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4,06

sur 948 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Pour devenir le Roi, il aura fallu jeter une femme, une profession, une image sociale, et s'enfermer à l'écoute des élans profonds de son être. Retrouver la beauté qu'on espère. Tiffauges aperçoit le diamant pur, encore intact, dans l'âme et le corps de l'enfant.


On craindrait de se perdre dans cet idéalisme qui sonne creux mais le parcours de Tiffauges procède d'un accomplissement qui a tous les attributs du matérialisme. Sa conversion est progressive. Sans crise mystique, elle ne résulte pas d'une crise consciente mais d'une épreuve de vie lentement destructive, érodée jusqu'à ce que l'ultime goutte d'aigreur ne vienne faire déborder un vase prêt à rompre. La seconde guerre mondiale représente cette rupture avec le monde précédent et donne la possibilité à Tiffauges d'embrasser une nouvelle vie. La réalisation spirituelle s'accomplit par le biais d'un matérialisme entier fait de corps en chair et en os, d'animaux puissants et de viande crue, d'appétit orgiaque, de fleuves de laits, de petites têtes tondues et de théorisation sanguine. Comme l'écrit Michel Tournier lui-même, ce parcours se fait comprendre comme « la destruction de toute trace de civilisation chez un homme soumis à l'oeuvre décapante d'une solitude inhumaine, la mise à nu des fondements de l'être et de la vie, puis sur cette table rase la création d'un monde nouveau sous forme d'essais, de coups de sonde, de découvertes, d'évidences et d'extases ».


La figure de saint Christophe, ce héros géant qui traversa une rivière en portant sur ses épaules un petit garçon -le Christ-, guide Tiffauges dans sa réalisation depuis sa rupture avec Rachel jusqu'à sa réalisation en tant que maître d'une Napola. Dans ces écoles paramilitaires du IIIe Reich destinées à la formation de jeunes garçons, Tiffauges apprendra qu'il ne s'était jamais connu jusqu'alors. Il n'était comme personne et il lui fallait connaître une vie comme aucune autre pour le savoir. Sa rupture avec Rachel, compagne à la fois tendre, brave et intelligente, figurait déjà l'instinct anticonformiste de Tiffauges. Ses illusions sur la sexualité et l'amour bourgeois étaient déjà mortes depuis longtemps mais il n'avait encore jamais réussi à en délaisser la pratique. Autre vie, autres moeurs. La guerre et le régime nazi lui font découvrir d'autres extases : l'alimentation crue, brute et animale, la défécation, la jouissance de se perdre jusqu'à se sentir soi, enfin la phorie. La phorie : porter littéralement et métaphoriquement, de jeunes garçons. Littéralement sur les épaules, se transformer en cheval vigoureux qui grise le cavalier. Métaphoriquement en maître, conduire le germe à son éclosion, l'enfant étant une promesse ouverte à une multitude de possibilités. En abandonnant la sexualité dans sa définition classique, Tiffauges découvre qu'il est possible de se lier plus authentiquement au monde. En vivant pour soi, rien que pour soi, sans femme qu'il faut aimer et dont il faut être aimé sous peine de perdre son sens, Tiffauges atteint la quintessence de la matière. A partir de là, la question de la révolution spirituelle ne se pose plus. Elle devient acte à son tour et nous convie à un banquet de belles chairs ondulantes, de reconnaissance pour la vie, de violence passionnée, rien qui ne contredira l'origine du nazisme mais tout qui condamnera la léthargie qui voulut s'y opposer, les compromis, et le sursaut alarmé.
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Les critiques qui ont précédé celles-ci sont éloquentes : ce roman est un chef-d'oeuvre, et cependant a heurté ma sensibilité ; parfois il m'a saisi, parfois j'aurais voulu le rejeter, dégoûté... le Roi des Aulnes m'a semblé difficile à pénétrer, et à commenter aussi... l'impression dominante qu'il me laisse est un malaise... d'où seulement trois étoiles.
Mêlant plusieurs thèmes -dont une réflexion profonde sur les racines de l'Allemagne nazie, au coeur rural et historique de pays- autour d'un personnage psychologiquement perturbé, complexe et... perturbant aussi pour le lecteur. Son parcours initiatique, qui se déroule de 1939 à 1945 dans différentes postures, n'est que prétexte à l'accomplissement de son être profond, fait d'une sensualité morbide et d'obsessions dangereuses. Chaque acte matériel, depuis la collaboration avec les médecins nazis jusqu'à l'acte défécatoire, est prétexte à symbolique ; Ogre ou Saint Christophe, Abel Tiffauges ne se laisse pas cerner par une quelconque morale, et échappe d'ailleurs toujours aux conséquences de ses actes. Chevauchant son cheval Barbe-bleue, il est Roi phorique (concept inventé pour la cause par Tournier), portant sans pudeur à son front les pulsions les plus sombres de l'Humanité, pour le pire et le meilleur.
Un roman qui pour moi n'a rien à voir avec les autres que j'ai lu de Tournier ; un roman qui m'a gêné dans ma vision du bien et du mal, un roman qui m'a troublé et contraint à reconnaître (non, monsieur le juge, je ne suis pas un pédophile en puissance !!! ) au fond de soi ces ressorts matériels et sensuels qui peuvent, si l'on n y prend garde, faire d'un homme un monstre (allégorie du nazisme donc, encore).
Un grand roman donc, sans aucun doute, à plusieurs niveaux de lecture. le tour de force de Tournier, outre la qualité de sa langue, est sans doute de nous obliger à sortir du jugement sur le bien et le mal ; il ne s'agit pas d'aimer ou de ne pas aimer, sauf à s'exposer à un malaise grandissant ; il s'agit de ressentir, comme la première fois que l'on monte à cheval...
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En lisant ce roman, nous plongeons dans la gueule du loup pendant la seconde guerre mondiale. Ce loup, personnifié par Abel Tiffauges, un français pourtant, que l'on suit à la trace et que l'on voit se transformer peu à peu.
L'histoire est intéressante, certains passages sont captivants, d'autres moins car les digressions sont nombreuses. L'écriture de Michel Tournier n'est pas toujours accessible mais a le mérite d'enrichir le vocabulaire. C'est une sorte de cours d'histoire à travers le regard d'un personnage fictif: c'est très bien construit.
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Voilà un livre complexe que l'on peut lire à plusieurs niveaux.
Le premier, le niveau purement factuel, m'a passionné : Abel Tiffauges est un gamin sans envergure, un peu méprisé et maltraité par les autres enfants. Il trouvera son protecteur, accédera à une situation professionnelle qui ne le ravit pas, jusqu'à ce que la guerre lui ouvre de nouveaux horizons, plus ou moins par hasard : prisonnier dans un premier temps, ses « qualités » le feront accéder, dans les paysages désolés et tourbeux de la Mazurie, à un poste dans une "napola", ces institutions au service du régime nazi, en charge du recrutement et de la formation de futurs militaires et cadres dirigeants.
Voilà la trame du livre. Après cela se complique. Sans doute par manque d'intérêt, j'avoue avoir été largué par le niveau philosophique qui sous-tend le roman. « Je désire simplement faire faire au lecteur de la vraie philosophie sans qu'il s'en doute » (Interview de Michel Tournier à Télérama le 5/05/1999). Et bien ici, c'était tellement appuyé que je m'en suis douté. Les notions de "phorie" (le néologisme est de Tournier), de porte-enfant, d'inversion maligne m'ont barbé. Passée la surprise, j'ai été vite lassé par la pédophilie rampante qui imprègne l'oeuvre, la fascination pour le sexe masculin encore jeune, et les tics scatologiques récurrents. Je ne mange pas de ce pain là.
Ceci dit, je reste admiratif, ayant pris un vif plaisir et beaucoup d'intérêt à la lecture du roman, tout en me limitant à son premier niveau.
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Livre extraordinaire, inclassable, bouleversant...
La beauté du dernier acte m'a particulièrement ému...Je vous laisse le découvrir si le coeur vous en dit.
Michel Tournier nous dresse le portrait d'un personnage totalement hors du commun : Abel Tiffauges. le roman se construit entièrement autour du parcours de ce héros étrange depuis le pensionnat de Saint-Christophe jusqu'à Kaltenborn, en Allemagne, dans un camp de formation para-militaire des jeunesses hitlériennes.
Ça ne fait pas vraiment rêver à priori, mais Abel ça n'est pas n'importe quel prénom, il est biblique, il est le frère nomade de Caïn, le meurtrier maudit, le sédentaire. Tiffauges dans sa version allemande peut devenir Tiefauge: l'oeil profond, celui qui sait déchiffrer les signes par le regard.
De cette trame symbolique va découler une destinée, Tiffauges n'apprend pas de ses aventures, il sait déjà ce qui doit s'accomplir.
C'est là tout le génie de ce roman, l'avènement du roi des Aulnes est inéluctable, tout concourt à cette sublime transformation d'un marginal en véritable icone mythique. Hanté par les signes il finit par devenir lui même un symbole. Tout lui parle, depuis l'enfance,tout fait écho à ses obsessions: la dualité, l'écriture sinistre, l'inversion maligne, la gémellité, la saturation, la phorie, la sensualité des corps...
Par delà le bien et le mal Tiffauges avance et rêve d'un fardeau humain, il côtoie la violence et la monstruosité ultime, si bien qu'on se demande s'il ne va pas basculer dans sa vocation ogresse. Mais il n'est pas un criminel. Peut-être est-ce un artiste dont la performance n'a pour but que son irrésistible accomplissement, ce que nous autres, les sédentaires, les enracinés, les normaux, nous appellons folie.
Incontournable !

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Quel roman magistral!

Il m'aura fallu quelques jours pour digérer... Ce livre regorgeant d'analogies, de symboles et de séquences dérangeantes. Et pourtant, à la fin, c'est un livre magistral.

Abel Tiffauges, un garagiste parisien, nous raconte son enfance à l'internat de Saint Christophe, au travers de ses "Écrits sinistres" (le nom donné à son journal intime). Enfant chétif, harcelé et méprisé, se lie d'amitié avec Nestor, fils du concierge, un géant muni de quelques passe-droits, qui va le protéger, jusqu'à son tragique décès lors d'un incendie.

C'est de cette rencontre que la personnalité d'Abel va se forger, s'assumer, avec un destin qui sera finalement tout tracé. de colombophile à porte-enfant salvateur, de se lier d'affection avec un élan aveugle à maître d'une Napola (internat de l'enseignement secondaire sous le IIIe Reich).

Quelle folle aventure romanesque... Je ne crois pas vraiment être sorti indemne de cette lecture.
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c'était en 1986 , j'allais partir au service militaire en camp disciplinaire en Allemagne , pour avoir été trop véhément lors des trois jours , et je me préparais durement chez une amie , pour me faire réformer le plus vite possible , en réduisant nourriture , sommeil tous les jours un peu plus , journées que je passais à lire et c'est à ce moment là que je suis tombé sur ce roman qui m'a fait voyager loin de mon repaire et de mes repères d'adolescent attardé . je découvrais à cette occasion un auteur , un style et une histoire extraordinaire ....
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Quel livre étrange que celui-ci...
A travers le prisme d'une personnalité dérangée et dérangeante, une vie nous est contée. La narrateur se raconte, lui qui se croit ogre et lit tous les signes que la vie lui apporte comme une confirmation de son origine ogresse. Il traverse L Histoire qu'il ne voit qu'au travers de sa version symbolique des faits et de son attirance quasi mystique pour l'enfant, son innocence et sa chair fraîche. On frôle le morbide sans y sombrer, on effleure la beauté avec une conscience aiguë de sa fragilité. Tout est analysé, répertorié. Les signes et les symboles nous parlent en permanence et sont décortiqués sans fin, créant une atmosphère d'érudition ésotérique, rationnellement folle.
Tout est là et tout est son contraire, les choses sont belles puis s'inversent. L'ogre mène ou suit sa barque. Sa vie devient destin.
L'ogre s'entoure de jeunes enfants, les reniflent et les mesurent, les enferment et les portent aux nues.
Tout semble folie dans ce monde dévasté par la guerre.
Abel Tiffauges est maître de son monde si particulier.
Suivez le guide.
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Le prix Goncourt De 1970 le Roi des Aulnes a été attribué à l'unanimité à son auteur. Ce roman emprunte son titre à un célèbre poème de Goethe qui évoque le rapt mythique d'un enfant, et ici, raconte l'histoire d'Abel Tiffauges, de son enfance lorsqu'il est interne au collège Saint Christophe à Beauvais, jusqu'à sa fuite dans les marais en Prusse orientale en 1945 pour échapper aux nazis et à l'avancée de l'armée soviétique. L'auteur intègre au récit, le journal intime du personnage que lui-même nomme « écrits sinistres ».
Abel est un petit garçon timide, qui devient le souffre douleur de l'élève Palsenaire, son ainé, jusqu'à ce que d'après son principe d'« inversion » des valeurs, il devienne le protégé de Nestor, fils du concierge de l'établissement. Abel, sera garagiste de métier, photographe amateur passionné, ayant une attirance obsessionnelle des enfants mais sans dérive pédophile. Ce penchant lui vaudra une accusation calomnieuse. La mobilisation en 1939 lui permet d'échapper à la prison. Fait prisonnier en Allemagne, il pense que son destin est ici.
Michel Tournier dit « quand j'écris un livre, il y 2 ans d'enquête et 2 ans de rédaction ». Il a lu les quarante-deux volumes du procès de Nuremberg, a rencontré l'ancien chef des jeunesses hitlériennes ainsi que le chef des Napola (écoles militaires créées par la Schutzstaffel). Il a ainsi récolté une matière dense qu'il utilise pour écrire avec précision sur le régime de Hitler, incorporant des faits historiques antérieurs et bien réels qui illustrent la trame des événements.
C'est un livre qui associe réalisme et symbolisme. L'enfant et l'adulte resteront influencés par le souvenir, de Nestor à l'internat qui l'avait porté sur ses épaules. Il gardera ainsi toujours à l'esprit la représentation de St Christophe qui symboliquement porte le Christ, c'est l'acte de phorie. Il fera de la figure du portage son cheminement et elle la conduira vers son destin.
Il utilise aussi le symbole de l'ogre (prédateur), par son nom Tiffauges qui est celui d'un château de Gilles de Rais, « barbe bleue » nom qu'il cédera à son cheval en Allemagne, barbe bleu ; ogre aussi quand il devient garde-chasse chez Goering, puis recruteur d'enfants pour les écoles de jeunes S.S.
Les références bibliques sont nombreuses, à commencer par son prénom Abel, tué par son frère Caïn.
Ce n'était pas un roman de tout repos, mais une référence à lire !

Lien : https://www.babelio.com/conf..
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Abel Tiffauges, une enfance isolée, une vie sans amour, va se créer un destin, qu'il va lire dans des signes qu'il voit sur son chemin, c'est l'univers lui même qui lui parle: ce qui lui vaut un optimisme à toute épreuve! Pour lui... Pour nous c'est plus une sensation de malaise qui s'en dégage, car son destin s'articule autours de plusieurs obsessions: les jeunes enfants, leurs corps qu'il adule et idéalise, La Phorie, néologisme utilisé pour désigner l'action de porter et notamment les enfants, thème qu'il retrouve dans plusieurs interprétations religieuses, la défécation comme acte créatif par l'homme de matière organique noble, un symbole de retour à la terre.
Sa destinée va le conduire jusqu'aux confins de l'Allemagne nazi, en passant par les pigeonniers d'Erstein, les camps de travail avec les prisonniers de guerre français, la réserve de chasse de Rominten..

J'y ai trouvé des similitudes avec "Une prière pour Owen" d'Irving: on ne voit trop le lien entre tout ça jusqu'au moment où ...

Ne vous laissez pas décourager par un début de lecture qui peut sembler parfois difficile, les écrits sinistres sont parfois bien longuets, mais la globalité de l'oeuvre vaut effectivement la peine d'être découverte dans son intégralité!
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