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sur 1761 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Ça commence à se bousculer sur mon podium des Rougon Macquart ! Mais il va bien falloir que l'Assommoir, La conquête de Plassans, la bête humaine et Germinal fassent un peu de place à l'oeuvre, tant celle-ci m'a littéralement embarquée de bout en bout.

Ce n'est pourtant pas l'action trépidante qui vous agrippe : le roman, que traverse toute la vie d'artiste de Claude Lantier, coule assez lentement. Mais il est d'une construction si parfaite qu'il envoûte tout du long, depuis la saisissante scène d'ouverture sous les toits parisiens balayés d'orage jusqu'à la fine pluie grise sur le cimetière dans la scène finale, en passant par l'énergie vivifiante et colorée de la campagne normande, les atmosphères de bohème des cafés parisiens jusqu'aux ateliers du peintre où toujours l'on revient.

Paris n'a jamais été si beau, si vivant que sous la plume de Zola dans cette Oeuvre dans laquelle on le découvre au firmament de son talent, écrivant comme on peint un Paris flambloyant de joie et de vie dans la jeunesse de Claude, s'ombrant de noirceurs à mesure que l'âge, l'insuccès, l'obsession et la folie le prennent. Paris, personnage du livre, théâtre d'une vie artistique à la fois luxuriante et galvaudée au tournant du dernier siècle, assistant indifférente à la descente aux enfers de l'artiste incompris, enfiévré de peinture vraie, utilisé par ses amis, délaissant peu à peu sa douce épouse pour la vision chimérique d'une femme – déesse impossible à peindre.

Un roman beau et terrible, où finit de sévir la malédiction des Lantier, la lignée gangrenée de vice des Rougon, alcoolisme chez la mère Gervaise et le fils Etienne, folie meurtrière chez le frère Jacques, folie créative chez Claude enfin, avec lequel meurent déjà les illusions du siècle en devenir. Splendide !

Challenge XIXème siècle 2018
Challenge Multi-défis 2018
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♬ Cézanne peint
Il laisse s'accomplir la magie de ses mains
Cézanne peint
Et il éclaire le monde pour nos yeux qui n'voient rien... ♬

Dans ce quatorzième volume des Rougon-Macquart, Émile Zola nous plonge dans le milieu artistique.
Claude Lantier et ses amis sont peintres, sculpteurs, ou écrivains comme Pierre Sandoz à qui l'auteur prête l'intention suivante : « Je vais prendre une famille, et j'en étudierai les membres, un à un, d'où ils viennent, où ils vont, comment ils réagissent, les uns sur les autres ; enfin, une humanité en petit, la façon dont l'humanité pousse et se comporte… ». Joli clin d'oeil, non ?

Fils aîné de l'inoubliable Gervaise de L'assommoir, Claude Lantier est animé d'un puissant désir de création et d'une volonté de réussir à tout prix un tableau exceptionnel. Il ressent au plus profond de lui le besoin impérieux de produire un chef-d'oeuvre.
Zola nous montre l'engrenage psychologique infernal dans lequel il se laisse prendre et comment il glisse de la persévérance à l'acharnement puis à l'obstination et enfin, tombe dans l'obsession.
La persévérance est une belle qualité, mais l'obsession vous aigrit, vous ronge de l'intérieur et vous coupe du monde extérieur.
L'obsession vous fait agir de façon irrationnelle, vous dépossède de la maîtrise de vous-même et vous rend complètement dépendant tel le joueur compulsif qui après chaque perte n'a qu'une idée en tête : rejouer pour se refaire.

Claude est accaparé par sa peinture qui l'éloigne de tout et de tous, y compris de sa femme qu'il aime pourtant, mais qu'il finit par ne plus voir que comme un modèle pour ses toiles.
De son côté, celle-ci se met à haïr la peinture qui est pour elle est pire qu'une maîtresse : une rivale de chair et de sang, ça peut se combattre, mais comment lutter contre un bouillonnement intérieur, une envie irrépressible ?
La lutte est tellement inégale qu'on la sent perdue d'avance.

L'aspect romanesque du livre est extrêmement plaisant : l'histoire est captivante, les personnages vivants et terriblement attachants. C'est un régal qui se lit presque d'une traite.
Mais ce n'est pas tout.
Le roman offre une réflexion passionnante sur les joies et les malheurs qui accompagnent la vie d'un artiste.
Claude Lantier est peintre, mais Zola aurait pu choisir de le faire écrivain, musicien, sculpteur... peu importe : l'essentiel est l'art et le rapport avec la création artistique.
Avoir fait de son personnage principal un peintre est un choix très judicieux parce que la peinture, art visuel par excellence, permet à l'auteur de nous offrir de magnifiques descriptions, qu'il s'agisse des toiles de Claude ou des paysages dont il s'inspire.

Émile Zola nous gratifie de merveilleuses pages sur Paris et sur la campagne normande. Elles sont infiniment belles parce que l'écrivain voit les paysages à travers les yeux du peintre et nous les restitue ainsi.
Je me permets ici une petite parenthèse : si Zola revenait, il serait sidéré de voir dans quel état se trouve la ville autrefois splendide qu'il a si merveilleusement décrite dans nombre de ses romans. Ville enlaidie et saccagée à plaisir, le "spectacle" est à pleurer. Je ferme la parenthèse.

Si la vie d'artiste peut parfois faire rêver, si l'on s'imagine naïvement un monde exaltant et merveilleux de beauté et de créativité, Émile Zola nous en donne une tout autre image.
L'art est-il épanouissant pour celui qui le pratique ? À la lecture de ce roman, on en doute !
Chacun sait que certains artistes aujourd'hui reconnus ont eu des vies terriblement difficiles, qu'ils ont parfois vécu dans un grand dénuement, qu'ils n'ont pas connu la reconnaissance de leur vivant.
Après la lecture de L'oeuvre, je ne regarderai plus certains tableaux, ne lirai plus certains ouvrages, ni n'écouterai certaines oeuvres musicales de la même façon.
La gratitude que j'éprouve toujours pour les artistes qui nous régalent tant se trouve désormais décuplée.

"Au fond, la conscience tenace de son génie lui laissait un espoir indestructible, même pendant les longues crises d'abattement. Il souffrait comme un damné roulant l'éternelle roche qui retombait et l'écrasait ; mais l'avenir lui restait, la certitude de la soulever de ses deux poings, un jour, et de la lancer dans les étoiles."
Cet extrait résume tout le drame de la vie de Claude Lantier, et si pour Camus, "Il faut imaginer Sisyphe heureux", ce n'est pas du tout ce que Zola a envisagé pour son héros.

L'oeuvre m'a éblouie.
Émile Zola nous parle d'art mais avant tout il nous parle d'humanité.
Et c'est incroyablement beau.
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"Un jour, seul avec Claude, dans une île, étendus côte à côte, les yeux perdus au ciel, [Sandoz] lui conta sa vaste ambition, il se confessa tout haut.
- le journal, vois-tu, ce n'est qu'un terrain de combat. Il faut vivre et il faut se battre pour vivre… Puis, cette gueuse de presse, malgré les dégoûts du métier, est une sacrée puissance, une arme invincible aux mains d'un gaillard convaincu… Mais, si je suis forcé de m'en servir, je n'y vieillirai pas, ah ! non ! Et je tiens mon affaire, oui, je tiens ce que je cherchais, une machine à crever de travail, quelque chose où je vais m'engloutir pour n'en pas ressortir peut-être.
Un silence tomba des feuillages immobiles dans la grosse chaleur. Il reprit d'une voix ralentie, en phrases sans suite :
- Hein ? étudier l'homme tel qu'il est, non plus leur pantin métaphysique, mais l'homme physiologique, déterminé par le milieu, agissant sous le jeu de tous ses organes… N'est-ce pas une farce que cette étude continue et exclusive de la fonction du cerveau, sous le prétexte que le cerveau est l'organe noble ?… La pensée, la pensée, eh ! tonnerre de Dieu ! la pensée est le produit du corps entier. Faites donc penser un cerveau tout seul, voyez donc ce que devient la noblesse du cerveau, quand le ventre est malade !… Non ! c'est imbécile, la philosophie n'y est plus, la science n'y est plus, nous sommes des positivistes, des évolutionnistes, et nous garderions le mannequin littéraire des temps classiques, et nous continuerions à dévider les cheveux emmêlés de la raison pure ! Qui dit psychologue dit traître à la vérité. D'ailleurs, physiologie, psychologie, cela ne signifie rien : l'une a pénétré l'autre, toutes deux ne sont qu'une aujourd'hui, le mécanisme de l'homme aboutissant à la somme totale de ses fonctions… Ah ! la formule est là, notre révolution moderne n'a pas d'autre base, c'est la mort fatale de l'antique société, c'est la naissance d'une société nouvelle, et c'est nécessairement la poussée d'un nouvel art, dans ce nouveau terrain… Oui, on verra, on verra la littérature qui va germer pour le prochain siècle de science et de démocratie !
Son cri monta, se perdit au fond du ciel immense. Pas un souffle ne passait, il n'y avait, le long des saules, que le glissement muet de la rivière. Et il se tourna brusquement vers son compagnon, il lui dit dans la face :
- Alors, j'ai trouvé ce qu'il me fallait, à moi. Oh ! pas grand'chose, un petit coin seulement, ce qui suffit pour une vie humaine, même quand on a des ambitions trop vastes… Je vais prendre une famille, et j'en étudierai les membres, un à un, d'où ils viennent, où ils vont, comment ils réagissent les uns sur les autres ; enfin, une humanité en petit, la façon dont l'humanité pousse et se comporte… D'autre part, je mettrai mes bonshommes dans une période historique déterminée, ce qui me donnera le milieu et les circonstances, un morceau d'histoire… Hein ? tu comprends, une série de bouquins, quinze, vingt bouquins, des épisodes qui se tiendront, tout en ayant chacun son cadre à part, une suite de romans à me bâtir une maison pour mes vieux jours, s'ils ne m'écrasent pas !
Il retomba sur le dos, il élargit les bras dans l'herbe, parut vouloir entrer dans la terre, riant, plaisantant.
- Ah ! bonne terre, prends-moi, toi qui es la mère commune, l'unique source de la vie ! toi l'éternelle, l'immortelle, où circule l'âme du monde, cette sève épandue jusque dans les pierres, et qui fait des arbres nos grands frères immobiles !… Oui, je veux me perdre en toi, c'est toi que je sens là, sous mes membres, m'étreignant et m'enflammant, c'est toi seule qui seras dans mon oeuvre comme la force première, le moyen et le but, l'arche immense, où toutes les choses s'animent du souffle de tous les êtres !"

Tout est dit, non ?
Qu'ajouter que Zola ne décrive pas lui-même à la perfection ? Que ce quatorzième tome des "Rougon-Macquart" traite d'art et d'humanité par l'art et à travers l'art. Car l'art est humanité.


Challenge ABC 2017 - 2018
Challenge Petit Bac 2017 - 2018
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Nous avions déjà vu Claude Lantier dans le ventre de Paris : il arpentait les rues de la capitale avec la volonté de tout voir pour tout peindre. Cette rage ne l'a pas lâchée et il rêve encore de produire une toile digne du Salon qui se tient tous les ans. Mais immanquablement, son tableau finit dans le Salon des refusés. « Il reconnaissait du reste l'utilité du Salon, le seul terrain de bataille où un artiste pouvait se révéler d'un coup. » (p. 238) Claude respecte les grands peintres romantiques, comme Courbet ou Delacroix, mais il critique les académiques et ne revendique que la peinture en plein air et les sujets réels, loin des décors mythologiques et des scènes légendaires.

Un soir d'orage, Claude trouve Christine sous sa porte. La jeune fille arrive de province et se trouve bien perdue à Paris. Entre eux, le coup de foudre est immédiat, mais Claude nourrit un mépris de la femme humaine. « Ces filles qu'il chassait de son atelier, il les adorait dans ses tableaux, il les caressait et les violentait, désespéré jusqu'aux larmes de ne pouvoir les faire assez belles, assez vivantes. » (p. 72) L'impuissance de Claude est double : il semble ne pas pouvoir peindre, ni posséder la femme qui s'offre à lui. Après une longue amitié, Christine conquiert finalement le coeur du jeune peintre, mais leur bonheur cède peu à peu devant la passion de Claude. Peindre lui est nécessaire et chacun de ses échecs l'enrage davantage. Incapable de reproduire sur la toile les fabuleuses inspirations qui l'habitent, Claude est un génie torturé et toujours insatisfait, un talent méconnu. Mais est-il au moins doué ?

Toute dévouée à son homme, Christine le soutient dans son art, mais au profit de la peinture qu'elle le perd. Elle croit tout d'abord pouvoir s'attacher Claude en étant son unique modèle : elle vainc sa pudeur et accepte de voir son corps exposé aux yeux de tous sous le pinceau du peintre. Peu à peu, l'amante disparaît « C'était un métier où il la ravalait, un emploi de mannequin vivant. » (p. 276) Christine en vient à haïr la peinture et toutes les femmes peintes auxquelles elle prête ses traits.

Claude a un ami dévoué en Pierre Sandoz, un auteur qui cherche également le succès. « Dès qu'ils étaient ensemble, le peintre et l'écrivain en arrivaient d'ordinaire à cette exaltation. Ils se fouettaient mutuellement, ils s'affolaient de gloire. » (p. 67) Pour les deux amis et leurs compagnons artistes, c'est par l'art qu'il faut conquérir Paris. Dans ce roman, Zola se met en scène en la personne de l'écrivain talentueux qui accède peu à peu à la gloire. Claude Lantier est une figure de Cézanne, l'ami d'enfance de l'auteur, mais Zola n'est pas tendre avec le peintre, ce qui explique pour beaucoup la brouille qui a suivi entre les deux artistes. C'est en tout cas un plaisir de découvrir le monde de l'art sous le Second Empire, le tout à grand renfort de descriptions picturales du meilleur effet. Il m'a même semblé voir des allusions au début de la photographie, surtout dans le traitement fait à la lumière.
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Déjà aperçu dans le ventre de Paris, Claude Lantier sera le héros de L'Oeuvre. Héros n'est probablement pas le mot juste. A Paris, Claude et sa bande d'amis rêvent de révolutionner le monde de l'art, car L'Oeuvre est aussi le récit d'un tournant dans l'histoire de la peinture. L'ère du romantisme expire, tandis que le réalisme tâche de s'imposer. Claude en tête, les amis tentent de se faire une place, avec leur nouveau style, face à l'Ecole.
Christine tombe au milieu de tout cela. Un soir de grande pluie, Claude la trouve s'abritant devant sa porte. Il l'héberge pour la nuit et, le lendemain matin, dessine la jeune fille endormie. de là naitra un personnage de tableau. Et une histoire d'amour.
Mais n'oublions pas que nous sommes dans un roman de Zola et que rien ne va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Claude est un génie, mais un génie incomplet. Si ses études sont superbes, jamais il ne parviendra à terminer un tableau. le monde de la peinture changera sans lui. Obsédé par une vue des quais de la Seine, tuant sa femme de séances de pose, tous ses efforts resteront stériles. le peintre raté, crevant de misère, finira par se suicider.

Waou ! quel tome ! Cela faisait longtemps qu'un roman ne m'avait pas émue à ce point ! Nous souffrirons avec les personnages du début à la fin de livre. Christine se désespère de n'être plus qu'un modèle pour celui qui l'aima si ardemment. Claude mourra de n'avoir pas su coucher sur la toile l'oeuvre, le tableau qui aurait tout changé, ce paysage parisien qui l'avait tant charmé.
Ici, ce sont la torture de l'amour délaissé, la torture de l'artiste, la torture de la misère. Terrible ! Superbe !

Challenge ABC 2014/2015
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« J'ai fait un rêve, l'autre jour. J'avais écrit un beau livre, un livre sublime que tu avais illustré de belles, de sublimes gravures. Nos deux noms en lettres d'or brillaient, unis sur le premier feuillet, et, dans cette fraternité de génie, passaient inséparable à la postérité. » - Lettre d'Émile Zola à son ami d'enfance Paul Cézanne le 25 mars 1860.

Peut-être faudra-t-il un jour modifier les livres de l'histoire de l'art concluant qu'une brouille définitive entre Paul Cézanne et Émile Zola survint en 1886, à la suite du roman « L'oeuvre » de Zola, ce qui semble aujourd'hui fortement remis en question, et qui va être l'objet essentiel de ma critique.

Je résume le roman de l'écrivain en reprenant l'édition des dossiers préparatoires du livre par Zola publiée dans « La Fabrique des Rougon-Macquart » par Colette Becker en 2013 : « Avec Claude Lantier, je veux peindre la lutte de l'artiste contre la nature, l'effort de la création dans l'oeuvre d'art, effort de sang et de larmes pour donner sa chair, faire de la vie ; toujours en bataille contre le vrai, et toujours vaincu, la lutte contre l'ange. En un mot, j'y raconterai ma vie intime de production, ce perpétuel accouchement si douloureux, mais je grandirai le sujet par le drame, par Claude qui ne se contente jamais, qui s'exaspère de ne pouvoir accoucher de son génie, et qui se tue à la fin devant son oeuvre irréalisée. »
Mon émotion est forte. le lecteur amateur d'art que je suis ne pouvait rester insensible devant l'image du peintre Claude Lantier entrainant avec lui, dans son délire artistique, une jeune femme, Christine, rencontrée en bord de Seine à Paris. J'ai frissonné dans les derniers chapitres décrivant la lente et terrible déchéance du peintre confronté aux affres de la création que Christine, devenue sa femme, découvrira pendu dans son atelier devant son oeuvre.

Les extraits des lettres de jeunesse de Zola et Cézanne montrent clairement la grande affection, admiration, estime, que les deux amis avaient l'un pour l'autre. Un roman de Zola sur un peintre raté pouvait-il interrompre cette amitié ayant commencé en 1852 au collège Bourbon à Aix, 34 années auparavant ?
Dans une chronique du Salon de 1866 parlant de Cézanne, Zola écrit : « Il y a dix ans que nous parlons arts et littérature. Tu es toute ma jeunesse ; je te retrouve mêlé à chacune de mes joies, à chacune de mes souffrances. […] Nous affirmions que les maîtres, les génies, sont des créateurs qui, chacun, ont créé un monde de toutes pièces, et nous refusions les disciples, les impuissants, ceux dont le métier est de voler çà et là quelques bribes d'originalité. Sais-tu que nous étions des révolutionnaires sans le savoir ? ».

Connaissant les liens qui unissaient les deux hommes, je me demande bien pourquoi une lettre écrite le 4 avril 1886 par Cézanne à Zola, peu après la parution du roman que l'écrivain lui avait envoyé, a pu faire croire à une lettre de rupture entre les deux amis. Il semble évident qu'il s'agissait d'une simple lettre de remerciement. Je montre cette fameuse lettre, objet de polémique : « Mon cher Émile, /Je viens de recevoir l'Oeuvre que tu as bien voulu m'adresser. / Je remercie l'auteur des Rougon-Macquart de ce bon témoignage de souvenir, et je lui demande de me permettre de lui serrer la main en songeant aux anciennes années. Tout à toi sous l'impression des temps écoulés. »

Où est la brouille dans ce courrier ? Il est certain que Cézanne connaissait depuis longtemps le projet de Zola d'écrire un roman sur les milieux artistiques. Écrivain lui-même, il ne pouvait se méprendre sur la logique narrative d'une oeuvre de fiction et ne pouvait penser que Zola décrivait la déchéance de Claude Lantier dans son livre en songeant à son ami d'enfance. Zola s'inspirait des nombreux peintres qu'il connaissait. D'ailleurs, Cézanne, picturalement, ne ressemblait en rien au peintre Claude Lantier. Seul Claude Monet, dans une lettre à Zola, regrette qu'il aurait pu, avec Manet et les peintres impressionnistes, être rapproché du personnage du roman.

Une lettre de Cézanne à Zola retrouvée récemment, datée du 28 novembre 1887, confirme que Zola ne cessa pas toute correspondance avec son ami et continua à envoyer ses oeuvres au peintre : « Mon cher Émile/ Je viens de recevoir, de retour d'Aix, le volume La Terre, que tu as bien voulu m'adresser. / Je te remercie pour l'envoi de ce nouveau rameau poussé sur l'arbre généalogique des Rougon-Macquart. /Je te remercie d'accepter mes remerciements et mes plus sincères salutations. Quand tu seras de retour, j'irai te voir pour te serrer la main. »

Il est incontestable que ce roman des arts, de la difficile condition de l'artiste novateur face aux institutions, est aussi et d'abord un roman autobiographique, qui fait revivre la jeunesse de son auteur à Aix-en-Provence, sa venue à Paris en 1858, le milieu des jeunes peintres dans lequel il a vécu, les Cézanne, Pissarro, Guillaumet, Manet, Monet, Renoir, Sisley... ceux qu'il défendit avec enthousiasme dans ses critiques des Salons dans le journal « L'Évènement ».

L'amitié entre les deux amis n'avait donc pas été rompue après la publication de « L'oeuvre » de Zola en 1886. L'émotion de Cézanne, juste avant sa mort en 1906, pour l'inauguration d'un buste de l'écrivain décédé, démontre l'admiration et l'amitié qui les unissaient, car il sanglotait sur leurs souvenirs sachant que sa propre vie se terminait.

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Zola ne s'était pas encore véritablement intéressé au monde de l'Art dans ses Rougon-Macquart, c'est chose faite avec cette Oeuvre, celle de Claude Lantier, l'aîné des fils de Gervaise retourné à Plassans avant le drame vécu par celle-ci, et raconté dans L'Assommoir. Claude, dont les premiers talents artistiques avaient plu à un homme du pays, a en effet eu l'insigne honneur de pouvoir y retourner pour faire ses premières armes en peinture. Nous le retrouvons à Paris, alors qu'il a déjà fait ses premiers pas, difficiles, à travers la scène artistique de la capitale. Pas difficiles en effet car Claude a un regard bien particulier sur le monde qui l'entoure, et cela se ressent intensément dans sa peinture, faite de couleurs surprenantes, qui interpellent les spectateurs, et lui font malheureusement accéder au Salon des Refusés, symboliste avant l'heure qui ne parviendra jamais à terminer sa grande oeuvre, éternelle toile qu'il modifiera, encore et encore, dans l'incapacité de transformer son génie inné en une oeuvre magistrale qui le reflèterait.

A travers la vie de Claude, ses amis, ses amours, ayant bien du mal à trouver leur place au milieu de son véritable grand Amour, la peinture – bien que Christine, sa femme, ait réussi, un temps, à devenir le centre de son existence –, c'est aussi, et bien sûr le milieu de l'Art, en pleine mutation, que ce soit en termes de style qu'en termes de considération mercantile, qui va être dépeint, toujours avec le plus de véracité possible, toujours aussi avec le plus de mordant possible, aussi, par le romancier : le capitalisme, et les spéculations qui en découlent, trouvent eux aussi leur place dans un domaine qui devrait pourtant en être son plus grand antagoniste, et il devient de plus en plus difficile de faire preuve d'oeuvre d'art originale pour vivre de ses toiles – l'uniformisation qui prendra son essor au XXème, et plus encore au XXIème, est en marche.

Et puis que dire de Sandoz, ami d'enfance de Claude, qui viendra avec lui à la capitale pour faire ses armes littéraires, double de Zola qui donne à ce tome une saveur plus intimiste, plus douce, malgré la noirceur de son terrible dénouement ? L'on retrouve à mon sens, pour la première fois de manière aussi flagrante, le Zola peintre du monde qui l'entoure, et le Zola qui se peint à travers ses personnages, dans un même roman, ce qui n'a pas été pour me déplaire.

Un grand roman, qui a pris immédiatement sa place dans mes tomes préférés des Rougon-Macquart : j'ai, indéniablement, un certain penchant pour Gervaise et ses enfants, et il me tarde de relire le dernier, celui qui met en scène le cadet des fils, Jacques, dans La bête humaine.
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Quel roman !!! Instructif, très intense et très bouleversant. A chaque fois que je termine un livre de la série Les Rougon-Macquart de Zola je me dis que c'est mon préféré jusqu'à en lire un autre. En fait ils sont tous stupéfiants.
« L'oeuvre » est un roman sur le milieu artistique du 19è siècle et sa révolution et principalement celui de la peinture. Conformément à son habitude, on imagine bien que Zola s'est beaucoup documenté et s'est bien renseigné non seulement sur l'art de la peinture mais également celui de la sculpture et de l'architecture et Il est bien connu que de nombreux personnages de cette oeuvre ont été tirés d'artistes réels.
L'oeuvre est peuplé d'artistes, jeunes, passionnés, ambitieux et fébriles avec leurs idées et leurs idéaux. Ils sont plongés dans le monde de la littérature et de l'art, ils y contribuent, Ils ont soif de gloire et se tuent par le travail, s'efforçant de s'élever au-dessus de la médiocrité.
Enfin, c'est une histoire qui met en évidence la fine ligne entre le génie et la folie et sur la façon dont une création détruit son créateur.
A lire absolument !!!
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l''Oeuvre est le quatorzième de la série consacré par, Zola, aux Rougon-Mac-
-quart. Ce roman nous entraîne dans le monde de l' Art et des artistes, à travers
le portrait d' un peintre, Claude Lantier qui est témoin, acteur et victime du
profond bouleversement qui secoue l 'art français à partir de l' impressionnisme.
Claude avec ses amis artistes, combat pour une nouvelle forme de peinture,
bien éloignée des canons néo-classiques qui ont la faveur des expositions .
Si certains de ses amis arrivent à s' imposer, Claude pour sa part va d' échec en
échec, restant incompris du public et même de ses amis .
le roman est aussi, l' histoire d' amour et d' amitié, entre Claude et Christine .
Cette dernière est une jeune femme, rencontrée durant une soirée pluvieuse .
Claude partagera avec Christine sa vie et ses échecs .Ils s' installeront pour une
période à la campagne et c' est le retour à Paris où Claude retrouve ses amis .Claude est dévoré par le sentiment d 'échec et d' impuissance .IL délaisse sa
femme et s' installe dans un hangar pour réaliser une oeuvre gigantesque,
une toile qu' il laissera inachevée et devant laquelle, il se pendra .
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Une vision du dilemme de l'artiste, frappante de réaliste.

Emile Zola nous montre dans ce roman le malheur de l'artiste. En effet, un artiste qui est porté par une vision a une première difficulté : celle de la retranscrire. Pour celui, il lui faut une technique. Alors se produit une véritable chasse à la perfection. C'est un travail de longue haleine que l'auteur nous décrit avec Claude Lantier, un peintre qui s'exerce sans relâche et jusqu'à l'épuisement.

Mais l'aventure ne s'arrête pas là. Si l'artiste peint son tableau, il doit se faire reconnaître par ses pairs : ou il appartient à une école ou il en crée une. Dans le cas de Claude, c'est la création, ce qui veut dire que la critique envers lui sera beaucoup plus virulente car Claude fraie le chemin pour ses suiveurs. Et il prendra pour eux tous les coups.

Enfin, quand on peint, on doit vendre. La chasse aux mécènes est vraiment difficile et nous en avons là un tableau marquant et sans concession : entre ceux qui réussissent et ceux qui échouent. Il n'y a pas de juste milieu et c'est aussi cette spéculation sur l'art qu'Emile Zola dénonce dans ce roman.


La recherche perpétuelle de la muse.

La muse, le sujet de la création, c'est ce qui pousse l'artiste, comme une drogue. Emile Zola nous parle sans arrête de l'oeil de Claude et il nous montre à quel point il voit les choses différemment. C'est ce qui isole l'artiste du monde réel et qui l'exclue de plus en plus : cette obsession, ce regard différent sur le monde.

La muse est ainsi une obsession constante qui harcèle Claude, remplace tout le monde, toute chose. La recherche du tableau parfait, c'est comme un poison qui ronge tout de l'intérieur. C'est une quête qui dévore toute une vie.

On pense en effet que d'être porté par une oeuvre est quelque chose de magique, car nous avons une vision idyllique de la vie d'un artiste. Emile Zola, lui, nous montre la vérité nue, brutale. Il la compare à une folie destructrice, il met en avant les doutes horribles que peuvent avoir les artistes face à leur travail.



L'environnement de l'artiste n'est pas non plus totalement exclu

Malheureusement, la passion de l'artiste ne touche pas uniquement que Claude mais aussi tous ses proches. Et l'histoire de sa femme et de son fils est vraiment horrible. En effet, Claude empêche son fils de grandir normalement jusqu'à le tuer. En effet, Emile Zola matérialise la passion de Claude dans une tumeur qui grossira dans la tête de l'enfant, jusqu'à le tuer. Et le pire, c'est que Claude ira jusqu'à peindre la mort de son fils et nous avons littéralement l'impression qu'il ne l'aime qu'au travers de son portrait.

Quant à sa femme, elle lui sert de modèle et Zola nous montre l'infidélité révoltante que Claude fait car il aime passionnément les images de sa femme, mais pas sa femme elle-même. Et, au pied du mur, devant choisir entre l'image et la réalité, il se suicidera, ne pouvant renoncer à l'image.

Lien : http://labibliodekoko.blogsp..
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