AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,4

sur 698 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
« Il y avait un spectre au sein de notre camp. Nous percevions l'ombre de cet être obscur dans les rides du visage de notre mère. Parfois, elle se blottissait auprès du feu, serrant et desserrant les poings, les yeux semblables à des lunes sombres à la lumière des flammes. »

Qu'est-ce donc qui hante ainsi la mère du petit Saul ? Quel est ce spectre qui la soustrait subitement au monde réel, la plongeant dans un mutisme hébété dont rien, pas même les gestes d'affection ou les paroles de ses proches ne saurait la faire sortir? Quels terribles souvenirs, quels traumas, quelles peurs? Et pourquoi, au moindre signe de l'approche d'un étranger, sa grand-mère Naomi emmène-t-elle Saul dans la forêt? Que fuit-elle ? de quoi, de qui veut-elle le protéger?

Certains d'entre vous ont peut-être entendu parler du scandale des pensionnats indiens au Canada qui éclata au grand jour en 2015, au terme de six années d'enquête. Cent-cinquante-mille enfants, Indiens pour la plupart mais aussi Inuits, le plus souvent enlevés de force, arrachés à leurs familles et à leurs terres, passèrent par ces « écoles » tout au long du vingtième siècle. Dirigés par les églises chrétiennes et subventionnés par le gouvernement fédéral, ces pensionnats, officiellement chargés d'éduquer, de convertir au christianisme et d'assimiler à la société canadienne les enfants des peuples autochtones, furent en réalité de véritables bagnes au sein desquels prêtres et religieuses purent donner libre cours à une imagination manifestement sans limites en matière de sévices destinés à soumettre, à humilier, à chosifier des enfants dont le seul tort était de ne pas être né Blanc.

« À St. Jerome's, j'ai vu des enfants mourir de tuberculose, de grippe, de pneumonie et de coeur brisé. J'ai vu des jeunes garçons et des jeunes filles mourir debout sur leurs deux pieds. J'ai vu des fugitifs qu'on ramenait, raides comme des planches à cause du gel. J'ai vu des corps pendus à de fines cordes fixées aux poutres. J'ai vu des poignets entaillés et les cataractes de sang sur le sol de la salle de bains, et une fois, un jeune garçon empalé sur les dents d'une fourche qu'il s'était enfoncée dans le corps. »

La mère et le père du petit Saul sont passés par l'une de ces « écoles » il y a de cela bien longtemps. Ils en sont revenus, ils ont repris leur vie au camp, leur vie d'Indien Ojibwé comme avant. Sauf qu'évidemment, plus rien ne peut désormais être comme avant. En eux s'est ouvert un trou béant dans lequel toute joie, toute foi, la possibilité même du bonheur ont irrémédiablement sombré. C'est sur les décombres d'une enfance saccagée qu'ils espèrent fonder une famille, transmettre à leurs enfants leur culture et leurs valeurs. Mais que peuvent-ils contre la fatalité? Que peuvent-ils contre le spectre qui s'est emparé d'eux et qui les dévore jour après jour ?

« Tout ce que je connaissais d'indien disparut au cours de l'hiver 1961, quand j'avais huit ans. (…)
Ils m'emmenèrent dans un pensionnat, le St. Jerome's Indian Residential School. Une fois, j'avais lu qu'il y avait dans l'univers des trous qui avalaient toute la lumière, tous les corps. St. Jerome's vola toute la lumière de mon monde. »

St. Jerome's vole toute la lumière du monde de Saul, s'acharnant à tuer l'Indien qui est en lui. Mais St. Jerome's lui fournit aussi, par l'intermédiaire d'un jeune prêtre différent des autres, la possibilité du salut :

« Le Père Gaston Leboutilier arriva à St. Jerome's la même année que moi. (…) « As-tu déjà entendu parler du hockey? » Ce fut la première chose qu'il me dit. »

J'ai pensé à la célèbre citation d'Hölderlin « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve » en lisant ce livre. En même temps qu'elle plonge Saul dans un désespoir sans fond, la vie lui fait cadeau de la grâce. Car Saul est possédé par la grâce du hockey, ce sport parfait dans un monde imparfait, ce « jeu blanc », blanc comme la glace de la patinoire sur laquelle évoluent les joueurs, blanc comme un monde vierge non encore exploré, mais aussi blanc comme la couleur de peau de l'oppresseur… C'est là toute l'ambivalence de ce cadeau que la vie lui fait. Saul peut se sauver grâce au hockey, mais le hockey est le jeu des Blancs, autrement dit de ceux qui ont voué au malheur son peuple, son clan et lui-même. de ceux qui, en dépit de ses dons exceptionnels pour ce sport, persisteront à voir en lui, non pas un homme dans son infinie complexité, mais un Indien réduit à quelques clichés éculés :

« Je voulais atteindre de nouveaux sommets, être l'une des rares étoiles. Mais ils ne voulaient pas me laisser être tout simplement un hockeyeur. Il fallait toujours que je sois un Indien. »

Nous croyons comprendre l'origine de la rage qui s'empare alors de Saul, confronté au rejet et au racisme, et dont les exceptionnelles dispositions pour le hockey lui sont à la fois reconnues et impitoyablement refusées. Nous croyons connaître toutes les souffrances, toutes les humiliations ayant produit cela : un désespoir sans fond alimentant une rage inextinguible. Sauf qu'une souffrance peut en cacher une autre, indicible, dont les racines plongent plus profondément encore, au coeur même de l'être.

Si Doriane (@Yaena) ne m'avait pas invitée à lire « Jeu blanc » dans le cadre de notre collier de perles littéraires, je serais probablement passée à côté du livre et de son auteur. Richard Wagamese est un survivant du système des pensionnats indiens, et a sans aucun doute mis beaucoup de lui dans le personnage de Saul. Après bien des souffrances et des années d'errance, il s'est sauvé, non pas grâce au hockey, mais grâce à l'écriture. Sa plume pudique et poétique, tout en retenue, sert magnifiquement un récit d'apprentissage à fendre l'âme.

« Ils nous ont vidés de l'intérieur, Saul. Nous n'en sommes pas responsables. Nous ne sommes pas responsables de ce qui nous est arrivé. Mais notre guérison, elle, dépend de nous. »
Commenter  J’apprécie          86102
Jeu Blanc. le titre est déjà un édifiant jeu de mots résumant ce que représente le Hockey pour Saul : d'abord ce jeu grisant pratiqué sur le blanc éblouissant de la glace, reflétant la lumière dans laquelle il tente de s'aveugler pour ne pas voir la noirceur de sa vie - lumière dans laquelle il se jette à corps perdu pour fuir ses propres zones d'ombre ; mais aussi un jeu que l'homme blanc croit être le seul à pouvoir pratiquer dignement. Un jeu de blancs. Un jeu qui l'aidera malgré tout à combler les blancs de sa vie.


Saul était petit, lorsque les hommes blancs l'ont violemment arraché à ses racines naturelles et aux siens, pour le « civiliser ». Pour ce faire, de nombreuses « écoles » catholiques accueillaient de force les enfants indiens. Hélas, ceux qui ont lu Diderot savent que la religion n'est pas le refuge ultime qu'elle voudrait faire croire. Dans ces endroits, où sévices et punitions supplantent Amour et compassion, Saul survit grâce à sa passion toute nouvelle pour le hockey qu'il y découvre. Il s'y accroche comme le seul rempart préservant une part de vie et de liberté dans un quotidien de contraintes, un refuge pour lequel il accepte tout, y compris de se lever aux aurores pour s'entrainer dans le froid piquant. Cette sensation de légèreté, lorsqu'il s'élance sur la glace laiteuse et luisante, cette liberté qui l'effleure lorsque le vent caresse son visage, les bruits et les odeurs qui le remplissent tout entier, ne laissent plus de place aux mauvais souvenirs : ceux de la déliquescence de sa famille, parquée dans une réserve, ou encore de cet emprisonnement et des traitement reçus au nom d'un Dieu en qui il ne croit pas. Saul s'accroche à ces sensations au point de devenir un très bon joueur, se donnant les moyens d'accéder aux grandes équipes de ligues. La glace est le seul espace où on le laisse exprimer son don de vision, sa clairvoyance pour trouver le chemin de la victoire. Sa passion du jeu est communicative et sa motivation est de la partager et de la transmettre, pour continuer à vivre cette passion qui le fait se sentir vivant.


« C'est pour cela que je m'étais abandonné au hockey. Pour m'abandonner à moi-même. Lorsque le racisme du public et des joueurs me fit changer, je devins furieux parce qu'ils m'enlevaient la seule protection que j'avais. Quand cela se produisait, je savais que ce sport ne pourrait plus m'offrir de protection. »


Malheureusement, il ne voit pas aussi clair dans sa vie. Ayant du mal à s'enraciner, la patinoire devient son « beau miroir » trouble, qu'il arpente dans l'espoir d'y apercevoir ce qui ne va pas. Et puis où tout cela mène-t-il, si le public blanc et les joueurs blancs ne voient en lui qu'un indien à (a)battre, l'insultant, le rabaissant pour leur simple et pitoyable plaisir de se sentir supérieur ? Une fois de plus, l'(im)pitoyable homme blanc lui ôte sa joie de vivre en même temps que son envie de jouer, et l'empêche de s'insérer dans une communauté où on l'a pourtant implanté de force… Que lui reste-t-il, quand on lui a tout pris ? Une énorme boule de colère au fond de l'estomac, quelque chose de lourd, de noir et d'amer qui menace de le submerger s'il ne la fait pas taire avec de l'eau de feu. Un peu, beaucoup, et jusqu'à la folie, le foie de Saul s'affole et ses amitiés s'étiolent. « Je ne pouvais pas courir le risque que quelqu'un me connaisse, parce que je ne pouvais pas courir le risque de me connaître moi-même. » Saul remplace alors son paradis blanc par un refuge de feu, celui de l'enfer qu'il vit sur cette terre. le sol glacé fond sous ses pieds, et l'homme qui se cachait derrière son reflet sur la glace ne peut plus se regarder dans le miroir. Qu'y voit-il ?


« Quand on est paumé comme je l'étais, on boit toujours pour oublier. Pour oublier les choses banales et admises comme un foyer, un boulot, une famille, des voisins. On boit pour oublier les pensées, l'émotion. L'espoir. On boit pour oublier parce que après toutes les routes qu'on a prises, c'est la seule direction qu'on connaisse par coeur. On boit pour oublier afin de ne plus entendre les voix, de ne plus voir les visages, ne plus toucher les choses, ne plus sentir. On boit pour oublier afin d'effacer ce lieu que seuls les poivrots de la pire espèce connaissent ; ce monde au fond du puit où l‘on se réfugie dans le noir, hanté à jamais par la conscience de la lumière. Je fus au fond de ce puits pendant un long moment. Revenir à la lumière du jour faisait un mal de chien. »


Etonnamment, il fallait pourtant en passer par là. C'est ce dont Saul se rend compte lorsqu'un sevrage médicalisé lui rend les idées claires. le thérapeute qui tente de le sauver qui lui fera écrire son histoire, celle qu'il vous délivre faute de savoir la raconter lors des groupes de paroles. Un récit distancié au départ, dont les contours flous semblent trop survolés pour nous atteindre réellement ; Réveil d'un mauvais rêve genre gueule de bois, révoltant notre raison mais préservant nos sentiments. Jusqu'à ce que se dessine l'origine des larmes qui explique cette sensation de flottement, fait finalement fondre aussi nos coeurs et bouillonner nos tripes. Des larmes comme les lames qui vous déchirent l'âme, la lacèrent et puis l'essorent, à bout de mots, à bout d'amour pour ce Saul solaire que l'on voudrait désormais rieur. Encore un livre qui gagne en intensité et en profondeur sur la fin, et qui fait s'interroger sur le sens de notre humanité dite « civilisée »…


« J'y retournais pour apprendre à partager la vérité que j'avais découverte, hermétiquement enfouie au fin fond de moi. J'y retournais parce que je voulais apprendre à vivre avec cette vérité, sans boire. J'y retournais parce que j'avais besoin de prendre un départ solide sur une nouvelle voie et je savais que ce serait difficile. Parfois les fantômes rôdent. Ils trainent dans les coins les plus reculés, et quand vous vous y attendez le moins, ils surgissent, chargés de tout ce qu'ils vous avaient apportés quand ils étaient vivants. Je ne voulais pas être hanté. J'avais vécu ainsi pendant bien trop longtemps déjà. »
Commenter  J’apprécie          7929
Merci à marina53 qui, de par sa critique, m'a donné envie de le lire. le petit Saul est enlevé de sa famille indienne pour être placé en pensionnat, soit disant pour être scolarisé. Un institut aux moeurs cruels d'où il arrivera, pour un temps à en sortir moralement, grâce à la passion du hockey sur glace. Un roman fort, un petit bonhomme attachant et une bonne analyse et aide pour atténuer les blessures de l'enfance.
Commenter  J’apprécie          532
Jeu Blanc.
Jeu de blancs.

Un sport, le hockey, que Saul Indian Horse aura longtemps pratiqué et qui aurait pu constituer une solide planche de salut pour cet Ojibwé bien trop tôt orphelin et rapidement confronté à la bêtise et la férocité de religieux n'y voyant qu'un sauvage déshumanisé à ramener fissa dans la paix du Christ, Amen.
Inutile de préciser que le terme "paix" et les moyens usités pour effacer toute indianité sont de parfaits antagonistes pourvoyeurs de moult suicides et autres souffrances solidement enracinées dans leur chair et leur âme pour les siècles des siècles, re-Amen.

Joseph Boyden clame en 4e de couv' que Richard Wagamese est un trésor national.
Vouant à Joseph Boyden une admiration sans nom, c'est empli d'une confiance inébranlable, et finalement inébranlée, que j'entamais ce Jeu Blanc.

A toutes les quiches, comme moi, en matière de hockey, je dis pas d'panique, l'intérêt est ailleurs.
Et notamment en cette tentative d'éradication de la personnalité au profit d'une croyance autre et, par ricochet, d'une reconstruction délicate par le prisme d'un sport qui, paradoxalement, déifie le blanc tout en réduisant une nouvelle fois l'indien à l'état de faire-valoir besogneux.

Parfait combo entre croyances Ojibwés et volonté farouche de se faire une place, non pas au soleil, mais tout simplement au sein d'une humanité de façade, ce Jeu Blanc séduit autant qu'il dérange.

En effet, difficile d'imaginer un gamin supplicié en adulte équilibré et serein après avoir subi et été le témoin d'autant de sévices et d'injustices adolescents.
Un questionnement inhérent à sa condition d'Ojibwé des plus intéressants.
Un parcours de vie qui force le respect. Une abnégation de chaque instant porteuse des espoirs les plus fous mais aussi des désillusions les plus amères.

Jeu blanc, set et match.
Pour en connaître le vainqueur, vous savez ce qu'il vous reste à faire...
Commenter  J’apprécie          512
Houlà, quel roman beau et douloureux !

Depuis le centre de désintoxication pour Autochtones où il est soigné, Saul Indian Horse raconte son histoire, celle d'un petit garçon du clan des Ojibwés placé dans un pensionnat où des prêtres et des bonnes soeurs entreprirent de le civiliser. Ca se passait dans le Canada des années 1960, et heureusement il y avait le hockey-sur-glace pour permettre au petit Saul de s'évader.

Non, il ne s'agit pas d'un livre sur le hockey, ni sur les vertus de l'accomplissement sportif, car Saul entretient un rapport mystique avec ce jeu. Ici, le hockey devient poétique. Là où, ne connaissant rien à ce sport, je ne vois qu'un enchevêtrement de bibendums casqués, hargneux et vociférants, Richard Wagamese montre la grâce et la beauté sereine d'une course sur la glace vers le but adverse. Magique.
Mais il également question du "Grand Mystère" qu'est l'univers pour les Ojibwés, et j'ai été touchée par la façon dont l'auteur replace la Nature au centre de l'Homme et donne vie aux éléments, en recréant avec justesse d'étranges ambiances forestières.
Enfin, ce roman traite aussi, et surtout, des discriminations subies par les Autochtones, du racisme des Blancs (nos joviaux cousins canadiens apparaissent sous un tout autre jour), et de l'abjecte pratique qui, jusqu'aux années 1990 ( ! ), consistait à retirer les enfants indiens de leur famille pour les placer dans ces immondes pensionnats.

C'est donc une lecture éprouvante, bouleversante, mais sacrément belle, et portée par une écriture sobre et poétique. Sans lourdeur démonstrative, Richard Wagamese raconte une histoire de résilience, où se côtoient beauté, mysticisme, et ignominie, et c'est d'une humanité éblouissante.
De quoi rendre fan de hockey-sur-glace.
Commenter  J’apprécie          4311
Je m'appelle Saul... Saul Indian Horse, de la tribu Ojibwé...

Mon peuple vivait au coeur des forêts enneigées du Canada, quelque part entre les lacs Manitoba et Winnipeg...

La terre était notre mémoire et les grands arbres étaient nos esprits...

Nous avions appris à vivre avec la nature, à honorer la fertilité du sol qu'elle nous offrait l'été et à suivre le cours tranquille de la rivière lorsque le froid de l'hiver gelait les premières récoltes. Nous avions appris à respecter le loup et l'orignal, pour leurs chairs qui nous nourrissaient et pour leurs peaux qui nous réchauffaient. Nous avions appris à accueillir les âmes errantes de nos ancêtres.

Les Anciens nous contaient les rites et légendes de la Mère Terre. Pour ne pas oublier, me disait Grand-Mère. Elle était de ceux chez qui les sillons de la vie profondément gravés sur leur peau forçaient l'écoute et le respect. Elle m'avait transmis le don de vision. Jusqu'à ce que l'homme blanc vienne me chercher. J'avais sept ans.

Je m'appelle Saul, de la tribu Ojibwé. Et je me souviens...

Je me souviens de ces heures matinales et de ces années passées à déblayer la neige, de la glace crissant sous les lames de mes patins, de la crosse prolongeant naturellement ma main, de la musicalité du palet fendant l'air jusqu'aux filets adverses...

Tel un danseur étoilé au milieu d'un ballet d'hockeyeurs, je leur imposais mes chorégraphies avec un sens inné du but et du jeu.

Je me souviens aussi de ces hommes blancs. de leur jalousie à mon égard, des huées et des coups reçus. Je n'étais pas des leurs et ils n'étaient pas mon peuple. Ils me volèrent mon âme, évanouie dans les vapeurs d'alcool qui devinrent mon refuge, mon puits sans fond.

Dont je devais m'extraire par le souvenir...

« J'étais un miracle », me disait le Père Leboutillier au pensionnat de St. Jerome's Indian School . Nous étions jeunes... Nous étions innocents... Nous étions des fantômes sous les serres de vautours qui rôdaient. Au nom de Dieu...

Je m'appelle Saul... Je me souviens...


- -

Un premier chapitre magistral pour se mettre dans l'ambiance immersive de ce roman ! Richard Wagamese entraîne son lecteur dans le Canada des années 60-70, durant lesquelles près de 20 000 enfants issus des Premières Nations furent enlevés à leurs familles et placés dans des pensionnats autochtones en vue de les « civiliser ».

Plusieurs thèmes y sont abordés, comme la colonisation forcée des amérindiens et l'identification ethnique, l'insertion par le sport, les abus au sein des pensionnats autochtones...

Un livre qui m'aura fait penser à Mission, Danse avec les Loups ou The Revenant pour l'imaginaire des paysages ou encore au splendide Sleepers pour cette sombre période au pensionnat.

Une part importante du livre est consacrée à la pratique du hockey. Trop importante peut-être. Bien que j'apprécie beaucoup ce sport, je me suis parfois senti comme dans une longue traversée du Groenland en patins à roulettes, perdu quelque part entre une partie de NHL20 et un épisode de Tom et Olive. Une étoile de moins pour cette raison.

Merci à toi, Patricia, pour ce beau cadeau et la découverte de ce roman !
Commenter  J’apprécie          418
Livre " coup de poing", Jeu blanc raconte la parcours de Saul Indian Horse, indien ojibw, dans le Canada des années 60-70.

Victimes du choc des cultures et de la rage des blancs à vouloir scolariser la jeune génération afin d'en extraire toute trace d'identité indienne, les Ojibwés voient leurs enfants enlevés et conduits dans des institutions catholiques où ils sont durement dépouillés de leur fierté.
Sévices corporels, viols cachés, sont autant de moyens utilisés pour contraindre cette ethnie à renier son passé et ses rites ancestraux.

Blessé au plus profond de son être, Saul trouve refuge dans la pratique du hockey sur glace dont il devient un des meilleurs joueurs.
Le développement de sa carrière se verra toutefois stoppé net par le racisme , le précipitant alors dans l'enfer de l'alcool.
Toucher le fond pour parvenir enfin à faire face à ses bessures passées, s'en affranchir et renaître à ses origines, voilà tout l'enjeu pour ce jeune homme traumatisé par la suprématie blanche "bien pensante".

Une grande part du livre est consacrée au hockey et au déroulement largement détaillé des matchs...j'aurais pu en être agacée.
Ce ne fut pas le cas, même si j'avoue avoir de temps en temps lu l'un ou l'autre chapitre en diagonale.
L'intensité que met Saul à relater son séjour en institution avec toutes les humiliations subies, ainsi que sa douloureuse résilience, donne toute sa raison d'être à ces joutes sur glace dans lesquelles il trouve une forme de libération sauvage.

Richard Wagamese, Ojibwé lui-même, nous livre un récit dur, poignant, qui se veut hommage aux peuples amérindiens et à leur souffrance.
Trop tôt disparu, cet auteur se faisait conteur, comme tout bon Ojibwé.
Commenter  J’apprécie          4012
Pfiou, eh bien dis donc, la petite larme n'est pas bien loin. Ok, c'est vrai je suis plutôt émotif.

Mais qu'est-ce qui peut nous conduire du Cantal de Marie-Hélène Lafon aux montagnes de l'Ontario de Richard Wagamese ? Les billets de Babelio, pardi.
Voilà ce que j'aime par dessus tout dans la lecture et l'écriture : les échanges et le partage.
C'est en relatant une anecdote avec ma libraire dans ma petite bafouille du bouquin de Lafon qu'AnnaCan et Hordeducontrevent me font découvrir Richard Wagamese. Quelle chance !

Je repense au discours de Justin Trudeau en décembre 2015. "Notre pays le Canada vous doit des excuses" En effet et c'est rien de le dire.
Impressionnant de voir comment les mêmes mécanismes sont mis en place depuis tant d'années pour dépouiller ces peuples autochtones de leur culture, leur identité. Je pense bien sûr aux aborigènes Australiens, aux habitants du Tibet mais des exemples tels que ceux-ci, on peut en trouver tant d'autres.

La plume de Wagamese est douce, simple et belle. Elle glisse comme son canot sur la rivière Winnipeg. Plus tard, cette même écriture glisse silencieusement comme ses patins sur la glace blanche. Même si l'histoire est dure et douloureuse.

Je ne voudrais pas trop en dire sur le parcours de Saul, donc je vais juste me taire et penser à lui en me promenant dans la forêt.
Commenter  J’apprécie          274
Saul Indian Horse se souvient, sur les conseils des travailleurs sociaux qui l'entourent dans le Centre de désintoxication où il séjourne pour sortir de l'enfer de l'alcool, il se raconte, il écrit, car les mots ne peuvent être dits. Saul est un objibwé du Nord de l'Ontario et pour être plus précise du clan des Poissons Ojibwés du Nord  : les Anishinabés, vivant près de la rivière Winnipeg.

Et c'est le récit poignant d'une enfance projetée à huit ans, orphelin, dans une institution la St Jerome Indian Residentiel School tenue d'une main de fer par des religieuses dont la soeur Ignacia. Inutile que j'entre dans les détails des sévices reçus par les enfants dont les plus faibles préféraient mourir que subir. Seule lumière pour Saul, le père Leboutilier qui va détecter en lui des qualités de rapidité et d'analyse en hockey sur glace.

Saul va vite se faire un nom et une réputation, va gravir rapidement les étapes pour atteindre les sommets mais ses origines vont le tenir à distance par les Zaunagush, les blancs, devenant sujet de moqueries et de violences car chez les "blancs" les règles ne sont pas les mêmes.

C'est un récit poignant d'un homme qui pensait avoir trouver dans le hockey sur glace une médecine pour soulager la perte des siens et l'inhumanité du lieu, une sorte de danse magique dans laquelle il pouvait à nouveau exister, trouver parfois une famille. Il va connaître une gloire momentanée puis sombrer dans l'alcool car certaines douleurs mettent du temps à émerger et à se soigner.

Au hockey un jeu blanc est un match dans lequel l'adversaire n'a marqué aucun point et dans la vie de Saul bien des blessures sont portées au tableau de marquage : pertes de sa famille, maltraitances, affronts qui vont le mener à se détruire en se noyant dans l'alcool.

Je n'aurai jamais pensé prendre autant de plaisir dans la lecture d'une histoire avec en arrière plan le hockey sur glace. J'ai parcouru avec Saul les territoires de son enfance mais aussi ceux de sa vie d'homme, avec parfois un regard attendri sur sa volonté farouche, malgré le froid et le manque de moyens, de jouer, d'être sur la glace et de mettre à profit ses prédispositions, d'exister, de tenir....

C'est un récit poignant d'une vie commencée dans les grands espaces, avec la fierté d'une communauté vivant de ses ressources mais dont les membres disparaissent peu à peu, parfois de façon inexpliquée. On connait tous le sort réservé aux autochtones mais Saul va trouver en lui les ressources pour survivre, n'hésitant pas à faire appel à ses ancêtres et à leurs légendes pour survivre.

Il y aura des mains tendues malgré tout, des familles accueillantes mais qui ne pourront certes pas effacer les blessures, mais aideront à les panser, à se sentir moins seul.

On se prend d'intérêt pour le hockey, ici activité de résilience, à suivre la progression de cet enfant doué, instinctif, imaginatif, volontaire mais qui n'oubliera jamais d'où il vient et qui il est. On lui dira qu'il est métamorphe, qu'il possède cette capacité à s'adapter à toutes les situations mais certaines seront contraires à son état d'esprit, lui qui ne voulaient que jouer, que le plaisir de jouer et d'autres, même si elles semblaient avoir été intégrées, effacées, referont surface.

C'est une confession qui laisse des traces comme les coups de lames de patins sur la glace, faisant resurgir des événements enfouis dans la mémoire et qui changent notre regard sur certains personnages, le tout avec une écriture empreinte d'humilité et de justesse.

Une belle lecture.

Lien : https://mumudanslebocage.wor..
Commenter  J’apprécie          200
Jeu blanc est une histoire d'une grande richesse, où domine l'élan du coeur, l'authenticité d'un auteur qui a mis beaucoup plus que son imagination dans son texte.

Ce livre décrit la face noire d'une époque au Canada, une époque où les « autochtones », les « natives », les indiens donc, étaient peu ou prou considérés comme les parias d'une société qui se devait de régénérer les maillons faibles au tamis de l'éducation anglo-saxonne, en effaçant autant que faire se peu, toute trace « rouge » dans l'esprit des derniers descendants des grands peuples indiens.

Saul, personnage central du roman, subira donc la loi blanche en passant sous les fourches caudines d'un des nombreux pensionnats où tant d'enfants indiens furent brisés par un système d'une froide cruauté. Séparé de la proximité des siens, de la nature sauvage, de la Terre foulée par le peuple ojibwé, Saul fera le douloureux apprentissage de l'effacement de son identité.

Le salut, l'espoir, viendra du jeu. de la glace, de la possibilité, en glissant sur celle-ci, de trancher les liens qui anéantissaient peu à peu sa volonté. le hockey, pour lequel il est fait, sera son échappatoire en même temps que sa planche de salut. Mais un salut temporaire, car les autres joueurs n'auront justement de cesse de lui rappeler qu'il est « l'autre ».

Les ruines de l'âme qui le menaçaient sont toujours là, le « jeu blanc » engendre la colère noire, et la chute, mais comme toute chute, elle a une fin.

Un beau livre, on reçoit de sacrés chocs, on est projeté au loin, et au final, on revient à l'essentiel. Un peu comme le palet sur la glace.
Commenter  J’apprécie          180




Lecteurs (1468) Voir plus



Quiz Voir plus

Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

8 questions
1724 lecteurs ont répondu
Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *}