Les Hopi, une tribu indienne, possèdent un langage aussi sophistiqué que le nôtre, mais pas de formes verbales pour le passé, le présent et le futur. Cette division est inexistante. Qu'en tirons-nous comme enseignement sur le temps ? (p. 9)
Pour les Grecs, la vie secrète exigeait une encre sympathique. Ils rédigeaient une lettre anodine et, entre les lignes, en intercalaient une autre écrite avec du lait. Le document semblait assez innocent, jusqu'au moment où un lecteur plus avisé le saupoudrait de poussière de charbon. L'ancien contenu ne comptait plus ; ce qui comptait, c'était la vie qui surgissait, insoupçonnée jusqu'alors.
(p. 12-13)
"I was none of these things, but I became them. (...) As your lover describes you, so you are".
Tradescant s'était imposé en Angleterre pour son travail sur le cerisier, et c'est sur le cerisier que j'ai été initié à l'art du greffage ; je me demandais si c'était là un art que je pouvais m'appliquer à moi-même.
Ma mère, lorsqu'elle m'a vu essayer patiemment d'obtenir un produit à partir d'une guigne noire et d'une griotte, m'a crié deux choses : "Autant essayer de nous souder l'un à l'autre en nous cousant par la hanche !" et puis : "De quel sexe est le monstre que tu crées ?"
J’ai rencontré un grand nombre de pèlerins sur le chemin qui mène à Dieu et je me demande pour quelle raison ils ont choisi de Le chercher au lieu de se chercher eux-mêmes. Peut-être que j’ai mal compris, peut-être en cherchant quelqu’un d’autre a-t-on une chance de tomber inopinément sur soi, quelque part, dans un jardin ou sur une montagne, face à la pluie. Mais les gens ne me semblent guère préoccupés de savoir qui ils sont. Certains d’entre eux m’ont dit que le fait de chercher Dieu consiste justement à s’oublier, à se perdre à jamais. Mais ce n’est pas difficile de se perdre, ou bien est-ce de l’ego qu’ils parlent, de ce cadavre creux et braillard qui n’a pas d’âme ?
Je pense que ce cadavre n’est que le soi idéal en proie à la folie, et que si l’autre vie, la vie secrète, pouvait être retrouvée et ramenée à la maison, alors l’individu pourrait vivre en paix et n’avoir nul besoin de Dieu. Après tout, Lui n’a pas besoin de nous, étant parfait.
(p. 146)
Il se peut que je sois cynique quand je dis que l’aimée est très rarement plus qu’une ombre qui donne forme aux rêves de l’amant. Et cela suffit-il, sans doute. Le rôle de muse peut suffire. Il y a souffrance quand les rêves changent, comme ils le font, comme ils doivent le faire. Soudain la cité enchantée s’évanouit et vous vous retrouvez seul dans le désert battu par les vents. Quant à l’être aimé, il ne vous comprenait pas. La vérité, c’est que l’on ne se comprend jamais soi-même.
(p. 104)
Est-ce que nous vivons tous comme cela ? Deux vies, la vie extérieure idéale et la vie imaginaire intérieure qui garde ses secrets ?
(p. 145)