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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Quel est le point commun entre Stanley Kubrick, Barack Obama et John Fitzgerald Kennedy ? Ils font tous partie, de près ou de loin, d'une théorie complotiste. 
6 % des Américains croient que l'alunissage était un faux tourné par Stanley Kubrick, presque autant pensent que Barack Obama est né au Kenya et bien davantage encore sont certains que Kennedy a été la victime du complexe militaro-industriel qui dirige et façonne l'Amérique en coulisses.
James Tynion IV reprend à son compte ces différentes théories du complot et s'entoure de Martin Simmonds et d'Aditya Bidikar pour une nouvelle série audacieuse chez Image Comics : Department of Truth.
Tout est réel…
Au bord du monde réunit les 5 premiers numéros de la série chez Urban Comics et nous entraîne à la suite de Cole Turner, un agent spécial du FBI qui étudie depuis pas mal d'années les théories complotistes pullulant sur le web. Un jour, Cole est invité à une étrange soirée des adeptes de la théorie de la Terre plate dans laquelle Kenneth et Bertram Boulet, deux riches blancs américains proches de l'Alt-Right, lui proposent de lui montrer des preuves de cette thèse pour le moins absurde. Sceptique mais curieux, Cole décolle à bord d'un jet privé et arrive bientôt à la fin du monde. Intercepté avant de découvrir le fin mot de l'histoire, il découvre finalement que le monde tel qu'il le connaît est beaucoup (beaucoup) plus complexe qu'il ne le croit…et surtout qu'il appartient désormais à l'un des services les plus opaques des services secrets américains : le Département des Vérités. 
James Tynion IV fait le pari fou et osé d'entremêler les différentes théories complotistes qui fleurissent à travers les réseaux sociaux pour nous avouer une vérité dérangeante : tout est vrai. Enfin, presque.
L'idée géniale au coeur de Departement of Truth, c'est que la vérité est une chose malléable, subjective, poreuse. Dans le monde imaginé par l'américain, plus une théorie trouve d'adeptes et plus elle influe sur le réel.
Plus le nombre de gens qui croient à la théorie de la Terre plate enfle et plus la Terre…devient plate ! Pour garder le contrôle, il faut donc réguler ces théories, les complexifier pour empêcher leur viralité et les disqualifier voire même les orienter dans le sens qui sert le bien commun.
… Rien n'est réel !
Dès lors, tout y passe. La Terre plate (#1), les cultes sataniques (#2), les crisis actors (#3), les Qanon (#4)et même les Reptiliens (#5) sans oublier l'assassinat de JFK qui sert de complot-modèle à toute la série. 
James Tynion IV s'appuie sur le trait génial et profondément sombre/inquiétant de Martin Simmonds pour délivrer une histoires à tiroirs où l'on essaie de relier les points de la même façon que les fondus de complots eux-mêmes. L'imaginaire qui en résulte devient malsain, glauque, dérangeant. Il titille une partie de notre cerveau qui refuse de croire et qui, pourtant, réagit malgré elle. 
En digne héritier de Ben Templesmith, Martin Simmonds sublime l'histoire racontée et la traverse de figures mémorables, notamment la mystérieuse femme en rouge ou le sinistre Star-faced man. 
Ce qui impressionne pourtant, au-delà de l'aspect graphique si particulier et pourtant si réussi, c'est la densité de réflexion qui traverse l'oeuvre de James Tynion IV.
Qu'est-ce que la Vérité ?
C'est la vaste question qui va occuper les protagonistes de Department of Truth. À qui appartient-elle ? Est-elle définit par la majorité ? En faisant allusion à cette célèbre maxime qui veut que L Histoire est écrite par les vainqueurs, James Tynion IV s'interroge sur ce qui permet d'affirmer le réel et d'en définir les contours.
Si nous étions une majorité à croire que la Terre est plate, le serait-elle pour autant, au moins d'un point de vue strictement civilisationnel ?
En ajoutant des couches de complots sur des couches de complots, Departement of Truth inquiète quant à la fragilité de notre univers, une fragilité d'autant plus remise en question à l'heure actuelle avec la véritable infodémie de fake news qui nous entoure et qui semble fracturer le monde en deux, déconnectant une partie des gens du réel. 
Pour parfaire son exercice de style, le scénariste américain base sa propre intrigue sur… une théorie du complot ! Qu'est-ce que le Département des Vérités si ce n'est une nouvelle variation en mode Deep State et autres agences de contrôle gouvernementales ? Par un habile tour de passe-passe, le #5 expose le point de vue de l'inquiétant adversaire du Département : Black Hat. Et le malaise s'installe… Cole est-il du bon côté ? Y a-t-il même un bon coté tout ça…une bonne vérité ? Jusqu'au bout du bout, James Tynion IV fait douter le lecteur, le questionne sur son rapport au réel et à la vérité. 
Et si tout cela n'était qu'un mensonge pour garder le contrôle ?

Avec ce premier tome fascinant et incroyablement intelligent, Departement of Truth s'installe d'emblée parmi les séries les plus importantes à l'heure actuelle dans le petit monde du comics indépendant ! James Tynion IV construit une histoire passionnante et bourrée de subtilités tandis que Martin Simmonds confirme qu'il est un immense dessinateur en devenir.
Vivement la suite !
Lien : https://justaword.fr/the-dep..
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Il n'y a pas de vérité.
-
Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il regroupe les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2020/2021, écrits par James Tynion IV, dessinés, encrés et mis en couleurs par Martin Simmonds. Seul le lettrage a été confié à une autre personne : Aditya Bidikar.

À Dallas, au Texas, le 22 novembre 1963, à 19h55, Lee Harvey Oswald est interrogé par la police. Il demande à bénéficier d'un avocat. Il indique qu'il ne sait pas de quoi il s'agit, qu'il travaillait dans ce bâtiment, ce qui explique qu'il s'y trouvait, qu'il a vécu quelques temps en Union des Républiques Socialistes Soviétiques, mais qu'il ne fait que servir de bouc émissaire. Pour la troisième fois, un policier lui demande s'il a tué le président. L'interrogatoire est interrompu par l'arrivée de deux individus en costume noir, avec chapeau de feutre à large bord. Ils indiquent qu'ils ont besoin de la pièce, et que ce n'est pas une requête. Les policiers sortent, les laissant seuls avec Oswald. Ce dernier se demande ce que les gens vont penser, ce qu'ils vont croire qu'il a fait. L'un des hommes en noir s'est assis, a posé son chapeau et s'allume une cigarette. Il explique qu'il a été envoyé ici pour dire à Oswald ce qui va se passer, et il lui demande de prononcer la phrase s'il s'en souvient. Oswald la prononce : le haut est bas, et le bas est en haut. Au temps présent, l'agente Ruby conduit la voiture de service, l'agent Cole Turner se trouvant sur le siège passager. Ils se dirigent vers la Bibliothèque du Congrès, à Washington. Elle lui demande de ne pas vomir dans la voiture. Une fois arrivés, il lui demande si elle va le tuer.

Ruby amène Cole Turner dans une grande pièce avec une table toute simple au milieu. Il s'assoit en face d'un individu âgé aux cheveux blancs, en train de fumer, avec un cendrier devant lui. le chef lui demande s'il sait pourquoi il est là. Cole répond : il a vu quelque chose qui ne peut pas exister, et maintenant le chef et l'agente vont le tuer. le chef continue les questions : fait-il bien partie du FBI ? Oui. Est-il professeur à Quantico ? Oui, et il a fait un peu de terrain également. Il donne des cours de de surveillance d'Internet, des forums de communautés de suprématistes blancs d'extrême droite, mais aussi de théories de la conspiration. le chef souhaite en savoir plus et lui répète que Cole n'est là que pour qu'il puisse lui poser des questions, pas pour le tuer. Turner explique que ces individus croient que le système est conçu pour leur être défavorable, ce qui les rend vulnérables à la manipulation. Il étudie ce type de vulnérabilité. C'est la raison pour laquelle il s'est rendu à une convention sur la théorie de la Terre Plate. Néanmoins, il attire l'attention du chef sur le fait qu'il n'a pas beaucoup dormi ce week-end et qu'il a un peu bu, ce qui fait qu'il n'a pas confiance dans ses souvenirs. le chef se montrant insistant, il raconte sa participation à la convention.

Une couverture qui relève du photomontage et d'un gros travail infographique, une évocation de l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy (1917-1966), un titre de série qui promet la recherche de la vérité = un mélange de théorie du complot et de réaction à l'air du temps (en particulier les vérités alternatives du quarante-cinquième président des États-Unis). La scène d'ouverture a retenu une partie graphique très affirmée : 3 pages d'interrogatoire, avec des visages un peu flous, noyés sous des traits de pinceaux créant des zones blanches, sépia, grises. La mise en scène est assez basique : une alternance de champ et de contrechamp, la caméra se fixant sur la personne en train de parler, le plus souvent en gros plan. le lecteur fait le compte : 11 pages de discussion en alternance de gros plans dans l'épisode 1, ce qui colore fortement l'impression du lecteur pour les épisodes suivants. Effectivement, le scénariste privilégie fortement les scènes de discussions, en veillant quand même à ce qu'elles ne prennent pas toutes la forme de deux personnes assises à une table. L'artiste est donc amené à dessiner différents lieux, mais eux aussi recouverts de couleurs et d'effets spéciaux qui diminuent d'autant la perception des détails dans chaque dessin. Cette sensation de discussion statique est encore accentuée par des plans fixes réguliers, voire par des répétitions d'images.

Côté intrigue, le scénariste a adopté une trame simple : un nouveau est recruté et il découvre petit à petit les règles du jeu. Il est possible que le lecteur remarque que l'auteur utilise très exactement le mécanisme qu'il dénonce : Cole Turner se retrouve au beau milieu d'un véritable service secret qui a pour objectif de mettre à nu la vérité, ou au moins de la maintenir. Tynion IV s'attaque aux complots fumeux en en mettant un en oeuvre : il existe une organisation gouvernementale officieuse, cachée au grand public qui veille sur la vérité. Il est également possible qu'il estime que l'utilisation de certaines théories du complot soit complaisante : le rôle du complexe militaro-industriel dans l'assassinat de JFK (1917-1963), l'objectif réel de Jack Ruby (1911-1967) dans l'assassinat de Lee Harvey Oswald (1939-1963), la preuve que les images de l'alunissage et du premier pas de l'homme sur la Lune ont été tournées en studio, l'absence de certificat de naissance de Barack Obama, etc. Est-il possible de prendre plaisir à la lecture d'une telle histoire qui semble fonction sur le principe de Faites ce que je dis, pas ce que je fais ?

Quoi qu'il en soit, ce dispositif fonctionne très bien, entre mystères et révélations, le lecteur se laisse prendre. D'autant que le scénariste ne se contente pas de passer d'une révélation à l'autre : Cole Turner est confronté à une preuve que la Terre est réellement plate, quand il fait partie d'un voyage en jet privé d'une poignée de convaincus et qu'il est effectivement déposé là où la Terre s'arrête et rejoint le ciel. Puis il a droit à une visite aux archives dans un des 12 sous-sols du Service de la Vérité. Il mène deux enquêtes avec sa partenaire Ruby, et il doit arrêter deux journalistes qui sont près de découvrir une preuve de l'existence du Service de la Vérité. D'ailleurs, le lecteur se rend compte progressivement que l'artiste conçoit des pages et des illustrations variées, abandonnant la plupart du temps la mise en scène à base de champ et de contrechamp. Cela commence avec le quartier de la Librairie du Congrès vue du ciel. Puis il y a la découverte de l'extrémité de la Terre, l'individu Starface avec un pentagramme tracé en rouge sur son visage, en train de manger un nourrisson, le petit déjeuner entre Cole et son conjoint Matty, le petit-déjeuner avec des pancakes entre Cole et Ruby, etc. Dans ces occasions, l'artiste réalise de véritables compositions, choisissant ce qu'il représente, certains éléments étant proche de la photographie, d'autres étant totalement déformés, hors de proportion.

Après quelques séquences, le lecteur mesure à quel point Martin Simmonds sait se saisir d'images passées dans l'inconscient collectif, et manipuler des éléments symboliques, dans des pages qui associent découpage en bande traditionnelle, et collage dans une illustration en pleine page ou en double page. L'épisode 3 est remarquable de ce point de vue. Cela commence par un visage en pleine page, mais strié de lignes rouges horizontales, courant sur des bandeaux horizontaux de couleurs différentes appliquées de manière non uniforme, floutant la perception du dessin du visage en arrière-plan, avec une surimposition par endroit, pour un effet très troublant, annonçant de la retouche d'images vidéo. le lecteur a déjà assimilé la nature de la manipulation de l'information télévisée, avant même d'avoir commencé à lire une cellule de texte. Les 5 pages suivantes reprennent une disposition en bande. La page d'après reprend une forme un collage très sophistiqué mêlant la silhouette d'une jeune mère, avec la photographie de son enfant, sur fond de motif évoquant ceux du drapeau américain, avec des pistolets à la pace des étoiles et des photographies incrustées dans les bandes rouges et blanches. En vis-à-vis, se trouve une page à la composition tout aussi épatante : une case de la hauteur de la page faisant apparaître la solitude de la mère, et 7 cases en bande verticale, comme une sorte de film.

D'un côté, certains lecteurs pourront s'irriter de la narration visuelle maniérée ; de l'autre côté, l'artiste sait manier l'impressionnisme et l'expressionnisme avec pertinence. Cela apporte des sensations et une profondeur de champ au scénario, interagissant avec lui pour en faire s'exprimer des nuances, des liens qui vont au-delà des mots et des actions. Finalement, le lecteur se dit que l'intégration de Cole Turner dans une conspiration le met dans le même sac que les théories du complot qu'il démonte, le scénariste indiquant ainsi que le Service de la Vérité ne révèlera pas plus de vérités cachées que les théories du complot. Une fois ce point de vue adopté, le lecteur devient alors plus sensible aux autres éléments de réflexion contenus dans le récit : les déclarations tonitruantes de scientifiques autodidactes, l'application du concept de Tulpa, l'incidence sur la réalité de convictions erronées (l'affaire de la panique satanique dans les écoles), l'horreur des sites de discussion convaincus que des acteurs jouent le rôle de victimes dans des drames médiatisés, les amalgames délirants (ils vont nous prendre nos armes à feu, restreindre nos libertés), la nature marchande de l'information depuis l'invention de l'imprimerie, les croyances de la majorité qui devraient s'imposer conformément au principe de fonctionnement de la démocratie, jusqu'à en modifier la réalité. Finalement la réflexion sur la manipulation de l'information s'avère plus sophistiquée que la simple mise en place d'une autre théorie du complot tout aussi en toc que les autres, partant du principe qu'il n'y a rien de plus dangereux qu'une histoire simple, que ces complots permettent de rejeter les aspects trop compliqués de la vie, trop abstraits. Et puis comment résister à l'attrait d'une bande dessinée avec un personnage qui porte avec sérieux son chapeau conique en aluminium.

En surface, cette bande dessinée a tout pour laisser croire qu'il s'agit d'un ouvrage opportuniste et artificiel sur les théories du complot, les dénonçant tout en les mettant à profit, pour en créer une nouvelle. Une fois dépassée cette première impression, le lecteur mesure mieux l'ambition bien maîtrisée de la narration visuelle, ainsi que le propos plus réfléchi du scénariste, avec une intrigue fonctionnant sur la dynamique d'une enquête promettant des révélations. Cette lecture s'avère d'autant plus enrichissante que les auteurs ne sont pas dupes sur le positionnement de leur propre pays : rien ne vaut une guerre éternelle, avec un renouvellement d'ennemis pour assurer l'unité du pays contre une menace, fabriquée pour remplir cette fonction.
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Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il regroupe les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2020/2021, écrits par James Tynion IV, dessinés, encrés et mis en couleurs par Martin Simmonds. Seul le lettrage a été confié à une autre personne : Aditya Bidikar.

À Dallas, au Texas, le 22 novembre 1963, à 19h55, Lee Harvey Oswald est interrogé par la police. Il demande à bénéficier d'un avocat. Il indique qu'il ne sait pas de quoi il s'agit, qu'il travaillait dans ce bâtiment, ce qui explique qu'il s'y trouvait, qu'il a vécu quelques temps en Union des Républiques Socialistes Soviétiques, mais qu'il ne fait que servir de bouc émissaire. Pour la troisième fois, un policier lui demande s'il a tué le président. L'interrogatoire est interrompu par l'arrivée de deux individus en costume noir, avec chapeau de feutre à large bord. Ils indiquent qu'ils ont besoin de la pièce, et que ce n'est pas une requête. Les policiers sortent, les laissant seuls avec Oswald. Ce dernier se demande ce que les gens vont penser, ce qu'ils vont croire qu'il a fait. L'un des hommes en noir s'est assis, a posé son chapeau et s'allume une cigarette. Il explique qu'il a été envoyé ici pour dire à Oswald ce qui va se passer, et il lui demande de prononcer la phrase s'il s'en souvient. Oswald la prononce : le haut est bas, et le bas est en haut. Au temps présent, l'agente Ruby conduit la voiture de service, l'agent Cole Turner se trouvant sur le siège passager. Ils se dirigent vers la Bibliothèque du Congrès, à Washington. Elle lui demande de ne pas vomir dans la voiture. Une fois arrivés, il lui demande si elle va le tuer.

Ruby amène Cole Turner dans une grande pièce avec une table toute simple au milieu. Il s'assoit en face d'un individu âgé aux cheveux blancs, en train de fumer, avec un cendrier devant lui. le chef lui demande s'il sait pourquoi il est là. Cole répond : il a vu quelque chose qui ne peut pas exister, et maintenant le chef et l'agente vont le tuer. le chef continue les questions : fait-il bien partie du FBI ? Oui. Est-il professeur à Quantico ? Oui, et il a fait un peu de terrain également. Il donne des cours de de surveillance d'Internet, des forums de communautés de suprématistes blancs d'extrême droite, mais aussi de théories de la conspiration. le chef souhaite en savoir plus et lui répète que Cole n'est là que pour qu'il puisse lui poser des questions, pas pour le tuer. Turner explique que ces individus croient que le système est conçu pour leur être défavorable, ce qui les rend vulnérables à la manipulation. Il étudie ce type de vulnérabilité. C'est la raison pour laquelle il s'est rendu à une convention sur la théorie de la Terre Plate. Néanmoins, il attire l'attention du chef sur le fait qu'il n'a pas beaucoup dormi ce week-end et qu'il a un peu bu, ce qui fait qu'il n'a pas confiance dans ses souvenirs. le chef se montrant insistant, il raconte sa participation à la convention.

Une couverture qui relève du photomontage et d'un gros travail infographique, une évocation de l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy (1917-1966), un titre de série qui promet la recherche de la vérité = un mélange de théorie du complot et de réaction à l'air du temps (en particulier les vérités alternatives du quarante-cinquième président des États-Unis). La scène d'ouverture a retenu une partie graphique très affirmée : 3 pages d'interrogatoire, avec des visages un peu flous, noyés sous des traits de pinceaux créant des zones blanches, sépia, grises. La mise en scène est assez basique : une alternance de champ et de contrechamp, la caméra se fixant sur la personne en train de parler, le plus souvent en gros plan. le lecteur fait le compte : 11 pages de discussion en alternance de gros plans dans l'épisode 1, ce qui colore fortement l'impression du lecteur pour les épisodes suivants. Effectivement, le scénariste privilégie fortement les scènes de discussions, en veillant quand même à ce qu'elles ne prennent pas toutes la forme de deux personnes assises à une table. L'artiste est donc amené à dessiner différents lieux, mais eux aussi recouverts de couleurs et d'effets spéciaux qui diminuent d'autant la perception des détails dans chaque dessin. Cette sensation de discussion statique est encore accentuée par des plans fixes réguliers, voire par des répétitions d'images.

Côté intrigue, le scénariste a adopté une trame simple : un nouveau est recruté et il découvre petit à petit les règles du jeu. Il est possible que le lecteur remarque que l'auteur utilise très exactement le mécanisme qu'il dénonce : Cole Turner se retrouve au beau milieu d'un véritable service secret qui a pour objectif de mettre à nu la vérité, ou au moins de la maintenir. Tynion IV s'attaque aux complots fumeux en en mettant un en oeuvre : il existe une organisation gouvernementale officieuse, cachée au grand public qui veille sur la vérité. Il est également possible qu'il estime que l'utilisation de certaines théories du complot soit complaisante : le rôle du complexe militaro-industriel dans l'assassinat de JFK (1917-1963), l'objectif réel de Jack Ruby (1911-1967) dans l'assassinat de Lee Harvey Oswald (1939-1963), la preuve que les images de l'alunissage et du premier pas de l'homme sur la Lune ont été tournées en studio, l'absence de certificat de naissance de Barack Obama, etc. Est-il possible de prendre plaisir à la lecture d'une telle histoire qui semble fonction sur le principe de Faites ce que je dis, pas ce que je fais ?

Quoi qu'il en soit, ce dispositif fonctionne très bien, entre mystères et révélations, le lecteur se laisse prendre. D'autant que le scénariste ne se contente pas de passer d'une révélation à l'autre : Cole Turner est confronté à une preuve que la Terre est réellement plate, quand il fait partie d'un voyage en jet privé d'une poignée de convaincus et qu'il est effectivement déposé là où la Terre s'arrête et rejoint le ciel. Puis il a droit à une visite aux archives dans un des 12 sous-sols du Service de la Vérité. Il mène deux enquêtes avec sa partenaire Ruby, et il doit arrêter deux journalistes qui sont près de découvrir une preuve de l'existence du Service de la Vérité. D'ailleurs, le lecteur se rend compte progressivement que l'artiste conçoit des pages et des illustrations variées, abandonnant la plupart du temps la mise en scène à base de champ et de contrechamp. Cela commence avec le quartier de la Librairie du Congrès vue du ciel. Puis il y a la découverte de l'extrémité de la Terre, l'individu Starface avec un pentagramme tracé en rouge sur son visage, en train de manger un nourrisson, le petit déjeuner entre Cole et son conjoint Matty, le petit-déjeuner avec des pancakes entre Cole et Ruby, etc. Dans ces occasions, l'artiste réalise de véritables compositions, choisissant ce qu'il représente, certains éléments étant proche de la photographie, d'autres étant totalement déformés, hors de proportion.

Après quelques séquences, le lecteur mesure à quel point Martin Simmonds sait se saisir d'images passées dans l'inconscient collectif, et manipuler des éléments symboliques, dans des pages qui associent découpage en bande traditionnelle, et collage dans une illustration en pleine page ou en double page. L'épisode 3 est remarquable de ce point de vue. Cela commence par un visage en pleine page, mais strié de lignes rouges horizontales, courant sur des bandeaux horizontaux de couleurs différentes appliquées de manière non uniforme, floutant la perception du dessin du visage en arrière-plan, avec une surimposition par endroit, pour un effet très troublant, annonçant de la retouche d'images vidéo. le lecteur a déjà assimilé la nature de la manipulation de l'information télévisée, avant même d'avoir commencé à lire une cellule de texte. Les 5 pages suivantes reprennent une disposition en bande. La page d'après reprend une forme un collage très sophistiqué mêlant la silhouette d'une jeune mère, avec la photographie de son enfant, sur fond de motif évoquant ceux du drapeau américain, avec des pistolets à la pace des étoiles et des photographies incrustées dans les bandes rouges et blanches. En vis-à-vis, se trouve une page à la composition tout aussi épatante : une case de la hauteur de la page faisant apparaître la solitude de la mère, et 7 cases en bande verticale, comme une sorte de film.

D'un côté, certains lecteurs pourront s'irriter de la narration visuelle maniérée ; de l'autre côté, l'artiste sait manier l'impressionnisme et l'expressionnisme avec pertinence. Cela apporte des sensations et une profondeur de champ au scénario, interagissant avec lui pour en faire s'exprimer des nuances, des liens qui vont au-delà des mots et des actions. Finalement, le lecteur se dit que l'intégration de Cole Turner dans une conspiration le met dans le même sac que les théories du complot qu'il démonte, le scénariste indiquant ainsi que le Service de la Vérité ne révèlera pas plus de vérités cachées que les théories du complot. Une fois ce point de vue adopté, le lecteur devient alors plus sensible aux autres éléments de réflexion contenus dans le récit : les déclarations tonitruantes de scientifiques autodidactes, l'application du concept de Tulpa, l'incidence sur la réalité de convictions erronées (l'affaire de la panique satanique dans les écoles), l'horreur des sites de discussion convaincus que des acteurs jouent le rôle de victimes dans des drames médiatisés, les amalgames délirants (ils vont nous prendre nos armes à feu, restreindre nos libertés), la nature marchande de l'information depuis l'invention de l'imprimerie, les croyances de la majorité qui devraient s'imposer conformément au principe de fonctionnement de la démocratie, jusqu'à en modifier la réalité. Finalement la réflexion sur la manipulation de l'information s'avère plus sophistiquée que la simple mise en place d'une autre théorie du complot tout aussi en toc que les autres, partant du principe qu'il n'y a rien de plus dangereux qu'une histoire simple, que ces complots permettent de rejeter les aspects trop compliqués de la vie, trop abstraits. Et puis comment résister à l'attrait d'une bande dessinée avec un personnage qui porte avec sérieux son chapeau conique en aluminium.

En surface, cette bande dessinée a tout pour laisser croire qu'il s'agit d'un ouvrage opportuniste et artificiel sur les théories du complot, les dénonçant tout en les mettant à profit, pour en créer une nouvelle. Une fois dépassée cette première impression, le lecteur mesure mieux l'ambition bien maîtrisée de la narration visuelle, ainsi que le propos plus réfléchi du scénariste, avec une intrigue fonctionnant sur la dynamique d'une enquête promettant des révélations. Cette lecture s'avère d'autant plus enrichissante que les auteurs ne sont pas dupes sur le positionnement de leur propre pays : rien ne vaut une guerre éternelle, avec un renouvellement d'ennemis pour assurer l'unité du pays contre une menace, fabriquée pour remplir cette fonction.
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Extrait de ma chronique :

"A première vue, l'histoire semble ouvertement lorgner du côté de la référence en la matière, le Planetary de Warren Ellis & John Cassaday (qui s'intéressait plus à l'histoire alternative promue par les fictions) : comme Elijah Snow, Cole Turner, le protagoniste de The Departement of Truth, se voit recruté par une guerrière, Ruby, bien digne de Jakita Wagner (qui peut jouer au foot avec un rhino, rappelons-le) ; comme lui, il découvre progressivement que son recrutement est loin d'être le fruit du hasard, et que son rôle dans le conflit où il débarque est tout sauf anecdotique...


Il y a cependant une différence de taille : Cole Turner n'est pas un super-héros, c'est juste un professeur à Quantico pour le FBI, marié à un journaliste et heureux en ménage, du moins quand les cauchemars de son enfance ne viennent pas le tourmenter – il est encore sensible, donc loin d'être aussi désabusé que le Signaleur, le "héros" des Agents de Dreamland, autre magistrale "histoire secrète", en novella cette fois-ci.


Dès lors, son parcours aura tout d'une descente aux enfers, cousine de celle que vit, dans le poignant chapitre 3, cette femme que les complotistes accusent d'avoir mis en scène la mort de son fils – comme le lui rappelle alors Ruby : "c'est un sale boulot, Cole" et "on n'est pas les Men in Black, Cole"."
Lien : https://weirdaholic.blogspot..
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Théorie du complot et puissances qui s'affrontent sont les 2 grands ingrédients de ce 1er tome. le postulat est que les grandes rumeurs sont vraies car elles sont crues par le plus grand nombre. Pour contrer cela, le département de la vérité mené par l'un des plus grand mythe (ou pas) du xxe siècle.
Le dessin est nerveux griffonné, très sombre. J'ai beaucoup apprécié ce côté flou qui passe très bien dans l'histoire.
La narration elle même chemine étrangement. Parfois classique parfois à cheval sur 2 pages curieusement on est finalement jamais perdu.
J'ai vraiment bien accroché au premier tome.
On verra la suite :)
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The Department of Truth est ma grosse claque de l'année (on est qu'en février pourtant). Un chef-d'oeuvre sur tous les plans, pétris d'ambitions, démesurés dans la qualité de son exécution… James Tynion IV s'empare brillamment de son sujet (conspiration et histoire secrète), qui marque notre époque, et le transcende. Martin Simmonds nous offre des planches et couvertures aux allures d'oeuvres d'art. C'est tellement beau qu'on pourrait regretter que le livre ne soit pas imprimé en A4 ou plus. Pour avoir lu la VO sur un écran en 1440 par 900, c'est juste visuellement incroyable.
Lien : https://blogconstellations.h..
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