Cette fois-ci la forêt était vierge. Nous la vîmes avancer de son élan farouche à travers les cailloux et les brumes sans une défaillance. Il n’y avait pas de chemin. Mais les pierres sur le sol devenaient bleues à force d’être grises quoique la blancheur ocre des tâches les pâlit – mais surtout elles étaient tranchantes comme les premières pierres qui n’étaient autres que des couteaux. Et immédiatement au-dessus et immédiatement à côté de ces pierres croissait une végétation traîtresse comme on la connait dans la chaleur et l’humidité. Il y avait là des mousses mais encore d’un vert qui n’étouffait pas, d’un vert assez dense pour ne pas être expansif, comme celui d’un sapin. Mais il y avait aussi toutes les fougères de toutes sortes mêlées aux buissons les plus épais aveuglants de sève, et les branches des arbres, qui entraient en nous.
Il semble qu’on aurait aimé le contact refroidissant du reptile.
Mais on la voyait avancer sans une défaillance quoique déchiquetée de toutes parts par tout. Mais il paraissait maintenant que sa nature était d’être en lambeaux comme si ce qui l’entourait l’admettait ainsi. Il n’était plus question de discerner entre lambeaux de chair ou de vêtement ou chevelure. C’était une flottante progression de formes arrachées. Il ne paraissait pas qu’elle possédât de moyens de vivre, mais comment vivaient les pierres. Et vivait-elle ? (p. 21-22)