Tout était parfait, il était satisfait, cela passerait pour un accident. Le crime d'un imbécile est celui que l'on découvre. Celui d'un homme intelligent reste inconnu. Rien ne vint troubler le senti-ment de puissance qui l'enveloppait. Il décida qu'en plus du por-table de la vieille il emporterait le mobile du jeune ses santiags et le verre dans lequel il avait trempé ses lèvres et jetterait le tout dans le Lez. La découverte inattendue de cette photo et de l'album avait réveillé des ombres endormies. Maintenant ces ombres de-vaient retrouver la paix et devaient disparaître à jamais. Il ne lui restait plus qu'à continuer à surveiller au plus près le gratte-papier peut-être que celui-ci le mènerait jusqu'à cet album photo, ensuite il jetterait le précieux document dans le feu.
Il attendrait encore un peu et le rejoindrait au crépuscule, espérant le disque rouge et jaune du soleil déclinant. C'était le moment parfait. Lumineux mais pas trop, avec à peine un souffle d'air, excepté une brise légère qui emportait les senteurs marines jusqu'aux berges de l'étang. Ce n'était pas une heure pour mourir, mais personne ne peut savoir à l'avance quand sonnera l'heure de sa mort.
Il se dirigea ensuite vers le Jardin des Plantes, manquant se faire renverser par un cycliste qui roulait sur le trottoir afin de parvenir sans doute à un rendez-vous urgent. Parvenu non loin de la grille ouverte il remarqua un attroupement d'une vingtaine de personnes massées devant l'entrée et qui attendait patiemment tout en bavardant.
Se rapprochant du groupe il supposa qu'il s'agissait d'une amicale ou d'une association qui attendant leur guide accompagnateur.
À tout hasard, bien qu'il ne crût pas à la théorie qui disait que le coupable revenait toujours sur les lieux de son crime, il observa l'ensemble des visiteurs et n'y vit aucun visage sur le front duquel aurait été inscrit le mot assassin.
Pendant un moment, mais un court moment seulement, il regretta d'avoir quitté Port- aux- Français, aux Kerguelen, dans la zone des cinquantièmes hurlants où l'être humain reste une exception, sous la seule protection de Notre Dame du Vent. Au creux d'une nature sauvage et majestueuse balayée par les vents de plus de deux cent kilomètre heures, où les manchots, otaries et les éléphants de mer sont les maîtres des lieux.
Il avait le sentiment d'avoir agi proprement, sans possibilité d'éta-blir un lien avec lui, sans risque d'indice ni de piste, sans rien qui le trahisse, sans rien qui suggère qu'il puisse s'agir d'autre chose que d'une mort de hasard telle qu'il s'en produit régulièrement dans toutes les villes. Mais surtout, cet instant fut comme un révé-lateur, comme si une partie lui dont il ignorait jusqu'alors l'exis-tence s'éveillait. Il ne s'était jamais senti aussi lucide, aussi sûr de lui. Il ne s'était jamais senti aussi vivant. Il eut la certitude qu'il contrôlait enfin sa vie. Il en éprouva un immense bien-être