Ce que c'est que d'habiter dans ce genre d'immeuble ?
C'est comme un frigo, j'imagine. Le lait qui est en bas ne discute pas avec les glaçons qui sont en haut, et le fromage n'échange pas un seul mot avec les restes qui sont sur la grille du dessus.
Un de ces types livides qui restent debout jusqu'à pas d'heure, à travailler leur thèse sur Hemingway, mais qui tomberait dans les pommes à la simple vue d'une truite vivante.
Ce soir-là, j'eus le droit d'entrer dans le salon.
C'était un salon agréable : rien d'inhabituel, juste l'un de ces salons dans lequel on a l'impression d'avoir vécu toute sa vie, même après une demi-minute.
L'après midi arriva tard et lentement, comme s'il n'en avait pas vraiment envie, et le téléphone était toujours aussi silencieux.
Je le regardai. Je pouvais toujours téléphoner à...
Je pouvais toujours téléphoner à ma vieille mère, si ce n'est qu'elle était morte depuis deux ans et demi, et ne risquait pas de décrocher où elle était. De toute façon, je n'avais pas son numéro.
Le bureau avait l'air exceptionnellement isolé, par des jours comme celui-ci. La pièce carré, meublée de son gros bureau sur lequel il n'y avait rien d'autre qu'un téléphone, d'armoires à archives qui ne contenaient pas grand-chose d'autre que des courants d'air, était comme un petit coin à part dans l'univers, un endroit où l'on rangeait les âmes oubliées, des gens dont personne ne se rappelait le nom.
– Il n’y a personne qui aurait pu vous aider… t’aider ? Personne que tu connais ?
– Est-ce que tu as déjà vécu dans un immeuble comme celui-ci ? demanda-t-elle en me regardant. Combien d’appartement y a-t-il ? Cinquante ? Soixante ? Environ deux cents personnes. C’est tout juste si je dis bonjour à ceux qui habitent au même étage. J’en vois d’autres de temps en temps dans l’ascenseur. C’est comme dans une fourmilière. Tu crois que les fourmis se disent bonjour ?
Un autre jour était en train de mourir, de la même façon que tous les jours meurent en nous, l'un après l'autre, jusqu'à ce que l'on se réveille un matin pour découvrir que l'on n'est absolument pas réveillé, mais que l'on dort toujours. Et tous les jours ne font plus qu'un, et toutes les nuits se fondent en une.
On pense rarement, au cours d'une noce, au quotidien qui va suivre; on rit, on trinque et on ne pense ni aux pleurs, ni à la solitude, ni à la jalousie; on s'imagine les nouveaux mariés dansant avec insouciance à travers la vie conjugale tout comme durant la toute première danse; on ne les imagine pas chez l'avocat, assis chacun sur sa chaise, aussi loin de l'autre que possible, regardant droit devant soi mais surtout pas l'autre. Ou dans le même lit, quarante ans plus tard se tournant le dos et toujours aussi loin que possible de l'autre, sans plus rien se dire, sans plus rien avoir à faire ensemble: après quarante ans de long quotidien gris, sans rayons de soleil et sans dimanches.
On peut dire ce que l'on veut des divorces, mais ce ne sont certainement pas des cures de jouvence. Chaque divorce laisse ses traces sur votre visage. Et à d'autres endroits aussi ,mais que vous ne pouvez pas voir.
Lui aussi avait divorcé. De temps en temps, j'ai la sensation que c'est le cas de tout le monde, d'une façon ou d'une autre.