Un roman autobiographique surprenant, mélange de cauchemar et de rêve, qui ne raconte pas « tant une histoire qu'un naufrage » d'où émergent quelques brefs instants de splendeur. Inspiré de sa vie, le récit d'
Ocean Vuong prend la forme d'une vaine lettre à sa mère, telle une bouteille à la mer puisqu'elle ne la lira jamais. Fille d'un soldat américain et d'une paysanne vietnamienne, celle-ci est analphabète et parle très peu l'anglais. Dure et parfois abusive envers son fils, celle-ci porte, tout comme sa mère qui vit avec eux, les stigmates de la guerre du Vietnam.
Ocean Vuong alias Little Dog dans le récit écrit, chaque mot plus désespéré que le précédent : « À quel moment une guerre prend-elle fin ? À quel moment puis-je prononcer ton nom et ne lui faire dire que ton nom, et pas ce que tu as laissé derrière toi ? » La réponse n'est pas aussi simple que d'éliminer la pourriture d'un fruit. Mais dans sa lettre meurtrie et douloureuse, Little Dog se libère, s'émancipe de sa famille et couche sur le papier les blessures qui saignent, à la recherche de réconfort. « Je nous fais de nouveau voler en éclats pour pouvoir nous emmener ailleurs... » Avec une sincérité à vif, il parle de tout, de race, de genre, de sexualité, d'amour à mort, de pauvreté, de drogue, de violence, de douleur, de dignité, de deuil impossible, de souvenirs, de regrets, de chagrin et de langage, mais avec beaucoup de délicatesse et sans jamais alourdir le propos. le dernier thème, la langue, est majeur, et l'auteur en explore l'importance à la fois au niveau du choix des mots et des phrases, mais aussi relativement au pouvoir ou à la dépendance d'un individu ayant eu accès ou non à la langue et à l'alphabétisation. C'est lumineux, bouleversant, urgent, nécessaire. Avec une plume magnifique, l'écrivain oscille entre la grâce de l'instant et l'âpreté du quotidien, un récit pur et cru tant l'écriture est à l'os et les émotions puissantes et étourdissantes. Avec la précision d'un poète,
Ocean Vuong examine si mettre des mots sur son expérience peut combler des blessures qui s'étendent sur des générations et s'il n'est jamais possible d'être vraiment entendu par ceux que nous aimons le plus. L'écriture de ce roman est surprenante, magnifique, follement poétique et le récit se lit d'ailleurs presque comme un recueil de poésie, des poèmes en prose, chacun capturant si magnifiquement un moment, un souvenir, un sentiment ou une idée. Une poésie puissante qui canalise le malheur et la soif des oubliés du rêve américain dont
Ocean Vuong est paradoxalement aujourd'hui un symbole. le récit ne suit pas donc une structure narrative régulière, mais se compose plutôt d'une série d'extraits ou de moments. Cette construction originale et le style poétique ne conviendront pas à tout le monde, mais ce roman lyrique et puissant mérite la lecture du plus grand nombre.