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Critique de glegat


Michel Winock dessine une fresque magistrale du XXe siècle en se plaçant du côté des intellectuels qui ont commenté tous les grands évènements de cette période riche en évènements. le livre commence avec l'affaire Dreyfus qui a débuté en 1894 et se termine dans les années 1980 après la mort de Jean-Paul Sartre.

C'est autour de 1898 avec l'article « j'accuse » de Zola que le terme « intellectuel » est utilisé pour désigner les signataires des pétitions en faveur de Dreyfus. Il s'agit majoritairement d'écrivains, d'enseignants, d'agrégés, d'historiens, de philosophes. C'est à cette époque qu'est créée l'association pour la défense des droits de l'homme afin de prendre parti pour la reconnaissance de l'innocence de Dreyfus, mais aussi pour lutter contre toutes les injustices et la défense de l'état de droit.

L'auteur dessine les portraits au physique et au moral des personnages les plus célèbres de l'époque, Charles Maurras et sa phobie de l'étranger, Maurice Barrès dont l'histoire a retenu ces mots accablants pour sa mémoire : « Que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race. ». Mais il y a aussi les grandes figures de la gauche, Léon Blum, Jaurès, les écrivains engagés pour la paix Romain Rolland, Anatole France, Giono. Il est question aussi de la genèse des grands quotidiens et des maisons d'édition, l'humanité, l'action française, la NRF qui sera créée par André Gide puis dirigé par Gaston Gallimard qui éditera les auteurs le plus prestigieux.

Ce livre raconte l'histoire d'une époque tourmentée par les deux guerres mondiales, le développement du fascisme et la formation des états totalitaires de gauche ou d'extrême droite avec Mussolini, Franco, Hitler, Staline. Des intellectuels tentent de trouver un chemin vers la paix, d'autres trouvent des justifications à la guerre et à la colonisation. Beaucoup se fourvoie, se trompe change d'avis ou s'enfonce dans l'idéologie.
1927 Gide dénonce les comportements des colonisateurs au Congo, face à l'indifférence des riches envers les plus démunis Gide se tourne vers le communisme. Il est invité en URSS, mais déçu par sa visite il publiera son livre « De retour d'URSS » ou il ne ménage pas ses critiques à l'égard du régime de Staline.

Sur la guerre d'Espagne, Bernanos publie « Des cimetières sous la Lune ». En 1935, en terme de tirage, les journaux de droite ou d'extrême droite dominent (Gringoire, Candide, Je suis partout).
Les choses vont changer à partir de 1948, l'attitude de Staline à l'égard de la Yougoslavie de Tito qui veut garder une certaine indépendance par rapport à la Russie choque bon nombre de communistes français. À l'aube des années cinquante des procès retentissants vont brouiller l'image de l'URSS, mais il faudra encore plusieurs années aux intellectuels de gauche les plus éminents pour connaître et dénoncer la nature totalitaire du régime stalinien. En 1956 le Monde publie le rapport secret de Khrouchtchev sur les crimes de Staline ce qui abasourdit les militants communistes. Cette même année les chars soviétiques sont lancés sur Budapest contre l'insurrection hongroise. Sartre rompt officiellement avec les communistes de l'URSS. Mais il faudra encore attendre 1974 et la publication de l'archipel du Goulag de Solejenitsyne pour achever de convaincre les plus ardents défenseurs du régime stalinien.

Une époque agitée, pleine de rebondissements, où les journaux et les livres sont les moyens privilégiés de l'information permettant à une élite intellectuelle d'orienter l'opinion publique sans pour autant pouvoir éviter les abus, les erreurs, l'aveuglement. de grandes intelligences se sont mises au service de causes funestes, d'autres se sont sacrifiées.

Le manifeste des intellectuels publiés dans le Monde du 4 juillet 1973 offre une conclusion synthétique de cette épopée, en voici un extrait :
« Aucun pays, aucun régime, aucun groupe social n'est porteur de la vérité et de la justice absolue, et sans doute aucun ne le sera jamais. La terrifiante expérience du stalinisme, la transformation d'intellectuels révolutionnaires en apologistes du crime et du mensonge, montre jusqu'où peuvent conduire les identifications utopiques et l'attrait du pouvoir, ces tentations caractéristiques de l'intellectuel contemporain… »

Cet ouvrage est à la fois un hommage aux grands hommes, aux grands penseurs, mais aussi une mise en garde contre ceux qui prétendent détenir la vérité. le meilleur moyen de naviguer dans des eaux troubles est peut-être la godille, le godilleur manoeuvre l'aviron à l'arrière de l'embarcation dans un mouvement de gauche à droite qui lui permet d'avancer…

— « Le siècle des intellectuels », Michel Winock, Éditions du seuil (1997), 695 pages.
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