Ce jeu qui consiste à passer les auteurs en revue et à analyser pourquoi jamais aucun n'a remis un vrai chef-d'œuvre en entraîne un autre encore plus pervers : se poser une douloureuse question, à savoir si l'auteur génial tant recherché n'a pas toujours été en fait lui-même et aussi s'il n'est pas devenu éditeur pour chercher ce talent magistral uniquement chez les autres et pouvoir ainsi oublier le cas dramatique que constitue sa personnalité, si rétive à l'écriture, sans parler de génie. Il est très possible qu'il soit devenu éditeur pour se dérober, pour rendre autrui responsable de sa déception et pas seulement lui-même.
Il sent immédiatement qu'il est obligé de se contredire et de se rappeler qu'il est devenu éditeur parce qu'il a toujours été un lecteur passionné. Il a découvert la littérature en lisant Marcel Schwob, Raymond Queneau, Stendhal et Gustave Flaubert. Il est devenu éditeur après une longue période – noire, selon lui, aujourd'hui – où il a trahi ses premières amours littéraires et ne s'est mis à lire que des romans où les héros gagnaient plus de cent mille dollars par an.
Tout être humain porte en lui une certaine dose de haine envers lui-même, et cette haine, celle de ne pas pouvoir se supporter, doit être transférée vers une autre personne, la mieux désignée étant celle qu'il aime.
Le monde est très ennuyeux ou, ce qui revient au même, ce qui s'y passe est sans intérêt si un bon écrivain ne le raconte pas. Mais quelle poisse que d'avoir à aller à la chasse de ces écrivains et de ne jamais tomber sur un vrai génie !
Il pense que, si l'on exige d'un éditeur de littérature ou d'un écrivain qu'ils aient du talent, on doit aussi en exiger du lecteur. Parce qu'il ne faut pas se leurrer : ce voyage qu'est la lecture passe très souvent par des terrains difficiles qui exigent une aptitude à s'émouvoir intelligemment, le désir de comprendre autrui et d'approcher un langage différent de celui de nos tyrannies quotidiennes.
Il rêve d'un temps où la magie du best-seller cédera en s'éteignant la place à la réapparition du lecteur talentueux et où le contrat moral entre l'éditeur et le public se posera en d'autres termes. Il rêve d'un jour où les éditeurs de littérature, ceux qui se saignent aux quatre veines pour un lecteur actif, pour un lecteur suffisamment ouvert pour acheter un livre et laisser se dessiner dans son esprit une conscience radicalement différente de la sienne, pourront à nouveau respirer.
Lire et écrire exigent les mêmes qualités. Les écrivains passent à côté des lecteurs, mais le contraire est aussi vrai, les lecteurs passent à côté des écrivains quand ils ne cherchent en eux que la confirmation que le monde est comme ils le voient ...
Pour devenir moins latin, il s'entraîne devant la glace à perdre l'instinct du mélodrame et de l'exagération, à se transformer en un gentleman froid et sans passions, qui ne fait pas de moulinets avec ses mains quand il donne son avis.
Il a toujours admiré les écrivains qui entreprennent chaque jour un voyage vers l'inconnu et restent malgré tout constamment assis dans une pièce. Les portes de leurs chambres sont fermées, ils n'en bougent jamais, cependant leur confinement leur donne la liberté absolue d'être qui ils veulent et d'aller où les mènent leurs pensées.
(...) rien ni personne n'a réussi à le convaincre que vieillir a du charme. Est-ce sûr ?
Pour lui, le monde anglais c'est le début de la différence, de l'exotisme.