« Qu'est-ce qu'on appelle le Placard ? Un endroit qui abîme. »
Ce Placard qui, par le pouvoir de sa majuscule, retire toute possibilité au Je de s'exprimer, fait de lui un On.
Premier mot. Premier sujet. On. L'indéfini, le quelconque, le n'importe qui. le bâillon.
Et puis, la douleur et la rage. Les mots posés sur les maux, ni onguents, ni pansements, accouchement du Je. Ce Moi qui s'affirme, en fin de prologue, pour clamer à la face du monde qu'il a « l'orgueil du peuple des géants ».
Trois épisodes de la vie de la narratrice.
Des « lettres mortes » qui font ressurgir les souvenirs d'enfance, d'une amitié errante qui dans le secret de ses escapades découvre l'ennui et la sexualité. Une amitié pour échapper à la famille, à la dèche, au
Morvan, sol d'attache, magnétique, attirant, repoussant.
« La malvenue » qui, plus tard, revient au pays, à la famille pour rompre avec son enfance. Pauvre, glauque, sauvage, alcoolisé, homophobe, raciste, le milieu rural se taille le part du lion dans des poncifs qu'un Bouysse ne renierait pas.
Vérité du témoignage ? Pas sûr, la préface nous prévenait d'emblée qu'il ne fallait pas voir dans les mots l'absolue vérité. N'en reste pas moins la beauté des mots qui accentue d'autant plus la violence des actes qui dans la destruction vont toutefois amener à la reconstruction.
Enfin, « L'alphabet des imbéciles » crée la rupture. Je devient Elle. Elle passe sur le billard pour une lourde opération du dos, elle souffre, elle se redresse, doucement, funambule de l'existence.
Qu'il est difficile de parler de ces « Chants du placard », la plume est belle, aussi poétique qu'amphigourique, parfois ; il faut… ou plutôt, j'ai dû me résoudre à accepter de ne pas tout comprendre. L'urgence de la parole bouscule, sa musique enchante autant qu'elle effraie. Il fallait que ces mots s'écrivent, il fallait que ces mots se lisent, ils sont les vers qui luisent dans les ténèbres de ce Placard qui enferme les « trop », les « pas comme », les « pas assez ».