Erudit mais bien ennuyeux !
Qu'est-ce qui ne va pas, chez moi, pour m'être autant ennuyé à la lecture de ce chef d'oeuvre ? Je viens de parcourir les avis cinq étoiles pour tenter de comprendre ce que j'ai raté : « L'écriture est splendide, le vocabulaire est merveilleux », « le style est limpide, esthétique, élaboré », « Un concentré d'érudition, de talent...un pur chef d'oeuvre ! », « un Hadrien plus vrai que nature. »
Il y a beaucoup d'adjectifs et d'affirmations mais peu de démonstration comme si les lecteurs avaient du mal à concrétiser leur plaisir. Allons voir ce que disent les grincheux ?
Oiseaulire me semble plus précise et nettement plus convaincante :
« L'empereur Hadrien développe des réflexions bien contemporaines qui sont plutôt celles de
Marguerite Yourcenar elle-même : un parfum d'anachronisme se dégage de ce roman, accentué par la volonté de l'auteure de restituer autant que possible le style à la fois fleuri et viril des textes anciens.
Hadrien se présente comme un homme pourvu de mille qualités : peu de pages dans lesquelles, sous une apparente modestie, il ne fasse sa propre apologie : voyez comme je suis intelligent, sensible, viril, perspicace, lettré, aimant la paix mais bon guerrier et stratège, excellent ami, bon chef d'état, amoureux sincère. Seule ma carrière d'époux n'est pas exemplaire, mais est-ce ma faute ? Sabine est si maussade.
Il m'a semblé lire une excellente dissertation, pleine de solides qualités, mais lisse, très lisse, un exercice académique bien mené sans aspérité, sans vrai souffle. Intelligent mais sans génie. »
Ca semble acquis, Hadrien n'aimait pas sa femme qui le lui rendait bien. Il préférait les garçons en particulier le (très) jeune Antinoüs qui, si j'en crois la statuaire, était effectivement très beau. Il mit fin aux guerres de conquête de son prédécesseur Trajan… quoique… il mit quatre années à « pacifier » la Judée (comprendre mâter la rébellion juive qu'il avait provoquée en décidant de faire bâtir un temple dédié à Jupiter sur l'emplacement du Temple) de telle sorte que «cinquante forteresses, et plus de neuf cents villes et villages avaient été saccagés et anéantis ; l'ennemi avait perdu près de six cent mille hommes » et, détail intéressant, aujourd'hui encore : « La Judée fut rayée de la carte, et prit par mon ordre le nom de Palestine. »
Privé de descendance, il ne le regretta pas : « certes, aux heures de lassitude et de faiblesse où l'on se renie soi-même, je me suis parfois reproché de n'avoir pas pris la peine d'engendrer un fils, qui m'eût continué. Mais ce regret si vain repose sur deux hypothèses également douteuses : celles qu'un fils nécessairement nous prolonge, et celle que cet étrange amas de bien et de mal, cette masse de particularités infimes et bizarres qui constitue une personne, mérite d'être prolongé. »
Il y a bien quelques pages émouvantes sur la fin de vie, ses affres et ses hontes, quelques intéressantes considérations politico-philosophiques sur l'empire, son expansion, ses limites et son déclin, dont on peut malgré tout penser qu'elles sont, comme les lignes ci-dessus, plus imputables à Marguerite qu'à Hadrien. Rien de bien palpitant. de même les, à mon goût, trop longs développements sur « l'attachement » de l'empereur au jeune (14 ans) Antinoüs, les références à Achille et Patrocle et la divinisation du jeune homme, pourraient sans doute, pour des esprits étroits dont j'avoue ne pas être totalement éloigné, apparaître comme un manifeste pro domo en faveur de moeurs qu'à la vision idyllique de Marguerite, les esprits chagrins pourraient opposer celle de l'historien Sextus
Aurelius Victor écrivant dans son Livre des Césars, près de 250 ans après, alors que les relations entre hommes et éphèbes sont tombées en disgrâce : « On le (Hadrien) vit enfin rechercher, avec une scrupuleuse sollicitude, tous les raffinements du luxe et de la volupté. Dès lors mille bruits coururent à sa honte : on l'accusa d'avoir flétri l'honneur de jeunes garçons, d'avoir brûlé pour Antinoüs d'une passion contre nature : c'était là, disait-on, le seul motif pour lequel il avait donné le nom de cet adolescent à une ville qu'il avait fondée ; c'était pour cette raison qu'il avait élevé des statues à ce favori ».
Il pourrait paraître piquant qu'à une époque où tout un chacun condamne à juste titre un Weinstein, personne ne se demande si le petit Antinoüs était vraiment consentant au « grand amour » d'un empereur de quarante ans dont ce roman fait le panégyrique.