Affalé dans son canapé il regarde la fin de Docteur Folamour sans beaucoup rire, puis 2001, L'Odyssée de l'espace, le tout entrecoupé de siestes et de longs gorgeons de Martini, de Porto puis de Campari, légèrement colmatés par des boîtes de thon à l'huile mélangés à de la semoule de blé grain moyen. A chaque nuit sa chambre, il en changea à chaque fois prenant bien le soin de remettre en place parfaitement la literie quelquefois tachée de vomi. Au bout de trois jours à ce rythme il était arrivé à Eyes Wide Shut, l'ultime film de Kubrick auquel il ne comprit rien, mais il mit cela sur le mélange et l'abus d'alcool. Le bar vide il était temps de quitter sa cachette, il prit un dernier bain, remit toutes les bouteilles vides à leur place dans le bar, rangea parfaitement toutes les boîtes de conserve en repositionnant les couvercles, les paquets et les sachets vides dans les placards de la cuisine. Il vida la totalité de la cave dans une baignoire, le pourpre du vin sur le blanc de l'émail était du plus bel effet. Ensuite il fit le tour de tous les chauffages électriques de chaque pièce, les alluma su position maximale, puis il ouvrit les trois robinets de douche et les six de lavabo des salles de bain "coule petite rivière, coule", il fit de même avec tout ce qui pouvait s'allumer comme ampoule, le compteur électrique qui tournait "à fond comme un 78 tours", et écouta la musique du pépiement précipité du compteur d'eau comme un gosse devant un jouet mécanique. Il referma au mieux les volets en coinçant un tissu entre les lattes et, de nuit, reprit la route. Il passa devant un oratoire, sur la plaque St Martin, la statuette du saint n'y était plus.
Vendre
Arrêtez de faire semblant. Puisqu’en fait, tout est à vendre.
Vendez lez jardins, les potagers, les vergers. Là où les anciens enlevaient pierre à pierre, là où ils charriaient de la terre pour combler les planches.
Démontez les murets de pierres, les escaliers et les fontaines, les arches agrémentez en les parcs des villas de bord de mer.
Déterrez les oliviers millénaires et replantez les au bord des piscines bleue en forme de haricot, donnez leur pour voisins des palmiers majestic et des lauriers roses des pittosporums.
Coupez les chênes vieux, les plus gros les plus larges, oh, après tout coupez tout, faites-en du bois de chauffage écologiquement compatible, pour réduire votre empreinte de co2, pour faire des barbecues.
Supprimez les figuiers envahissants et la mousse des murs. S’il reste des terres arables plantez du pavot, laissez mourir les jardins et coupez les vergers.
Détruisez les tombes, les caveaux, les sépultures oubliées, les mausolées, faites des réductions de corps, puis jetez les os à la mer ou donnez les aux chiens. Les morts aujourd’hui s’incinèrent, la cendre conservée dans une urne de marbre, dispersée au vent, ou oubliée dans un cendrier. Le terrain gagné sur ces sépultures rapportera toujours plus que ces hommages archaïques et inutiles.
Transformez les plages en restaurant, les places en foire les rivières en piscines, les quais en boîte de nuit. Offrez-leur votre amitié avant qu'ils ne partent, c'est toujours quelque chose de plus. Ne vendez pas votre âme, vous n'en avez plus, contentez-vous de manger leur merde.
Lettre à mes fantômes
30 septembre 2022