J'ai fait le signe de la croix et j'ai dit "Notre Père qui êtes aux cieux, il faut croire que vous existez, parce que vous y mettez du temps, mais votre droite est terrible." [p.106]
Les journées, au camp, ça file sans qu'on s'en aperçoive. C'est le total de la peine qui n'a jamais l'air bouger, comme si ça n'arrivait pas à raccourcir.
Le vrai ennemi du prisonnier, c'est le prisonnier son frère.
Ici, les gars, la loi... c'est la taïga. Mais, même ici, on vit. Ceux qui ne font pas de vieux os, au camp, c'est les lèche-gamelles, c'est ceux qui comptent sur l'infirmerie, c'est ceux qui vont frapper à la porte du grand patron.
Dans le coin, il y a encore un poêle bas avec une cheminée en briques et une plaque de tôle dessus. Une fois la plaque chauffée au rouge, le sable y dégèlera et puis deviendra sec. On l'a déjà allumé, ce poêle, et le commandant, avec Fétioukov, y amène le sable sur un bard. Porter un bard, ça ne demande pas d'intelligence. C'est pourquoi le brigadier, il y met ceux qui ont été grands chefs. Fétioukov, qu'on raconte, il était très grand chef. Dans des bureaux. Même qu'il aurait eu une automobile.
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- une prière, Aliocha, c'est pareil que des réclamations. Ça n'arrive jamais jusqu'au grand patron. Ou bien il t'écrit dessus : Refusé.
À présent, c'est sûr que Der va se planter derrière les maçons pour regarder. Choukhov ne peut pas les sentir, ces regardeurs. Un jour, s'est-il pas avisé, ce cochon pur lard qui se prend pour un ingénieur, s'est-il pas avisé de vouloir lui apprendre comme on pose les briques ? Mais Choukhov lui a rigolé au nez. Commence par faire comme nous autres : quand tu auras bâti une maison de tes mains, après tu pourras te dire ingénieur.
Dans les camps, que de fois Choukhov s'était rappelé comme on mangeait, dans le temps, à la campagne : des pommes de terre à pleines poêles, la kacha à même la marmite, et, encore plus avant, avant les kolkhozes, de la viande par tranches entières, et quelles tranches, sans compter le lait, qu'on lampait à se faire péter les boyaux du ventre. Or, dans les camps, Choukhov avait compris que c'était mal agir. On aurait dû manger en y pensant, en pensant seulement à ce qu'on mangeait, comme il faisait, en détachant de touts petits morceaux avec ses dents, en se les promenant sous la langue, et en les suçant avec le dedans des joues, de sorte qu'on ne perde rien de ce bon pain noir humide et qui sentait si bon. Parce que Choukhov, de quoi il s'est nourri pendant huit ans, que voilà même la neuvième année qui commence ? Autant dire de rien. Et, pendant tout ce temps-là, qu'est-ce qu'il n'a pas trimé !
Un roman pouvait avoir pour sujet la vie de toute l'Europe pendant un siècle entier, mais aussi celle d'un seul moujik pendant une seule journée.
Tolstoï (remonté par Soljénitsyne)
Pourquoi pas ? Les gens, il en naît bien tous les jours. Pourquoi alors il naîtrait pas une lune toutes les quatre semaines ?
...Choukhov soupire et, tout bas, à cause que c’est un secret :
- Chez nous on dit que le bon Dieu les casse pour en fabriquer des étoiles.
...
- Mais pourquoi ferait-t-il cela, le bon Dieu ?
- Il ferait quoi ?
- Pourquoi casserait-il la lune pour en faire des étoiles ?
Choukhov hausse les épaules.
- C’est pourtant pas sorcier. Les étoiles, il en tombe; faut bien les remplacer.