Enfant des rues, Liborio a fui à seize ans son Mexique natal et une pseudo tante maltraitante pour les Etats-Unis. C'est là que nous faisons sa connaissance, plus précisément dans les rayons de la librairie où il est employé, au noir, par un patron à l'humour méchamment humiliant qui ne déstabilise guère Liborio : il en a vu d'autres et il n'a pas non plus la langue dans sa poche... Ses journées s'écoulent entre le rangement des ouvrages en rayons, et l'observation des allées et venues de la "gisquette" de l'immeuble d'en face, qu'il n'est pas le seul à trouver très jolie. C'est d'ailleurs en volant au secours de son honneur que le narrateur connait un tournant dans sa vie. Voulant punir les "crevards" qui lui ont manqué de respect en lui mettant une main aux fesses, il subit un tabassage monumental avec un stoïcisme qui le rend célèbre, la vidéo de la bastonnade ayant été postée sur You Tube. L'invisible petit immigré suscite alors l'intérêt de divers samaritains et fait, surtout, la connaissance de celle dont il a défendu la dignité, Aireen.
"
Gabacho", c'est d'abord un langage, un ton qui lui est propre, mélange d'argot, de poésie et de vocables savants, certes original, mais aussi un peu déstabilisant, car donnant des associations improbables, dont voici, pour vous donner une idée, un échantillon :
"... j'ai l'âme qui me pend des couilles"
"On se matérialise tous en démons écrasés par notre propre insolvabilité rachitique"
"J'avance, sybaritique"
"Des étoiles épineuses transpirent, diamantines"
"... le soleil s'ergastule"...
J'ai personnellement été gênée au départ par ce curieux cocktail, que je trouvais d'une part inadapté au propos, et d'autre part peu vraisemblable, venant d'un narrateur n'ayant connu qu'une scolarité rudimentaire, même s'il a eu l'occasion de dévorer, en cachette de son patron, quelques classiques de la librairie. Son caractère saugrenu focalisant sur le style, ce dernier, au lieu de servir l'intrigue, occulte l'histoire, les personnages.
Puis, au fil du récit et des péripéties tragi-comiques de l'attachant Liberio, la dynamique de la plume a fini par m'emporter, et j'ai réalisé que ce ton décalé était probablement une volonté de l'auteur pour, au-delà de tout souci de crédibilité, doter son texte d'une dimension caricaturale, lui donnant ainsi des allures de fable moderne, et créant un décalage finalement intéressant entre un propos terre-à-terre, dramatique, et la personnalité gouailleuse de son héros. N'ayant connu que la survie et ses règles intraitables, devenu dur au mal, méfiant, Liberio porte sur le monde l'acuité de son regard à la fois ingénu et aguerri. Il exprime aussi sa rage, son mal-être, les moments où il se sent comme en cage, le cerveau sur le point d'éclater, et le décalage entre ce qu'il vit et la façon dont il est perçu par les autres, qu'ils nient, en raison de son statut de clandestin, sa dignité, son humanité, ou qu'ils idéalisent son image, pour en faire l'étendard du pseudo altruisme qu'ils veulent exposer au monde.
Une lecture finalement plaisante...
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