert une salle climatisée où il pourra déguster l'un ou l'autre des parfums du jour réalisés (la carte des 26 parfums n'étant là que pour la légende) …
Attendre son tour, que ce soit au poste à essence, au distributeur de billets, une logique qu'il faut comprendre sous peine de représailles vociférantes, une simple question résolvant la question … qui est le dernier ? … prendre sa place dans la longue file à l'ombre et attendre …
Traîner sur le Malecon, d'un bout à l'autre, à toutes heures toujours une foule, observant la mer qui se jette et se jette encore sur ce mur déglingué, le Malecon, une légende comme une autre qui garde dans la furie de la mer déchaînée le souvenir des engloutis.
Souvenirs nostalgiques qui se fracassent sur le mur de la réalité cubaine, pas un paradis enchanteur mais un rêve ou un cauchemar comme un autre : il faut parler pour faire arrêter le supplice … mais parler de quoi ?
L'éditeur a souhaité pour notre plus grand plaisir, complété ce texte par d'autres écrits de l'auteur et des extraits d'un interview au Monde Libertaire.
Salutaire initiative qui nous montre la complexité d'une vie si on ne souhaite pas n'être que le petit fils d'une légende.

(1)
Commandé par Fidel Castro en 1966, il ressemble à une soucoupe volante ! Ce bâtiment étonnant raconte toute l'histoire d'une marque de crème glacée mythique à Cuba. Quelque 26 parfums proposés et des générations de Cubains conquis.
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Une puissance d'évocation impressionnante, une capacité à résumer Cuba de manière très poétique et des phrases chocs qui resteront dans nos têtes pour illustrer cet île si singulière, l'absurdité de son régime : “Le bus est en route pour l'abattoir du quotidien”. (p 45) et son décor magnétique malgré la chute : “La ville depuis la mer ressemble à une vieille pute décadente qui n'a pas perdu toute sa beauté”. (p 82)
Résumé en 83 pages de sa vision de Cuba qui semble très proche de la réalité : espoirs déçus de la révolution, longue déchéance d'un pouvoir agonisant, pauvreté d'une population qui se résigne terriblement et parfois finit par s'échapper … avec en toile de fond la beauté fanée d'une île magnifique.
Pour compléter ce récit, puissant et riche en images, l'auteur arrive en outre à faire écho aux drames vécus aujourd'hui en Méditerranée par les populations fuyant des situations sans issue.

L'agrément d'extraits de son livre précédent et d'une interview vient idéalement compléter cette nouvelle pour encore mieux comprendre ce que fut, est et risque de devenir Cuba. Il évoque même de très belle manière son grand-père. Trotski et l'image qu'en a la gauche américaine traversent aussi fugacement le récit.

Bref, 106 pages à ne pas rater et d'une densité rare. Comme si se sachant condamné à court terme, Canek avait désiré tout mettre dans cette oeuvre.
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Né à La Havane en 1974 et décédé en 2016, Canek Sanchez Guevara était le petit-fils du Che.
Artiste libertaire, il a écrit "33 Révolutions", son unique roman, comme trente-trois photographies ou trente-trois pages d'un journal : de petits textes sur la vie quotidienne, l'apathie d'un peuple qui n'a plus d'espoir.
Cuba est comme "un disque rayé", on y entend toujours les mêmes paroles officielles et les mêmes silences.
Tout s'effondre, les murs des maisons comme les idées politiques.
Le narrateur travaille dans un ministère, où règne l'ennui : ses seules occupations consistant à faire des photocopies, à tamponner des circulaires, à attendre l'heure du déjeuner puis celle du départ.
Quand à sa vie personnelle, elle se réduit à boire du rhum frelaté, à flâner sur le Malecon pour regarder la mer, aussi infranchissable qu'un mur de barbelés. Et pourtant, les jeunes cubains sont prêts à la traverser cette mer, au péril de leur vie, sur des radeaux de fortune. L'espoir s'appelle la Floride (les Etats-Unis d'Amérique).

Canek Sanchez Guevara le sait : "Il n'y a rien de positif à attendre d'aujourd'hui. Dans les jours pareils, la vie lui semble ..... un traité de l'inutile et du superflu, et il marche lentement, les yeux rivés au sol, avec l'envie de tomber dans le caniveau et de mourir écrasé par l'habitude."
Dans "33 Révolutions", on entend les télévisons qui diffusent les telenovelas et l'on sent l'humidité poisseuse de la Havane. Quant à la politique, elle est morte depuis longtemps, et ne survit que dans le disque rayé d'une lointaine et historique révolution cubaine.
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Un nom peut vite se révéler être un poids, un fardeau que l'on traîne inlassablement, un fantôme des exploits passés. Et c'est un peu contre ce nom que s'est battu, sa vie durant, Canek Sánchez Guevara, lui le petit-fils du Che. Un combat qui s'est tragiquement terminé par une victime. Car, forcément, la mort n'est jamais loin, prédatrice rôdant inlassablement et, à défaut de pouvoir se détacher du poids de la célébrité de son aïeul et de ce que l'on attendait de lui, « le petit-fils du t-shirt », comme il était surnommé, opposant au régime castriste, a trouvé la mort des suites d'une opération du coeur, en janvier 2015 à Mexico. Publié à titre posthume, son seul et unique roman, 33 révolutions, qui paraît aux éditions Métailié, ne peut s'empêcher d'avoir la saveur amère du testament politique.

La Ville des Colonnes en arrière plan, d'ordinaire si chantante et rythmée par les accords de musique, ici triste et silencieuse, le lecteur déambule en compagnie du personnage principal, un anonyme parmi tant d'autres, déjà la trentaine d'une vie passée à répéter, infatigablement, la doctrine castriste. Mélancolique et désabusé, l'individu est un homme de couleur, à la peau noire, amateur de photographie dont il cherche à saisir le quotidien d'une ville, d'un pays qui a en permanence la gueule de bois. La vie est rythmée par les tempêtes tropicales, par les cubains qui tentent de rallier le continent et par un détour chez la Russe qui habite au neuvième étage de son immeuble, tenté d'y chercher un peu de confort. Mais une chose ne fonctionne pas : il y a forcément une rayure sur le disque qui tourne sans discontinuer, une marque, une brèche qui se répercute sur la société cubaine.

La suite sur le blog :
https://unepauselitteraire.com/2016/08/25/33-revolutions-de-canek-sanchez-guevara/
Lien : https://unepauselitteraire.c..
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