Dans le métro de Boston, Sam tombe par hasard sur Sadie, qu'il n'a pas vue depuis 15 ans. Lorsqu'il a fait sa connaissance, il n'avait que douze ans et se remettait, à l'hôpital, d'une grave opération du pied, dont il continue à porter les séquelles, consécutive à un tragique accident de voiture. Leur amitié, née autour de leur goût commun pour les jeux vidéos, prit fin de manière brutale et cette rencontre inopinée leur donne l'opportunité de solder les comptes du passé.
Alors qu'ils ont renoué, ils se fixent rapidement un objectif commun et correspondant à leurs capacités et études réciproques (Sam, qui est aussi un excellent dessinateur, est étudiant à Harvard, département de mathématiques et Sadie au M.I.T., département des sciences informatiques) : réaliser, durant les vacances d'été, un jeu vidéo.
Le colocataire étudiant de Sam, le beau Marx, comme lui aux origines asiatiques mêlées mais d'un milieu bien moins modeste, leur prête son appartement et s'engage à produire leur jeu (qu'ils imaginent à succès, évidemment).
Commence ainsi le début d'un triple partenariat mêlant amitiés ou amours et business, dont les aléas influeront de manière décisive sur le cours de leurs vies …
C'est la première fois que je lis l'auteure et, alors que je craignais un texte un peu trop feel good compte tenu de ce que j'avais entrevu de ses productions antérieures, je peux vous rassurer sur ce point :
Gabrielle Zevin, dont j'ai apprécié la plume, ne donne pas dans la facilité et l'histoire autant que les personnages sont fouillés et possèdent leur lot d'aspérités, pour ne pas dire de drames passés ou à venir. Ainsi, non dits et/ou malentendus jalonnent malheureusement la relation de Sam et Sadie, comme si ses déboires initiaux n'avaient fait qu'augurer de ses difficultés ultérieures (et là, pour le coup, j'aurais presque souhaité que ça le soit davantage, feel good, car c'est rageant par moments leurs problèmes de communication, à tous les deux !).
Ce qui m'avait attirée vers ce roman, à savoir la création de jeux vidéos, m'a beaucoup plu, d'autant que c'est bien resitué dans l'atmosphère de la période évoquée : on est en 1995 et, à l'époque, deux étudiants peuvent encore réaliser un jeu vidéo en peu de temps et avec des moyens réduits. Ce ne sera plus le cas ensuite compte tenu du développement des techniques dans ce domaine et des contraintes qu'il génère.
L'auteure sait nous intéresser aux problématiques inhérentes à la création, d'abord en évoquant les études de Sadie et le cours de Dov, acharné à pousser ses élèves à élaborer des jeux hors des sentiers battus, loin des sempiternels quêtes d'objets ou tirs tous azimuts (et, pour le coup, celui de Sadie est vraiment surprenant !). Puis en racontant la genèse d'Ichigo, premier jeu de nos deux concepteurs, Sam et Sadie, en la présentant sur différents plans : l'histoire que le jeu raconte, avec son héros (ou son héroïne) spécifique et, surtout, sa volonté de se démarquer par son originalité, le graphisme qui l'accompagne et ce qu'il implique comme « machinerie » informatique complexe pour le faire tourner avec un rendu à la hauteur de ce que souhaitent ses créateurs. L'aspect vie du produit, à savoir promotion-exploitation du jeu, n'est pas non plus négligé, illustré au travers des créations d'Ichigo et des jeux qui suivront.
D'autres questions traversent par ailleurs le roman, liées à la personnalité et aux parcours de ses trois principaux protagonistes, comme celles de l'identité qu'on se forge compte tenu de nos racines (ce que signifie une origine asiatique aux États-Unis, pour Sam et Marx) ou encore la question de l'emprise (je pense à la relation de Sadie et Dov), ou celle du handicap (le pied à jamais blessé de Sam), pour ne citer qu'elles.
Porté par des personnages attachants et efficacement ancré dans le monde du jeu vidéo, «
Demain et demain et demain » m'a séduite immédiatement, car son auteure possède un beau talent de conteuse. Il m'a cependant semblé manquer d'un enjeu narratif fort, que j'ai attendu en vain, si bien que je n'ai pas été aussi convaincue que je pensais l'être (en outre, j'avais imaginé que ce roman proposerait quelque chose comme un glissement entre le réel et le virtuel, aspect qui n'est qu'à peine et très ponctuellement effleuré).
Les lecteurs profanes comme moi en matière de jeux vidéos s'y trouveront dépaysés mais pas perdus, car guidés habilement sur des terres méconnues. Quant à ceux qui les fréquentent déjà, ils auront le plaisir d'opérer un petit retour en arrière parsemé de l'évocation de jeux devenus cultes. Ces deux types de lecteurs découvriront aussi, au fil des pages, quelques jolies considérations sur l'essence-même du jeu vidéo.
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