L’espace d’une hésitation, je suis tentée de m’inventer une autre vie, une « vie de cinéma », qui m’offrirait une chance de pouvoir séduire une actrice. Mais je me sens incapable de lui mentir, et, de toute façon j’ai toujours été très malhabile avec le mensonge. C’est bien ce qui m’avait valu les foudres de mon père, car, si j’avais renié mon amour pour Ruth et mon attirance « contre-nature », j’aurais échappé à cette mascarade d’exorcisme en implorant le pardon divin et paternel. Au lieu de cela, j’avais revendiqué la sincérité et la pureté de mon amour pour Ruth, ce qui avait eu pour seul effet de décupler la colère du pasteur qui n’avait plus rien d’un père, et d’être séparée de la seule personne qui m’aimait.
Pauvre Alice ! Elle ne s’est pas ratée cette fois ; en fait si, puisqu’elle est encore en vie. Elle doit être défigurée. Il vaudrait sans doute mieux qu’elle ne se réveille pas. Alice… Si douce, si romantique. En d’autres circonstances, j’aurais pu l’aimer. Nous aurions vécu notre histoire au grand jour, sans rendez-vous caché au milieu de la nuit. Anonymes parmi les anonymes, sans paparazzi à éviter. Une histoire ordinaire, sans adrénaline, sans excitation, sans désir urgent, ni plaisir fulgurant. A l’exact opposé de ce que je vis avec Kristen…
Kristen se tient face à moi, m’attire à elle et, sans préambule pose ses lèvres sur les miennes. Puis tout s’enchaîne avec une fluidité onirique : nos vêtements glissent sur le sol, nos corps nus s’enlacent. Nous rejoignons le lit dans une danse tendre et lascive. L’excitation grandissante accélère nos respirations et électrise nos peaux qui n’ont de cesse de vouloir se toucher. Sous les caresses incessantes de Kristen, le plaisir m’enveloppe toute entière, cabrant mon corps, emportant mon esprit vers l’extase.
Autour de moi, la terrasse, jusqu’à présent un peu déserte, se peuple de créatures aux allures de mannequins ; je ne saurais dire ce qui les différencie de moi : un maquillage plus professionnel, une tenue qu’on devine luxueuse même si elle semble ordinaire, une assurance dans la façon d’être, comme une habitude d’être en scène, la conscience d’avoir le privilège de faire partie de ce monde qui fait rêver : le merveilleux, le fantasmagorique Show Business.
Elle n’a apparemment pas remarqué ma présence, et je n’ose à présent aucune parole ni aucun geste qui pourrait la surprendre, lui faire perdre l’équilibre, et la faire basculer dans le vide. Je reste immobile de longues secondes à me demander quelle attitude adopter et quels mots prononcer pour porter assistance à cette personne en danger. Car j’ai très bien compris quelle est son intention, et je sais qu’il me faut agir sans perdre de temps.