Souvent, les événements de sa vie se chargent d'une douceur étrange lorsqu'il se les remémore, d'une douceur inventée.
[ Incipit ]
Ma vie a longtemps ressemblé à un été qui se termine. C'est étrange, mais c'est ainsi : il arrive que par des journées finissantes, ces journées sombres, vissées sous un ciel désespérément immobile, la certitude que les jours approchent où la grisaille retrouvera son empire d'automne monte en moi jusqu'à l'effroi. Ne sentez vous pas qu'il fait déjà un peu plus frais ?
Aujourd'hui, j'ai le sentiment qu'il ne me reste plus que mon passé à vivre.
Je n'avais pourtant pas encore rendu les armes, je cherchais toujours ce visage emprunté aux tendres rêves de l'adolescence, un visage à aimer. Et, le front collé à la vitre comme le font les veilleurs de chagrin, je tentais de me le représenter.
- Avez-vous peur de la mort ?
- Oui, évidemment.
Mais ce jour-là, première nuit, il lui sembla toucher quelque chose d'unique. Là, offerte, il fût obligé de la déshabiller, parce qu'elle ne l'aurait pas fait elle-même. Elle ne bougeait pas, inquiète, elle attendait qu'il la prenne, que cela se passe. Et, au moment où il se retira, il eut l'impression d'apercevoir des larmes, des larmes dans ses yeux. Avait-elle pleuré? Ou n'était-ce qu'une impression? Lui avait-il fait mal? Il aurait pu être agacé par ce genre de sensiblerie, mais non, il était plutôt troublé, attendri. Il comprit alors, par ces larmes, qu'il n'était pas certain d'avoir vues, il comprit, au moment où la possibilité de la souffrance n'avait pas encore trouvé en elle où se glisser, aucune brèche, rien, aucune larme, il comprit qu'elle appartenait à la catégorie des femmes les plus belles: celles qui sont faites de verre.