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Critique de SophieChalandre


"Le paradis n'est pas de ce monde, et probablement pas non plus d'un autre" dit Vargas Llosa. C'est ce qu'évoque le titre de ce livre, le paradis, un peu plus loin : la vanité des utopies et la belle fécondité des combats perdus d'avance.
Mario Vargas Llosa entrecroise la communauté de destin de Flora Tristan militante socialiste et féministe de la première moitié du 19ème siècle et celle de son petit-fils Paul Gauguin, peintre post-impressionniste de la seconde moitié du même siècle, dans une biographie fictive et psychologisante, tous deux rattachés à l'auteur par l'origine péruvienne du père de Flora Tristan. L'auteur met en scène Tristan et Gauguin sous un signe binaire : deux spectaculaires et excentriques transgresseurs de l'ordre, deux passionnés utopistes chercheurs de paradis, deux tragiques figurants de l'Histoire pour deux échecs, deux visionnaires millénaristes, deux mystiques inconsolables. Un double visage, une même origine : deux personnages à la recherche d'un seul auteur.

Le propos de Vargas Llosa n'est surtout pas de retracer leurs parcours biographiques puisqu'il fictionnalise leurs vies, réinterprète les documents et imagine leurs désirs depuis sa position d'auteur et son expérience. En effet, ce livre appartient à la deuxième phase romanesque de son oeuvre ou l'auteur se détache de la vision sartrienne de la littérature pour dénoncer la vanité des idéologies tout en gardant une conviction intime du pouvoir de l'écriture comme mode de connaissance qui défie le réel.
Derrière ce livre, le romancier cache l'essayiste et les nombreuses références à ses essais publiés pendant la rédaction de le Paradis, un peu plus loin sont récurrentes, livrant l'objectif poursuivi par Vargas Llosa, notamment les essais "Littérature et politique, deux visions du monde", "Le paradis invivable" et enfin "L'odyssée de Flora Tristan", tous parus en 2002.
Vargas Llosa reprend en hommage à Octavio Paz sa théorie de "la tradition de rupture" politique et artistique qui culmine au 19ème siècle et dont les agitations modernes du 20ème sont les héritières, pour dresser un portrait de Tristan et de Gauguin en rupture avec l'ordre social et esthétique. L'auteur évoque également la rupture autour du thème de la sexualité, tant féminine que masculine des deux portraits. Il les place également à contretemps de leur époque, dépourvus de géographie et en tension entre eux deux : l'une cherche le salut dans un progrès social, l'autre dans un retour au primitif, chacun porteur d'une utopie qui mènera au totalitarisme et l'autre au nihilisme. L'une use d'un prosélytisme tourné vers les masses quand Gauguin est un prosélyte solitaire tourné vers l'intérieur. Intégrant largement dans ce récit les essais cités ci-avant, il tente de montrer combien l'utopie comme monde parfait est fermée et périlleuse et, à l'opposé, combien l'imperfection du monde reste ouverte.

Si l'auteur a un attachement réel et une admiration pour Tristan et Gauguin, c'est bien son propre parcours politique et utopiste qu'il juge entre les lignes, depuis sa période de jeunesse où il fut un inconditionnel castriste puis un dénonciateur de dictatures et enfin un libéral. Comme le commente avec humour Mario Vargas Llosa à propos de ce livre, "l'essayiste ne doit pas renoncer à son interprétation des devoirs du romancier : l'autocritique".
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
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