Dans la réserve amérindienne de Rosebud, au nord-est des États-Unis, la vie n'est pas facile tous les jours. Virgil Wounded Horse, gros bras au coeur tendre, justicier à ses heures perdues, élève seul son neveu Nathan. Quand son ex beau-père, notable de la réserve, lui demande de pister et neutraliser un des leurs, soupçonné d'introduire de la drogue en pilules dans la réserve, Virgil hésite, mais accepte. La traque du trafiquant supposé poussera Virgil, ses proches et sa communauté à affronter une réalité cruelle. Et à puiser aux sources de leur spiritualité.
Disons le tout de suite :
Justice Indienne (Winter Counts en version originale) est un polar solide, âpre et engagé, qui témoigne de la réalité de la vie amérindienne dans l'Amérique du XXIème siècle, celle de Trump et de son “pocahontas” lancé à la député Warren. Celle de de la bataille des Sioux à Standing Rock contre le “serpent noir”, un projet d'oléoduc traversant les terres sacrés de leurs ancêtres, et menaçant de pollution toutes les eaux de la réserve. Enfin, celle de la drogue, de la violence et du chômage endémique qui ravagent les réserves.
Car une fois de plus pour les cinq-cent nations indiennes, tout est question de batailles, dans les livres comme dans la vie. de résilience aussi, et de transmission.
Quand on pense littérature amérindienne (ou indigène, car le terme est utilisé voire revendiqué par les tribus), nous viennent immédiatement à l'esprit les auteurs phare du formidable mouvement littéraire que fut la Renaissance Amérindienne (Native American Renaissance) des années soixante-dix. Ou encore
James Welch (tribu Blackfeet de Browning) avec
Comme Des Ombres Sur La Terre, ou
Louise Erdrich (tribu Ojibwa) avec notamment
Dans le Silence du Vent. Depuis, bien sûr, d'autres auteurs talentueux ont émergé, la société a changé, les aspirations ont évolué.
Pour son premier roman
David Heska Wanbli Weiden (tribu Lakota Sicangu) se situe bien sûr, et presque de fait, dans le droit fil de ces auteurs. Mais pas seulement. Il en casse tout de même certains codes, refusant un passé idéalisé. Il s'inscrit ainsi en partie - comme on pu le faire de nouveaux auteurs post-renaissance comme
Sherman Alexie, ou plus récemment
Tommy Orange et son terrible There There (
Ici N'est Plus Ici en français) - dans une nouvelle vague d'écrivains amérindiens incontournables qui ne se conforment pas strictement (même s'ils en conservent les enjeux) aux archétypes du retour à la terre, de la vie dans la réserve, du passé héroïque, du métissage clivant ou du double monde.
En ce sens
Justice Indienne, au-delà de ses évidents attributs de polar, est un témoignage cru qui apporte un éclairage sur la situation difficile et le fonctionnement des réserves amérindiennes. Certains aspects peu connus de la tribu Lakota sont régulièrement mis en avant. Passionnant de découvrir tout un pan de cette culture, loin des clichés ou du prisme déformant du folklore cinématographique et littéraire, même si une partie de la production littéraire des années soixante-dix et quatre-vingt s'en était déjà en partie débarrassée.
Un système judiciaire unique.
Un des aspects les plus importants du fonctionnement des réserves réside dans un système de justice tribale spécifique. C'est d'ailleurs un des moteurs du récit. Ces conseils tribaux, aux pouvoirs limités malgré les demandes répétées des tribus pour plus de souveraineté, traitent et jugent les affaires courantes, mais demeurent liés au système judiciaire classique pour toute affaire de meurtre ou, plus largement, d'agressions violentes.
Il faut savoir qu'au coeur de certaines réserves, la mortalité infantile et l'espérance de vie sont proches de pays en voie de développement. le constat est terrible et la prégnance des problèmes d'alcool, de drogues et de suicides achève de noircir le tableau. Face à cela un fonctionnement judiciaire imparfait qui laisse nombre d'agressions et de viols impunis, ignorés par les autorités fédérales qui arguent de leur non compétence en la matière. Une particularité qui avait été déjà évoquée dans d'autres oeuvres, notamment dans les livres de
Craig Johnson, et au cinéma dans le superbe Wind River de Taylor Sheridan.
Des réserves comme des îles.
La trame narrative un peu convenue va tout de même nous offrir une galerie de personnages attachants, tous membres d'une communauté dont le poids de l'Histoire façonne encore aujourd'hui les comportements et les choix de vie.
Car tous sont tiraillés à divers degrés entre une envie de réussite en dehors de la réserve, au prix d'une assimilation profonde à la culture américaine, et le choix, voire pour certains non-choix, de rester dans la réserve en conservant une partie de leur identité profonde, mais au prix de sacrifices, d'une vie bien plus modeste, voir misérable.
Ces sentiments contradictoires, cette identité lourde à porter, ces racines indispensables et ces ailes qui brûlent, on les retrouve à divers degrés dans toutes les communautés perdantes de l'Histoire, dominées par une culture historiquement ou économiquement plus forte. Les réserves sont pareilles à des îles isolées du reste du monde, nul besoin de frontières naturelles pour définir un territoire. Doit-on les quitter pour s'envoler vers un destin ? Doit-on y rester pour résister, reconstruire et avancer ?
La manière de se percevoir en tant qu'améridien debout sur sa terre, sans nier la réalité du quotidien, sans fantasmer une histoire dont l'imagerie a été partiellement confisquée par le cinéma et les livres, est une clef que le personnage possède sans le savoir dès les premières pages, et va apprendre tout au long du roman à cultiver et finalement à utiliser. Accepter cet héritage auquel il a tourné momentanément le dos.
Polar social, aux tonalités politiques savamment et très habilement intégrées dans la trame,
Justice Indienne c'est le camp des cyniques pro-assimilation face à ceux qui finalement avec fierté essaient d'oeuvrer pour la communauté. Et les symboles sont nombreux, de la plaie non refermée du massacre de Wounded Knee et son lieu de mémoire indigne, au retour à une cuisine indigène proche de la terre porté par un des personnages du livre.
Reste que la misère du quotidien frappe fort, plus fort que les poings de Virgil ne pourront jamais le faire. Les mobile homes délabrés posés sur des pelouses jonchées d'ordures, les meutes de chiens errants, les cadavres de voitures qui rouillent dans le froid des plaines,
ces injustices chroniques dont les amérindiens ont été, et sont toujours, victimes. Et la culture amérindienne, ses rites, et croyances qui perdurent tout de même au-delà du rationnel. Demeure donc, et le héros en fera l'expérience, cette part de spirituel, qui malgré le pragmatisme et le nihilisme de notre époque, offre un lien indestructible entre le peuple Lakota, leurs ancêtres, et la terre.
In-
justice IndienneDavid Heska Wanbli Weiden parle d'une réalité qu'il connaît parfaitement. Cette authenticité et cette sincérité achèvent de faire de ce polar une belle découverte qui résonnera ou pas selon la sensibilité de chacun au sujet du sort fait aux indigènes américains. Les pages se tournent vite et mine de rien on ne le lâche pas si facilement, portés par une écriture fluide et sans fioriture. Et on encaisse. Difficile de rester impassible tout de même face à tant d'injustices. Car la liste est longue des offenses subies par les peuples indigènes, et Virgil et les autres le savent, et le portent en eux. Mais malgré cela, et à l'image de leur peuple, ils continueront d'avancer.
Un premier polar réaliste, qui révèle parfois des faiblesses d'écriture et une intrigue convenue, mais cela est vite oublié face à la force du propos. La toile de fond et les ambitieuses thématiques qu'il soulève dépassent peut-être un peu son cadre formel. Cela donne dans tous les cas définitivement envie de se plonger un peu plus dans cette passionnante culture. La littérature amérindienne compte assurément un nouvel auteur, que l'on peut lire une fois de plus grâce aux formidables éditions Gallmeister. A noter le travail de traduction précis, et respectueux des noms propres et termes en lakota de
Sophie Aslanides. Il faudra guetter les prochains livres de
David Heska Wanbli Weiden qui pourrait nous réserver de bonnes surprises.
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