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Critique de Polomarco


Albert Camus et l'Algérie : une histoire d'amour, tellement intense qu'elle lui inspire ce pressentiment : "Ma terre perdue, je ne vaudrais plus rien" (Carnets III 1951-1962)... Source majeure de son inspiration, l'Algérie est en effet le théâtre de deux de ses principaux ouvrages, celui qui ouvre son oeuvre littéraire, Noces, écrit en 1936 et 1937, et celui qui la clôture, dont le manuscrit est retrouvé dans sa sacoche lors de l'accident qui lui coûte la vie en 1960, le premier homme ; le premier homme, comme une inlassable quête des "premiers jours du monde" (page 212), du "premier sourire du monde" (page 200), et finalement, de la splendeur originelle de la Création. J'ai spontanément pensé aux magnifiques vers de Charles Péguy, évoquant dans "Ève" le paradis terrestre :
"Et la vasque et la source, et la haute terrasse / Et le premier soleil sur le premier matin".

Admirer et aimer, deux des principes qui lui sont chers, Albert Camus va justement trouver dans son pays natal, auquel le lie un attachement charnel, le cadre pour les mettre en pratique.
Admirer les sites romains de Tipasa et de Djemila, dont il fait le thème de deux des quatre chapitres de Noces, ou la baie d'Alger et son anse parfaite, à partir des hauteurs d'El Biar, du Télemly, ou de la terrasse de la "Maison devant le Monde" (page 162). Tipasa, que les premières lignes de Noces décrivent ainsi : "Au printemps, Tipasa est habité par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes". Tout à son admiration, Camus précise que "la terre, au matin du monde, a dû surgir dans une lumière semblable". Ce site romain a été pour Albert Camus source d'émerveillement, de bonheur et de paix. Une stèle y est d'ailleurs gravée avec d'autres mots de Noces : "Je comprends ici ce qu'on appelle gloire : le droit d'aimer sans mesure", une pensée directement inspirée de Saint-Augustin, autre grande figure de l'Afrique du Nord, qui disait que la mesure de l'amour, c'est d'aimer sans mesure...

Aimer les humbles, ceux qui sont de la même extraction que lui, au premier rang desquels sa mère, tous les damnés de la terre, notamment ceux dont il dénonce le sort dans Misère de la Kabylie dès 1939. Aimer les femmes aussi, auprès de qui son charme opère naturellement et parmi lesquelles il multiplie les conquêtes : Simone Hié, dont il divorce peu de temps après le mariage, Christiane Galindo, Blanche Balain, Francine Faure, l'épouse avec qui il aura ses enfants, Yvonne Ducailar, et celles qu'il rencontre après la seconde guerre mondiale, Maria Casarès, Catherine Sellers, Mette Ivers, et d'autres peut-être... Conscient de son donjuanisme, il s'interroge d'ailleurs dans ses Carnets 1935-1942 sur la manière de "renoncer à cette servitude qu'est l'attirance féminine" et invoque la chasteté : "Chasteté, ô liberté" (Cahiers). Aimer enfin le théâtre, dont il apprécie le travail collectif des répétitions, et où ses pensées prennent vie, cette vie solidaire qui l'épanouit.

Dans les années 1950, Albert Camus s'inquiète de la montée des revendications des Arabes et, par contraste, de l'inaction persistante de la France. Par voie de presse, il alerte sur la nécessité d'agir pour davantage de justice en Algérie, pour le bien des deux communautés. Après avoir quitté le parti communiste parce que ce dernier prend fait et cause pour une communauté contre l'autre, Albert Camus s'éloigne aussi de Jean-Paul Sartre, très critique lors de la parution de l'homme révolté et méprisant sa "sensibilité" méditerranéenne (page 332).

Grâce à cette biographie lumineuse et chaleureuse qu'Alain Vircondelet, autre fils d'Alger, a consacrée à Albert Camus, le lecteur reçoit une sorte d'invitation, d'une part au voyage sur les terres de l'écrivain et d'autre part à la découverte de son oeuvre littéraire. Il peut aussi et surtout faire sien l'hommage rendu par René Char lors de la mort d'Albert Camus : "Avec celui que nous aimons, nous avons cessé de parler, et ce n'est pas le silence". Paradoxe de l'Histoire, c'est sur la route de Sens que le philosophe de l'absurde a trouvé la mort.
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