Qu'est-ce qu'une chute libre d'eurocrate ? Oh, pas grand-chose, à peine un frémissement, poli, contenu, stupéfait, résigné. de cet état minimum, et avec une simple clé USB, délicieusement déjà obsolète,
Jean-Philippe Toussaint vient de faire un thriller cyberpolitique haletant, mais certainement pas pour les raisons que les lecteurs de John le Carré s'imaginent. Comment a-t-il fait ? Et d'abord, un roman sur fond de nouvelles technologies et de Commission européenne, aux éditions de Minuit ? il devait y avoir un truc. Et la dernière partie vous le dévoile, oui, ce « truc ».
Le narrateur, chef d'une unité de prospective à la Commission européenne (ne partez pas, c'est fait exprès) nous raconte comment, approché par des lobbyistes, il s'est retrouvé en Chine quasi clandestinement, à tenter de comprendre le minage de bitcoins et les perspectives de la blockchain, le tout savamment expliqué aux plus nuls dont on perçoit légèrement que notre bon narrateur expert en ferait bien un peu partie, dans un grand bluff généralisé où l'on se doit de comprendre et appliquer – du moins de mourir plutôt que d'avouer n'en avoir aucune envie – à l'échelle d'un continent des sciences folles qui mutent de mois en mois.
Dans le récit saccadé, obstiné de cette aventure de 190 pages, rien ne se consomme impunément. À la frénésie qui semble inévitable, la tournure inquiétante, la vitesse que prennent les événements,
Jean-Philippe Toussaint oppose une densité non négociable, parfaitement claire et sobre, mais truffée des détails les plus anodins de notre vie technologique, sans aucun transport, sans parti pris féroce, une simple démonstration pratiquement exhaustive du quotidien d'un haut fonctionnaire, dont la toute dernière partie finit d'achever, le terme est choisi, le tableau.
C'est un roman tout à fait feutré, étouffé. J'adore lorsque la forme se coule exactement sur le contenu. Il a réussi à forger un style d'ascenseur d'hôtel chinois interdisant la connexion internet, et de MacBook de deux générations de retard, sans jamais que nous, nous décrochions. C'est le sentiment diffus de tout utilisateur de tech lambda, même hautement qualifié, qui a appris et intégré la pondération, l'endurance et le lisse parfait à opposer à toute difficulté apparente, et ne se laisse pas facilement décontenancer par une nouvelle évolution de son matériel, mais enfin, finit par fatiguer, à la longue, sur cette autoroute sans fin où il semble ne jamais vraiment réussir à obtenir le permis. de l'Europe, évidemment, il sera sans cesse question, et de sa juste place dans cette course à l'armement, et toujours avec finesse, il s'agira ici de savoir si vous arriverez à l'heure pour les soins palliatifs, si vous passerez ou non à côté de l'essentiel.
Et c'est absolument réjouissant comme, sans fioritures et sans posture, n'ayant nul besoin de la satire mais avec les termes exacts et pesés (quel plaisir de croiser « faconde », ou « impétueux », là où rien d'autre n'aurait pu convenir), nous sommes souffle court, à tenter de comprendre ce qui se trame, pour finir par jubiler, lorsque « rien » devient une réponse non pas désolée et désabusée, mais le givre blanc, définitif, qui recouvre brutalement la Plaine finale de Bruxelles, et son personnage hébété. Il fallait enfin, grâce à un romancier infiltré et doué, que l'on comprenne tout, de ces nouvelles technologies. Qu'on les résume. Qu'on en vienne par nous-mêmes, grâce au refus inspiré de Toussaint d'intervenir dans notre pérégrination, à prendre ces vessies pour ce qu'elles sont. Et ce qu'elles nous font.