L'affaire Nobel

"  Je suis surpris qu’un homme puisse être envoyé en prison sans aucune preuve substantielle. Nous vivons une période dangereuse. " Il compare la femme qui l’accuse au témoin qui après la Révolution française accusa Marie-Antoinette d’inceste avec ses enfants.

C’est important les rituels, quand le monde s’écroule autour de vous. Cela donne l’impression que tout est encore en ordre, que l’on garde le contrôle. Cette fois-ci encore, le rituel est respecté. L’Académie publie sur son site internet le communiqué suivant : elle reporte le prix Nobel de littérature 2018. Reporte, n’annule pas.

À l’Académie suédoise, on aime rire. Certains explosent même de rire, à gorge déployée. Mais dans une explosion, ce n’est pas toujours l’impact lui-même qui est le plus dévastateur.

C’est une expression de la défiance envers l’élite. Une révolte sans gilets, mais une révolte quand même. Le nœud lavallière en place du gilet jaune.

On parle de corruption d’amitié, de tentatives de passer sous silence des crimes graves, de violation contre les règles de conflits d’intérêts, de valeurs machistes rances et d’excès d’arrogance.

 "Le génie et le goût " se transforme en « Le génie et la honte ». Les génies sont sur la photo, écrit la chroniqueuse. Ceux qui restent sont la honte.

J’ai encore peur quand je me rends à Stockholm. Avoir été une de ses jeunes proies est stigmatisant. On est estampillée. J’ai le sentiment que les gens dans le monde de la culture… Tout le monde sait, et tout le monde a su. Mais ils se voilent la face, veulent ignorer l’ampleur du malaise. 

Une femme suédoise, trois enfants nés en Suède. Ça compte. Ça ne m’a jamais empêché d’écrire ce que j’avais à écrire sur les dessous peu reluisants de ce modèle qui, au nom de l’intérêt collectif, peut se montrer impitoyable avec des individus. Mais ça compte, ça engage. Ça oblige à ne pas se contenter du petit bout de la lorgnette.

Vu de l’étranger, la Suède bénéficie d’une image plutôt lisse et paisible qui en fait, selon le point de vue, un modèle ou un repoussoir, mais les Suédois savent que leur pays n’échappe pas aux bouleversements du monde et aux tracas de l’âme. Désormais les faits divers s’y succèdent, les coups fourrés et les révélations embarrassantes aussi, que l’on pensait inimaginables dans ce cher royaume du Nord.

Le Nobel est le seul prix de littérature au monde qui, une fois l’an, fait parler de littérature aux quatre coins de la planète. S’il n’avait qu’un mérite, au-delà des commentaires qui accompagnent chaque annonce, il se suffirait déjà à lui-même. L’annonce du Nobel, un jeudi en octobre, pourrait même devenir l’occasion de marches pour le livre, de fêtes du livre dans le monde entier, à la façon de la fête de la Musique ou de la Sant Jordi à Barcelone, un événement unificateur à l’échelle du globe autour du pouvoir des mots. C’est ça la puissance du Nobel.