Eperdu d'admiration, il avait cherché les mots les plus beaux de la langue française pour écrire, juste pour elle, un poème d'amour transcrit sur un parchemin enrubanné, et le lui avait offert pour ses vingt ans, le 5 mai 1770. Mais la jeune femme avait eu la délicatesse de lui faire clairement comprendre que son coeur n'était pas libre et qu'il était inutile qu'il s'accrochât davantage à un rêve impossible.
On la disait belle, et bien qu'elle ait peu de temps à consacrer à la coquetterie, elle portait sa beauté comme une nonne pudique, insouciante de la puissance de l'attrait qu'elle exerçait sur ceux qui la côtoyaient. Elle allait dans la vie sans se bâdrer des regards attendris posés sur elle. Seul l'amour d'Henry suffisait à la combler. Elle avait toujours cette démarche assurée d'une jeune femme confiante; sa taille s'était affinée et, malgré les larmes versées, ses yeux rieurs avaient retrouvé leur éclat avec le temps.
La mendicité de ces femmes n'était plus une honte, et désormais une vie décente devenait pour elles un défi à surmonter, un but à atteindre, patiemment, comme on monte un escalier, une marche à la fois.
Les confidences naquirent entre une corvée de vaisselle, un enfant à laver, une paillasse à retourner, un regard échangé. Sa simplicité et sa discrétion savaient ouvrir les coeurs fermés à la tendresse; elle décodait les demi-mots, les phrases inachevées, les regards fuyants, les ecchymoses dissimulées sous les longues jupes.
La fièvre allait et venait alors que les pustules, qui couvraient tout son corps minuscule, la démangeaient comme si des milliers de fourmis s'affairaient sans cesse sur elle.
Celle qui revient de loin - Monique Turcotte, auteure