"Il n'y a pas moyen de raisonner avec quelqu'un aussi aveuglé par la colère."
Pas une seconde elle n'avait envisagé d'aller au bal de la rentrée de Mount Washington. Avec un garçon. Et elle préférerait mourir que de l'admettre, mais une minuscule, pitoyable étincelle d'attente mêlée d'impatience luit quelque part tout au fond d'elle.
Dans quelques années, tout le monde aura oublié ce bal, tout le monde aura oublié qui était la reine. Ce dont vous vous souviendrez, c'est de vos amis, des liens que vous aurez tissés. C'est à ces choses-là qu'il faut s'accrocher.
- Je t'ai dit que je ne voulais pas de glace.
- Je sais, répond Lisa en se rasseyant sur le lit. Mais je voudrais que tu la manges avec moi.
Bridget ne supporte pas le chagrin qui se peint sur le visage de sa sœur. La supplication.
Elle se lève, ramasse son sac de cours par terre et fouille dedans à la recherche d'un livre.
- En fait, j'ai du boulot. Alors...
- Bridget, juste une bouchée...
- Je suis sérieuse, Lisa. Laisse-moi travailler.
Lisa a l'air sur le point de fondre en larmes. [...]
- Tu ne manges rien, je sais que tu ne manges rien. Comme cet été.
Bridget soupire.
- Je veux être nickel dans ma robe de bal, OK?
- Mais tu as quand même besoin de manger.
Puis, d'un ton de profonde déception, Lisa ajoute :
- ça allait tellement mieux quand on est rentrés de vacances, Bridget.
Bridget déteste le fait que sa sœur ait compris, qu'elle n'ait pas réussi à cacher son jeu.
- Je vais manger, Lisa, promis. Après le bal.
Une larme coule sur le visage de sa sœur.
- Je ne te crois pas.
Bridget se met à pleurer aussi.
- Je t'assure. Après le bal de la rentrée, je remangerai. Tout redeviendra normal. Juré. Regarde comme tu parles tout le temps de la liste, en disant que tu voudrais être dessus un jour ? Eh bien, mets-toi à ma place. C'est beaucoup de pression.
Lisa pleure toujours, comme si elle n'avait rien entendu de ce que Bridget vient de lui dire.
- Je culpabilise, maintenant, à cause de toi. Chaque fois que je mange, je culpabilise. Je n'étais pas comme ça, avant.
- Je me fous que les autres me détestent. Je les déteste aussi. Je déteste chaque individu de ce lycée jusqu'au dernier.
En ce sens, la liste a un effet rafraîchissant. Elle peut réduire l'ensemble d'une population féminine à trois groupes bien distincts :
- Les plus jolies ;
- Les plus moches ;
- Toutes les autres.
Tous les étés de la vie de Bridget commencent et finissent de la même manière : par une visite au centre commercial de Crestmount.
"Ce n'est pas toujours facile d'avoir sa mère pour meilleure amie."
Ça n'est pas toujours facile d'avoir sa mère pour meilleure amie.
Toujours le même mélange de vulnérabilité et de timidité fait pour qu'on en abuse.