Le jour, elle lutte pour résister au naufrage, un pas après l'autre, titubant la canne à la main, s'accrochant aux rebords des tables, aux bras des fauteuils, pour éviter de s'effondrer sur le plancher. La fameuse chute qui conduit au cimetière. La lutte est sans merci. La nuit, elle dort sans dormir pour ne pas se laisser engloutir par la mort. (p. 111).
Se remémorer le passé, c'était sans cesse sombrer un peu plus profondément dans la vieillesse. La vie l'avait rendu vieux, il n'en guérirait pas. (p. 103)
Pourquoi Cécile continue-t-elle à la contempler comme si elle était un animal de laboratoire ? Voilà bien ce que deviennent les vieux : des rongeurs qu'on observe à la loupe pour évaluer le déclin de leur énergie, de leur moral et de leur puissance de séduction, en déduire ainsi le temps qui leur reste à vivre. (p. 65)
Creuser les bas-fonds de la mémoire provoque des douleurs intenses dans tout son corps. Elle en pleurerait si il lui restait quelques larmes. Mais elle n'est qu'une vieille femme hantée par une histoire dont elle n'est même plus capable de savoir comment elle l'a vécue. Le passé s'éloigne d'elle et le présent est un vain mot. (p. 200)
Le miroir ne reflète plus qu'une ombre indécise d'elle-même. Les contours de son visage se font de plus en plus imprécis. La vue s'évanouit avec la vie. Peut-être est-ce mieux ainsi. Ne pas savoir ce que l'âge a bouleversé, ignorer les sillons que l'existence trace sur la peau. Être à côté de soi. Seul le regard de Cécile la rappelle à sa condition de femme de quatre-vingt-dix ans. (p. 152)
Tant que sa mère vivra, son existence sera en désordre. Après, elle s'encombrera de son absence. (p. 87)
Il n'y avait rien à comprendre au sentiment d'amour. On en était affecté comme d'une grippe. Seulement, des traitements existaient pour guérir de la grippe, rien encore n'avait été inventé pour se délivrer de la maladie d'amour. (p. 43)
Elle voudrait être cette note qui vient d'éclater et fait tressaillir sa mère, bouleverse son visage, embrume son regard. Elle voudrait être le violon que sa mère tient sous le cou et qu'elle manie avec prudence, douceur, grâce, amour. Elle voudrait être la partition sur laquelle elle penche ses grands yeux aux reflets d'or. Elle voudrait être la musique qui emplit la vie de Marta, ou devenir sa confidente. Elle voudrait être Mozart pour que sa mère l'admire. (pp. 12-13)