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EAN : 9782020881807
887 pages
Seuil (07/06/2006)
4.11/5   70 notes
Résumé :
Cette histoire chronologique des intellectuels est moins une histoire des personnes, des idées, des œuvres - mais c'est aussi tout cela - que le récit de leurs affrontements, de leurs amitiés ou de leurs haines. C'est un livre d'action décrivant les empoignades non pas de vieux sages rassis, embaumés par nos manuels, mais de jeunes gens fougueux qui se traitent de " Tartuffe moisi " et font le coup de poing. A travers les années Barrès, les années Gide, les années S... >Voir plus
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Sans doute rien de bien nouveau sous le soleil déclinant de l'homme « qui se mêle de ce qui ne le regarde pas ».

C'est un livre que qu'on aimerait voir inscrit au programme du lycée. Malgré sa taille, il est facile à lire avec de courts chapitres, de nombreuses citations, des anecdotes qui permettent de se faire une bonne idée des acteurs en présence – d'autant plus agréablement que l'auteur se garde de porter des jugements d'opinion (livre écrit dans les années 90…). Je recommande.

Que reste-t-il de cette enrichissante lecture ? En dehors de quelques fusées dans le ciel du siècle (J'accuse de Zola, retour d'URSS de Gide) l'impression d'un certain gâchis. Ces intellectuels, d'abord, qui sont-ils ? Ceux qui se sont assignés "mission d'écrire, d'éclairer l'opinion, de prendre parti publiquement" (chapitre 37) ; ou cette définition de Sartre (qui n'est jamais aussi bon que lorsqu'il parle de ses propres défauts) « l'intellectuel est quelqu'un qui se mêle de ce qui ne le regarde pas » ; « originellement, donc, l'ensemble des intellectuels apparaît comme une diversité d'hommes ayant acquis quelque notoriété par des travaux qui relèvent de l'intelligence (science exacte, science appliquée, médecine, littérature, etc.) et qui abusent de cette notoriété pour sortir de leur domaine et critiquer la société et les pouvoirs établis au nom d'une conception globale et dogmatique (vague ou précise, moraliste ou marxiste) de l'homme. ».

A quoi servent-ils, ces intellectuels qui, malgré leurs journaux, leurs revues, leurs éditos, leurs pamphlets, leurs pétitions et contre-pétitions, semblent bien impuissants face aux déferlantes de l'Histoire ? Et pourtant « chacun s'efforce de jouer son petit rôle et s'agite comme frissonne chaque feuille du platane » (Barrès). Car ces têtes pensantes de l'Hydre repoussent à chaque génération, en alternances de thèse/antithèse, avec lente précession, sur un terreau français traditionnellement favorable aux sentiments exaltés, aux grandes déclamations, aux analyses verbeuses, aux utopies "chimiquement pures, mais d'un irréalisme somptueux", dépourvues du pragmatisme anglo-saxon. A quoi aura servi tout ce fracas d'idées sinon à la publicité de leurs auteurs et l'alimentation des cafés du commerce. Je caricature bien sûr. Il y a des hommes de bonne volonté (ex. Paulhan ou le discret Martin du Gard) pas toujours les mieux reçus, ni les mieux compris de leur temps.

Ce siècle des intellectuels, pour une grande part, c'est donc le récit d'un échec : celui d'une tentative de reprendre le flambeau d'une religion dont dieu est mort au XIXe. On y retrouve pourtant des églises, des crédos, des anathèmes, des censures, des cultes voués au mythe révolutionnaire, des kabbales, un appel exalté à la fin de la Loi, une haine cyclique du capitalisme (totalitarisme fasciste ou communiste, ils partagent cet ennemi), l'Internationale d'un universalisme communiste de type paulinien, l'eschatologie marxiste déçue (la parousie du prolétariat malheureusement n'aura pas lieu) ; et puis le défilé des chantres, que leurs positions soient de type théologique (réclamé par Benda avec sa Trahison des Clercs) ou messianique (Sartre pérorant sur son tonneau devant l'église, pardon, devant l'usine Renault) ou bien encore les attaques plus prophétiques d'un Bernanos contre les robots. Parmi eux, très peu de saint penseur, c'est-à-dire désintéressé et mettant sa réflexion au seul service des autres. Sans doute Péguy. Car pratiquement tous, sinon peut-être les purs écrivains pour qui la plume ne se rémunère pas à l'encre d'une Cause autre que l'art, pratiquement tous ne jouent finalement que pour sa propre chapelle, sinon sa pomme. Il est vrai que « L'Absolu n'est pas de ce monde et n'est pas commensurable à ce monde. Nous ne nous engageons jamais que dans des combats discutables sur des causes imparfaites » (Mounier) ; et "Jamais un idéalisme ne devrait se prêter à la politique. Il en est toujours la dupe et la victime. On se sert de lui." (Romain Rolland).

Le livre s'ouvre avec le cas d'école de l'affaire Dreyfus. On suit ensuite l'aller-retour du balancier des courants conformistes/anticonformistes, gauche/droite, enfin surtout gauche/gauche, car en France, ‘intellectuel' et ‘intellectuel de gauche' deviennent vite synonyme, « la droite refusant d'attribuer aux hommes de pensée des aptitudes spéciales en politique » (avec cette observation d'Aron que « Les dirigeants de la gauche se situent au milieu de la hiérarchie, ils mobilisent ceux qui sont en bas pour chasser ceux qui sont en haut, ils sont des demi-privilégiés qui représentent les non-privilégiés jusqu'à la victoire qui en fera des privilégiés ») ; oscillation au gré des déceptions, des heurts météorites de l'actualité, ou entrecoupée des crises urticaires de la révolution à tout prix, improvisée et autosuffisante, notoirement symptomatique d'un Sartre qui, se trouvant en villégiature on ne peut plus bourgeoise à Venise, signe son support immédiat à tout mouvement insurrectionnel qui passe (comme en 68, cette « Révolution Introuvable ») y apportant son soutien inconditionnel d'anti-bourgeois convaincu (« un anticommuniste est un chien, je ne sors pas de là, je n'en sortirai plus jamais » ; il en sortira, rattrapé par la réalité des déceptions de l'Est, malgré un retournement de veste dont l'endroit pour beaucoup, aura été Staline et l'envers fut Mao). Encore aujourd'hui cette démangeaison gratte le papier de pigistes pyromanes ou autres députés insubordonnés à peine tombés du lit pour arriver, ½ siècle en retard, en classe des redoublants de l'école 68arde.

On (re)découvre tout cela et l'on se fait sa propre idée sur Barrès, Breton, Aragon, Mauriac, Drieu, et beaucoup d'autres. Certains attirent la sympathie, d'autres absolument pas. Mais quoi qu'on en pense, à parcourir les photos de l'ouvrage, c'est un fait que l'intellectuel s'habille de moins en moins bien.

Qu'aurait ajouté Winock aux années 2000 ? Peut-être aurait-il décrit les derniers spasmes de l'intellectuel moralisant, coq inaudible qui s'époumone au soleil couchant de l'intelligence, ses deux ergots plantés dans ce tas de fumier assourdissant qu'est le tout-venant fumeux des réseaux a-sociaux. Revient alors à l'esprit cette anecdote d'un Gide, qui, au cirque, est démoralisé de voir les « trépignements de joie du public » devant de médiocres clowns (chapitre 24).
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Michel Winock dessine une fresque magistrale du XXe siècle en se plaçant du côté des intellectuels qui ont commenté tous les grands évènements de cette période riche en évènements. le livre commence avec l'affaire Dreyfus qui a débuté en 1894 et se termine dans les années 1980 après la mort de Jean-Paul Sartre.

C'est autour de 1898 avec l'article « j'accuse » de Zola que le terme « intellectuel » est utilisé pour désigner les signataires des pétitions en faveur de Dreyfus. Il s'agit majoritairement d'écrivains, d'enseignants, d'agrégés, d'historiens, de philosophes. C'est à cette époque qu'est créée l'association pour la défense des droits de l'homme afin de prendre parti pour la reconnaissance de l'innocence de Dreyfus, mais aussi pour lutter contre toutes les injustices et la défense de l'état de droit.

L'auteur dessine les portraits au physique et au moral des personnages les plus célèbres de l'époque, Charles Maurras et sa phobie de l'étranger, Maurice Barrès dont l'histoire a retenu ces mots accablants pour sa mémoire : « Que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race. ». Mais il y a aussi les grandes figures de la gauche, Léon Blum, Jaurès, les écrivains engagés pour la paix Romain Rolland, Anatole France, Giono. Il est question aussi de la genèse des grands quotidiens et des maisons d'édition, l'humanité, l'action française, la NRF qui sera créée par André Gide puis dirigé par Gaston Gallimard qui éditera les auteurs le plus prestigieux.

Ce livre raconte l'histoire d'une époque tourmentée par les deux guerres mondiales, le développement du fascisme et la formation des états totalitaires de gauche ou d'extrême droite avec Mussolini, Franco, Hitler, Staline. Des intellectuels tentent de trouver un chemin vers la paix, d'autres trouvent des justifications à la guerre et à la colonisation. Beaucoup se fourvoie, se trompe change d'avis ou s'enfonce dans l'idéologie.
1927 Gide dénonce les comportements des colonisateurs au Congo, face à l'indifférence des riches envers les plus démunis Gide se tourne vers le communisme. Il est invité en URSS, mais déçu par sa visite il publiera son livre « De retour d'URSS » ou il ne ménage pas ses critiques à l'égard du régime de Staline.

Sur la guerre d'Espagne, Bernanos publie « Des cimetières sous la Lune ». En 1935, en terme de tirage, les journaux de droite ou d'extrême droite dominent (Gringoire, Candide, Je suis partout).
Les choses vont changer à partir de 1948, l'attitude de Staline à l'égard de la Yougoslavie de Tito qui veut garder une certaine indépendance par rapport à la Russie choque bon nombre de communistes français. À l'aube des années cinquante des procès retentissants vont brouiller l'image de l'URSS, mais il faudra encore plusieurs années aux intellectuels de gauche les plus éminents pour connaître et dénoncer la nature totalitaire du régime stalinien. En 1956 le Monde publie le rapport secret de Khrouchtchev sur les crimes de Staline ce qui abasourdit les militants communistes. Cette même année les chars soviétiques sont lancés sur Budapest contre l'insurrection hongroise. Sartre rompt officiellement avec les communistes de l'URSS. Mais il faudra encore attendre 1974 et la publication de l'archipel du Goulag de Solejenitsyne pour achever de convaincre les plus ardents défenseurs du régime stalinien.

Une époque agitée, pleine de rebondissements, où les journaux et les livres sont les moyens privilégiés de l'information permettant à une élite intellectuelle d'orienter l'opinion publique sans pour autant pouvoir éviter les abus, les erreurs, l'aveuglement. de grandes intelligences se sont mises au service de causes funestes, d'autres se sont sacrifiées.

Le manifeste des intellectuels publiés dans le Monde du 4 juillet 1973 offre une conclusion synthétique de cette épopée, en voici un extrait :
« Aucun pays, aucun régime, aucun groupe social n'est porteur de la vérité et de la justice absolue, et sans doute aucun ne le sera jamais. La terrifiante expérience du stalinisme, la transformation d'intellectuels révolutionnaires en apologistes du crime et du mensonge, montre jusqu'où peuvent conduire les identifications utopiques et l'attrait du pouvoir, ces tentations caractéristiques de l'intellectuel contemporain… »

Cet ouvrage est à la fois un hommage aux grands hommes, aux grands penseurs, mais aussi une mise en garde contre ceux qui prétendent détenir la vérité. le meilleur moyen de naviguer dans des eaux troubles est peut-être la godille, le godilleur manoeuvre l'aviron à l'arrière de l'embarcation dans un mouvement de gauche à droite qui lui permet d'avancer…

— « Le siècle des intellectuels », Michel Winock, Éditions du seuil (1997), 695 pages.
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Voilà un livre que je suis content d'avoir enfin terminé, un peu frustré d'avoir régulièrement du compléter ma lecture pour préciser un point d'histoire, un nom de personne, une oeuvre littéraire ou même un courant de pensée. de fait, ce long pensum s'attache moins à l ‘évolution des grands courants intellectuels du siècle qu'à la petite histoire des polémiques , des prises de positions, des errements politiques, des retournements de veste et affrontements divers des ténors de la vie intellectuelle de l'époque. L'auteur n'a pas lésiné sur le nombres des célébrités qui ont marqué cette histoire, résultat je suppose d'un colossal travail d'épluchage et de compilation de toutes les sources disponibles. Au delà du respect du à Michel Winock pour sa culture sous jacente et son impressionnant inventaire, je ressors de cette lecture un peu déçu de l'éclairage porté sur tous ces noms prestigieux, souvent versatiles et approximatifs. Avec le recul, c'est certes plus facile, mais il faut reconnaitre que les résultats de ces débats enflammés n'ont pas été à la hauteur de la fougue des égos des protagonistes. Comme nos réseaux sociaux d'aujourd'hui, ces cerveaux, pourtant brillants et sincères dans leurs convictions m'ont donné l'impression d'avoir surtout nourri un débat privilégiant la polémique et le conformisme à la profondeur des analyses. Ne laissez pas les intellectuels jouer avec les allumettes … disait Prévert, ce petit poème pourrait résumer le livre. Sans doute la politique est-elle trop réductrice pour être affaire d'intellectuels. Leur rôle est plus subtil et plus souterrain. La presse (revues et journaux) a néanmoins joué, tout au long du 20ème siècle, un rôle dans les consciences que la rationalité économique, la concentration des opérateurs et le penchant pour l'information condensée mettent à mal aujourd'hui. La lecture de ce livre en une fois est un peu indigeste, mais les chapitres sont bien identifiés et rien n'empêche d'y revenir plus sélectivement, ce que je ferais volontiers. Une référence quoiqu'il en soit.
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J'ai trouvé cet essai très enrichissant. Le lecteur redécouvre l'Histoire Contemporaine de la France à partir des grandes idées et des grands débats qui ont secoué le monde des intellectuels. J'ai été fasciné par ce livre, car je trouve qu'il donne une dimension humaine à tous ces hommes qui ont autant marqué la littérature et la philosophie que le monde politique de leur temps. On y voit leurs erreurs, leur manque de clairvoyance parfois. C'est même tellement bien raconté et expliqué que je me suis surpris moi même en apréciant, du moins, en comprenant, certains personnages que mes lectures précédentes m'avaient plutôt amené à détester: André Gide et Léon Blum par exemple. Par contre, rien à faire, j'ai toujours autant d'aversion pour Jean-Paul Sartre... Je me suis surpris à esquisser un sourire en lisant l'outrance grotesque de Charles Maurras, et les répliques assassines que ces hommes à la plume affûtée ont pu s'adresser. En tout cas, l'essentiel, c'est que l'on comprenne certaines paroles, certains agissements qui aujourd'hui nous paraissent obscurs, je pense à Louis Ferdinand Céline.

Le livre est organisé en petits chapitres d'une dizaine de pages chacun, ce qui est très agréable pour ceux qui veulent faire une fiche de lecture. Je l'ai lu dans le cadre de mes études et ça m'a bien aidé.

Il faut le dire, ce livre appartient à une tendance historiographique, Michel Winock prend notamment parti sur le débat "du fascisme français entre 1918 et 1940" (Chapitre 25: Drieu la Rochelle ou la tentation fasciste), qui a d'ailleurs connu un rebondissement ces derniers mois avec la parution de "Anti-Lumières" de Zeev Sternhell, un historien Israélien qui soutient l'existence d'un "fascisme français" avant la deuxième Guerre Mondiale, que l'Histoire ne tient que d'un conflit entre les "lumières" (soit les intellectuels), et les "anti-lumières" (les fascistes, sous entendus les conservateurs)... Pour moi c'est un peu binaire comme réflexion mais chacun son point de vue, et le livre de Winock esquisse la complexité des courants de pensées et leur diversité. Je ne crois pas en tout cas que l'on puisse parler de l'Histoire contemporaine autour de deux courants, cette manière de présenter les choses me rappelle mes cours de collège ("dreyfusard" et "antidreyfusards"...) bref...

Pour conclure, je recommande cet ouvrage, qui permet d'apprécier l'histoire de la culture française, de comprendre ces intellectuels et de saisir la dimension humaine de ces monuments de la pensée qui nous échappe parfois derrière les plus belles pages qu'ils nous ont laissées.

edit: Je crois que ce qui me dérange le plus chez Sartre, c'est qu'il me résiste, je n'arrive pas à trouver de faille dans sa philosophie.
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Je mentirais en vantant la pleine et entière objectivité de Michel Winock dans cette impressionnante histoire des intellectuels français. En effet, Winock est un pur produit du progressisme et ça se sent : plus indulgent avec les intellectuels de gauche que ceux de droite, il faut l'avouer.
L'auteur n'hésite cependant pas à pointer les errements des intellectuels qui se sont fourvoyés dans le leurre communiste, lequel a permis de pêcher pas mal de poissons avant que certains d'entre eux ne décident de retourner à l'eau, écoeurés par son vrai visage au fur et à mesure des révélations sur les régimes socialistes.
Les intellectuels et la France c'est un peu comme les cow-boys et les États-Unis. C'est surtout une histoire hybride, entre création artistique et convictions politiques, qui s'éteindra progressivement – c'est mon avis – à partir des années 1980, les intellectuels désormais supplantés par des polémistes plus ou moins talentueux, dont Éric Zemmour et Michel Onfray sont deux spécimens fameux.
Lorsque des Zola, Barrès, Gide, Giono, Breton, Camus, Pérec, etc., tenaient, à leurs époques respectives, le haut du pavé de la pensée intellectuelle française sous toutes ses formes, cela avait une autre allure, il faut l'admettre.
J'évite volontairement d'évoquer l'« agité du bocal », comme l'appelait Céline, à savoir Sartre, résistant de la 25e heure en toute matière, hargneux mondain et bourgeois en diable malgré son désir du contraire, cependant souvent nommé et commenté dans le présent essai, et un peu trop encensé à mon goût, tandis que nombre de ses contemporains étaient nettement plus talentueux et courageux que lui.
Winock montre donc le pouvoir de l'Histoire sur les intellectuels, dont beaucoup se sont révélés par elle. C'est même l'Histoire qui les a fait naître, dès l'Affaire Dreyfus. Et, depuis cette année 1894, où un officier français se voyait condamné à la dégradation et au bannissement pour intelligence avec l'ennemi, les intellectuels n'ont cessé de s'affronter, au propre comme au figuré. Chacun choisissait son camp, avec ou sans nuance. Cela permet, encore aujourd'hui, à beaucoup de les juger à l'aune de leurs seuls engagements. Il n'aura échappé à personne que Céline soulève toujours les passions les plus violentes, surtout à l'heure où il est question de rééditer ses sulfureux pamphlets.
Winock arrête ce siècle des intellectuels aux morts de Sartre et Raymond Aron. Force est de reconnaître que les années qui suivront sonneront le glas des intellectuels dignes de ce nom.
Mais quelle aventure que la leur lorsque, à travers la presse et l'édition, ils diffusaient leurs oeuvres et leurs idées bien au-delà de nos frontières ; ce qui fit longtemps de la France le lieu de la pensée par excellence, et particulièrement Paris !
Que reste-t-il de tout ceci, à l'heure où les écrans envahissent notre vie au risque de l'abrutissement irrémédiable ? Un souvenir, pas toujours heureux quand on songe à tous ces hommes et femmes qui se sont illusionnés avec l'URSS et plus tard la Chine maoïste, comme se leurrèrent dangereusement des plumes d'exception, tel Drieu La Rochelle avec la Collaboration. Mais ce fut une aventure exaltante. Aujourd'hui, ceux qui prétendent penser ne nous font même plus rêver. C'est pourquoi l'impressionnant essai de Michel Winock – écrit il y a vingt ans – sonne aussi comme une nostalgie amère…

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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Citant Emmanuel Mounier, directeur de la revue Esprit : "Un pays qui fait profession de non-résistance au nom de sa tranquillité n’est pas un pays généreux, c’est un pays épuisé ; une nation qui ne désire que se maintenir, recule ; le faible tente le fort, la victime tente le bourreau."
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Martin du Gard, qui connaît son Gide par coeur, a déjà certains doutes sur la nouvelle foi de son ami dès 1934 : « Il est moins assuré dans son communisme qu’on ne le croit, qu’on ne le dit, qu’on ne veut le faire croire dans les milieux militants où on l’attire. » Sa sympathie pour l’URSS est sincère ; tout cela ne relève ni de la feinte ni de la pose. Martin du Gard le sait. Sagace, il s’interroge plutôt sur les communistes : « Il faut que le Parti ait été bien confiant, ou bien mal renseigné, lorsqu’il a misé sur Gide !… Quelle imprudence d’attacher tant de prix à l’affiliation d’un esprit aussi naturellement inapte à la conviction, toujours ailleurs que là où il semblait s’être fixé la veille ! Je crains fort que, à la longue, et malgré son authentique bonne volonté, il ne déçoive un jour ses nouveaux amis. »
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Un jeune écrivain ne s’y trompe pas. Il se nomme Albert Camus et écrit dans le journal communisant Alger républicain : « Bernanos est un écrivain deux fois trahi. Si les hommes de droite le répudient pour avoir écrit que les assassinats de Franco lui soulevaient le coeur, les partis de gauche l’acclament quand il ne veut point l’être par eux. Car Bernanos est monarchiste […]. Il garde à la fois l’amour vrai du peuple et le dégoût des formes démocratiques. » Il faut donc respecter l’homme « tout entier », et ne pas tenter de l’« annexer ».
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Plus large, plus profond ,plus durable que les cris des pamphlétaires et les manifestes des pétitionnaires,c'est le travail quotidien des intellectuels anonymes- comme éducateurs notamment - qui me paraît devoir être reconnu comme le véritable contre-pouvoir ,à la fois critique et organique , au sein de la société démocratique.
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[ … ] [ Zola ] c’est un « intellectuel », c’est-à-dire quelqu’un qui, comme tous les intellectuels, s’imagine que la société doit se fonder sur la logique, alors qu’elle repose sur des nécessités qui sont souvent étrangères à la raison. L’intellectuel ignore ce qu’est l’instinct, la tradition, le goût du terroir, tout ce qui fait une nation de chair et de sang. Il croit qu’on fait l’union sur des idées.

p. 38.
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Videos de Michel Winock (31) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Michel Winock
Par Annette WIEVIORKA, directrice de recherche émérite au CNRS
Tout historien, et même préhistorien, établit un lien avec "ses" morts dont il tente de restituer l'histoire, de la Lucy d'Yves Coppens aux morts qui sont ses contemporains. L'opération historiographique a souvent été décrite, de Jules Michelet à Michel de Certeau, comme opération de résurrection des morts et oeuvre de sépulture de ces morts qui hantent notre présent. Il y a aussi d'autres morts. Ceux des siens qui sont autant de dibbouk pour l'historien parce qu'ils ont orienté sa vie. Ce sont des morts fauchés avant d'avoir été au bout de leur vie, des morts scandaleuses. "Je suis le fils de la morte". Ce sont les premiers mots de l'essai d'égo-histoire de Pierre Chaunu. Ces morts nourrissent les récits familiaux, devenu un nouveau genre historique, de Jeanne et les siens de Michel Winock (2003)("La mort était chez nous comme chez elle") à mes Tombeaux (2023). Les morts de la Shoah occupent une place tout à la fois semblable et autre. C'est la tentative d'éradiquer un peuple, la disparition du monde yiddish dont ceux qui en furent victimes prirent conscience alors même que le génocide était mis en oeuvre. Ecrits des ghettos, archives des ghettos, rédaction de livres du souvenir, ces mémoriaux juifs de Pologne écrits collectivement pour décrire la vie d'avant, recherche des noms des morts, plaques, murs des noms, bases de données.... Toute une construction mémorielle. Vint ensuite le temps du "je"(qui n'est pas spécifique à cette histoire) , celui des descendants des victimes, deuxième, troisième génération, restituant l'histoire des leurs. Chaque année, plusieurs récits paraissent, oeuvres d'historiens ou d'écrivains, qui usent désormais des mêmes sources, témoignages et archives, causant un trouble dans les genres.
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>France : histoire>20e siècle>Troisième République: 1870-1945 (178)
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