Un vaisseau extraterrestre s'écrase dans un champ, avec à son bord un bébé. Un couple de fermiers a assisté à la scène et il prend en charge le nouveau né. Mais dans cette histoire, l'armée américaine a suivi le crash du vaisseau et des soldats viennent récupérer le bébé. Il va être élevé par 2 agents (un homme et une femme) dans une ferme digne d'une illustration de
Norman Rockwell. Les militaires ont pour objectif de s'assurer de la sympathie de ce survivant (en le soumettant à une propagande intensive sur l'impérialisme bienveillant et nécessaire des États-Unis), tout en s'assurant que le risque qu'il représente soit maîtrisé. Ce nourrisson grandit pour devenir un enfant, puis un adolescent et enfin un jeune adulte. Au cours de ce tome, le lecteur rencontre 3 autres individus exceptionnels dont 2 dotés de capacités extraordinaires. le scénario indique qu'il en existe encore 2 autres. Quelle sera la place de ces individus dans l'ordre mondial ?
Le Squadron Supreme fut créé par en 1971 par Roy Thomas et
John Buscema dans Avengers 85 & 86. Il est composé de copies très proches des principaux personnages de l'univers DC (le concurrent de Marvel) et Thomas s'offre ainsi un crossover inter-univers, sans avoir à se dépêtrer des aspects légaux de la chose. En 1985, Mark Gruenwald se sert de ces mêmes personnages pour imaginer l'impact de "vrais" superhéros dans un monde proche du notre (dans Squadron Supreme, en VO). En 2003, l'équipe est relancée depuis le début sous le titre "Supreme Power" par le scénariste
J. Michael Straczynski (JMS en abrégé).
JMS bénéficie du fait que cette nouvelle série est éditée par la branche adulte de Marvel (Label MAX) et qu'elle se déroule dans une terre parallèle (numéro 31916), indépendante de la réalité Marvel traditionnelle (Earth 616). Il n'est ni un débutant, ni un petit joueur. JMS a donc la possibilité d'écrire des personnages qui s'apparentent à Superman (Mark Milton, alias Hyperion), Batman (Kyle Richmond, alias Nighthawk), Flash (Stanley Stewart, alias Blur) et Green Lantern (Joseph Ledger, alias Doctor Spectrum). Il reprend l'idée de départ : écrire la JLA à la sauce Marvel, en les projetant dans un monde encore plus proche du notre. le bébé extraterrestre est placé sous surveillance militaire, chez un couple d'agents gouvernementaux, dans une zone inhabitée. Son endoctrinement est confié à des professeurs particuliers et à la télé. le lecteur voit ainsi défiler plusieurs présidents américains aux nouvelles, ou lors de prises de décisions confidentielles sur le projet Hyperion. En plus de cet aspect très proche du réel, JMS développe Mark Milton comme un véritable individu en pleine croissance qui cherche des repères, qui s'interroge sur son unicité découlant du fait d'être le seul individu avec des superpouvoirs. Il réussit à inclure beaucoup d'informations sur l'impact de la politique étrangère américaine sur Milton, à la fois comment ces éléments façonnent sa vision du monde, et quel impact émotionnel ils ont sur son psychisme.
Pour illustrer ce récit ambigu, JMS bénéficie du talent de Gary Frank, encré par
John Sibal. Frank a choisi un style réaliste au possible avec un encrage très fin. Pour la majeure partie des personnages, il utilise un modèle humain dont il reproduit fidèlement les principaux traits du visage. Cette volonté d'inclure des détails peut décontenancer dans un premier temps, car il y a de ce fait beaucoup de traits fins en plus des formes, donc des dessins qui présentent une forte densité. Une fois habitué à ce style un peu particulier (et qui n'a rien d'enfantin), c'est un vrai plaisir de découvrir un monde d'une grande richesse visuelle. Grâce à ce style, les militaires acquièrent une personnalité et une vraisemblance qui leur confèrent une crédibilité renforçant leur rôle d'institution efficace voulue par le scénario. le soin apporté aux visages permet également de facilement reconnaître les présidents successifs des États-Unis. Frank réussit également à rendre crédible le costume technologique de Nighthawk, un vrai défi visuel. Les scènes de violence ou d'utilisation de capacités extraordinaires ressortent d'autant plus qu'elles présentent un fort contraste avec l'environnement quotidien de la campagne. Frank prend grand soin également de détailler les intérieurs des domiciles tels que celui de la mère Stanley Stewart, ou un débarras de la maison des Milton. Il est possible d'identifier chacun des objets du quotidien qui ressemble à leur contrepartie réelle, sans aucune simplification pour faciliter l'assimilation.
JMS s'empare d'un concept étrange (des décalques de personnages DC dans l'univers Marvel), pour réécrire l'histoire de Superman avec une sensibilité adulte qui s'exprime dans la complexité de la situation décrite. le lecteur a le droit au beurre et à l'argent du beurre : des superhéros et une approche intéressante du jeune adulte s'insérant dans la société pour y trouver sa place. JMS part de l'arrivée d'un être avec des superpouvoirs, il évoque la notion de superhéros, pour mieux diriger son récit vers la fibre morale d'un surhomme, ses motivations, ses valeurs et la place qu'il se choisira parmi les simples mortels. Les 2 autres créatures extraordinaires apparaissent dans le tome suivant (épisode 7 à 12) dénommé Jeux de pouvoir.
Pour la petite histoire, il est amusant de penser que JMS réinventera Superman pour DC Comics en 2010 dans Superman Terre-1 et que Gary Frank dessinera les origines du vrai Superman en 2010 dans Superman : origines secrètes.