Le convoi était gigantesque : plusieurs douzaines de camions contenant un millier d'hommes. Wen était terrassée à la fois par le nombre de soldats et par la splendeur de la route. C'était encore plus impressionnant qu'elle ne l'avait imaginé. Avec ses tournants et ses lacets sans fin, la route franchissait un nombre incalculable de montagnes. Le temps ne cessait de changer. Un instant, c'était comme une chaude journée de printemps avec des fleurs, et l'instants d'après des flocons de neige virevoltaient autour d'eux. Elle avait l'impression de se trouver dans un pays féerique où en un seul jour se succédaient des milliers d'années.
Je m'inquiétais à l'idée que l'étroit petit lit ne convienne pas à son grand corps, mais là aussi Wen m'a surprise. Avant d'enlever sa robe tibétaine, elle en a sorti ses affaires comme un magicien sort des oiseaux de son chapeau. De deux poches intérieures elle a extrait des livres et de l'argent, et des poches de sa manche des petites bourses en peau de mouton. De sa botte droite, un couteau, de sa gauche, des papiers. Elle a plongé la main dans la ceinture de sa robe et en a retiré deux grandes sacoches de cuir. Puis elle a dénoué sa longue ceinture de soie, à laquelle étaient attachés d'autres petits sacs de cuir et des outils.
Je l'observais, stupéfaite, sa robe lui servait de bagage. Elle s'est révélée lui servir aussi de lit. Elle l'a étalée sur le lit comme un matelas, a placé la ceinture de soie sur les livres et les cartes pour se faire un oreiller, puis fourré toutes ses affaires dans les manches de sa robe à l'exception du couteau. Elle a posé ce dernier sur l'oreiller, à portée de main. Elle s'est ensuite allongée sur sa robe, a rentré les poignets des manches sous son oreiller et s'est couvert les jambes avec les deux grands sacs vides. Son corps et ses affaires étaient ainsi parfaitement protégés.
En écrivant l'histoire de Shu Wen, j'ai essayé de revivre son voyage de la Chine des années cinquante au Tibet - de voir ce qu'elle voyait, de ressentir ce qu'elle ressentait, de penser comme elle. Parfois, j'étais tellement absorbée que je ne voyais plus les rues de Londres, les boutiques et les stations de métro, ou mon mari debout près de moi, une tasse de thé vert à la main. Je regrettais profondément d'avoir laissé partir Wen sans qu'elle me dise où la retrouver.
Sa disparition continue à me hanter. J'espère sincèrement que ce livre puisse arriver jusqu'à elle pour qu'elle sache que, partout dans le monde, on peut lire l'histoire de sa vie et de son amour.
Un instant, c'était comme une chaude journée de printemps avec des fleurs, et l'instant d'après des flocons de neige virevoltaient autour d'eux. Elle avait l'impression de se trouver dans un pays féerique où en un seul jour se succédaient des milliers d'années. (p. 38)
Gela était gentil avec les deux femmes et leur disait de ne pas en faire trop. Les quatre saisons permettaient aux gens de changer de campement, aux yaks et aux moutons de s'accoupler et de changer de laine. A chaque jour suffisait sa peine.
La guerre ne vous laisse pas le loisir d'étudier et la moindre chance de vous adapter, a remarqué Wang Liang d'un ton sinistre, en se levant et se rapprochant de Wen. Elle trace des limites claires entre l'amour et la haine. Je n'ai jamais compris comment les médecins arrivaient à choisir entre leur devoir professionnel et les ordres militaires. Quoi qu'il arrive, souvenez-vous d'une chose : le seul fait de rester en vie est en soi une victoire.
«[...] La vie débute avec la nature et retourne à la nature.»
… tous les Tibétains partagent la même spiritualité. Parce que nous sommes isolés du monde, nous croyons que tout ce qui existe entre le ciel et la terre est tel qu’il doit être. Nous croyons que nos dieux sont les seuls dieux et que nos ancêtres sont la source de toute vie dans le monde.
(p.90-91)
Personne n’aime pleurer, mais les larmes lavent nos âmes. Aussi, peut-être mes remerciements vous permettront-ils de pleurer pour les Chinoises de mes livres.
(Remerciements, p. 6)
Elle en venait petit à petit à comprendre que le Tibet tout entier était un grand monastère. Tous ses habitants étaient inspirés par le même esprit religieux, qu’ils portent ou non des robes de moines.