Cette ville ressemblait à un organisme en mutation, une dangereuse bête de conte fantastique. Léane ressentait désormais pire que la simple peur. Un empoignement viscéral, qui lui nouait les boyaux, comme chaque fois qu'elle voyait ce phare balayer de son faisceau la côte noire, [...], imaginait les ombres le long des rochers. L'impression que cette ville elle-même était un parasite qui avait grandi dans son ventre, y avait pondu ses oeufs infects. [...]
Des serpents de sable glissaient sur le bitume, s'enroulaient autour des nids-de-poule, les dunes se resserraient autour d'elle comme pour l'ensevelir, l'étouffer. Ce sable, encore et encore, comme craché des forges de l'enfer.
Un roman est un jeu d'illusions, tout est aussi vrai que faux, et l'histoire ne commence à exister qu'au moment où vous la lisez
La nuit agit comme un flux et un reflux. Il existe un moment où la douleur semble se retirer et devient si lointaine que vous la recevez à peine dans les limbes. Et, plus le réveil approche, plus la marée remonte. Les vagues grandissent, de plus en plus fortes et violentes, jusqu'à venir se briser sur un coin de votre âme. La douleur se réveille, pire que la veille, comme du sel versé sur une plaie.
Vous ne savez pas ouvrir vos yeux ni regarder en profondeur, derrière la complexité apparente de simples équations. Les réponses sont étalées sous votre nez depuis le début. Vous aviez juste à tendre la main et vous servir.
Un roman est un jeu d'illusions, tout est aussi vrai que faux, et l'histoire ne commence à exister qu'au moment où vous la lisez.
Tel était le prix de la vérité. Savoir, c'était arrêter de mourir à petit feu, mais ça vous mettait devant le miroir dégueulasse de votre propre existence.
À peine dehors, il vit le panneau "MATERNITÉ" et s'engagea sans réfléchir dans le bâtiment. Il n'avait pas mis les pieds dans ce genre d'endroit depuis la naissance de Coralie. Il contempla, en silence derrière une vitre, les nouveau-nés dans leurs couveuses, leurs si petites mains toutes roses. Il ressentait l'envie de caresser la vie, de voir des sourires sur des visages, d'entendre des bébés pleurer.
Un rayon de soleil dansa sur le sol, dans une diagonale qui traversait la pièce. Léane aurait préféré une tempête, ciel noir, la neige. Comment le soleil pouvait-il se montrer alors que sa fille était morte ? Comment des gens allaient-ils pouvoir rire, s'offrir des cadeaux d'ici à quelques heures alors qu'elle serait face au néant, dans ce trou où plus rien ne brillait ? Tel était le prix de la vérité. Savoir, c'était arrêter de mourir à petit feu, mais ça vous mettait devant le miroir dégueulasse de votre propre existence.
[...]
Léane n'arrivait pas à comprendre.
Elle avait beau essayer de se rappeler, elle n'y arrivait pas. On pouvait vivre avec, l'amnésie ne faisait pas souffrir, jusqu'à ce qu'on se rende compte que des morceaux de notre vie nous avaient été volés par notre propre esprit et ne nous seraient peut-être jamais restitués.
J’ai eu une enfance heureuse, normale, si c’est ce que vous voulez savoir. Il ne faut pas toujours chercher derrière les écrivains de thrillers des êtres tourmentés ou psychopathes.