AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,98

sur 1761 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
L'Oeuvre est sans doute l'un des plus sombres et des plus désespérants des tomes de la série des Rougon-Macquart. C'est Claude Lantier, l'un des fils de Gervaise que l'on retrouve l'âme en peine à Paris. Il avait eu la chance de bénéficier des bontés d'un homme que ses dessins d'enfant avait séduit, et qui lui permit de suivre des études au collège de Plassans.

C'est à Paris qu'il essaiera de sortir du lot, de devenir un artiste reconnu, vivant en attendant des années de vaches maigres et de doute. Sa rencontre fortuite avec la belle Christine, sera -t-elle la cause de sa gloire ou de sa déchéance?

C'est le portrait d'un peintre maudit, qui malgré son talent ne parvint pas à faire valoir ses dons. A la recherche d'une perfection illusoire, ne craignant pas de bousculer les standards classiques, il devient vite aigri, alors qu'il est en train de lancer un courant au sein duquel il ne parviendra pas à s'imposer.
.Alternant les épisodes de création intense et d'abandon (notre homme serait-il bipolaire?), Il entraine dans sa chute son épouse et son fils.

Les descriptions de Paris sont encore ici nombreuses, éclairées de l'oeil de l'artiste.

Le texte est également bien documenté sur les courants picturaux , les techniques et l'ambiance du milieu artistique, avec des allusions via les amis de Claude à la musique et à la sculpture .

La théorie de la dégénérescence est encore bien présente, illustrée par le petit Jacques, le fils de Claude mais aussi par d'autres personnages mal lotis.


Ce n'est pas mon préféré de la série, les perpétuelles tergiversations de héros m'ont lassée, d'autant que l'on entrevoit rapidement la grande probabilité d'une fin tragique.

Challenge pavés Babelio 2020

Lien : http://kittylamouette.blogsp..
Commenter  J’apprécie          830
Mon désir de lecteur se transforma, un jour il y a quelques années, dans un voyage qui continue de m'emporter depuis lors dans ce fleuve impétueux et indomptable que représente l'oeuvre des Rougon-Macquart.
Émile Zola a imaginé et construit cette immense fresque bâtie sur vingt romans pour décrire et aussi décrier un certain univers social sous le Second Empire.
Je continue de cheminer pas à pas et de manière chronologique, dans cette saga puissante, et me voici parvenu au quatorzième roman, qui s'appelle justement L'Oeuvre.
L'ouvrage nous entraîne dans le monde de l'art et des artistes, à travers le portrait d'un peintre maudit et raté, Claude Lantier et celui de son ami et écrivain, Pierre Sandoz qui semble ressembler trait pour trait à ce cher Émile Zola. C'est donc un roman d'amitié qui nous accueille autour de l'art dans ses premières pages.
Combien de fois n'ai-je pas trouvé dans l'écriture d'Émile Zola, dans sa manière de narrer une histoire, tout le talent d'un peintre. Peintre de l'âme humaine, de la vie sociale, de ses ambitions et de ses affres, peintre de la dégénérescence d'une famille sous le Second Empire...
Ici justement, il est question de peinture, mais pas seulement... Il est question d'art, mais pas seulement non plus...
Dans ce roman, Zola a décidé d'incarner l'art à travers la destinée de deux amis, un peintre et un écrivain.
Dans ce roman, il est surtout pourtant question d'humanité avant tout, c'est du moins ce que j'ai ressenti.
Claude Lantier est le fils de Gervaise Macquart et d'Auguste Lantier, qui nous ramène à une lecture précédente, très forte pour moi, celle de L'Assommoir. Oui Gervaise, la célèbre Gervaise, cette femme dont la destinée m'avait bouleversée... Vous souvenez-vous d'elle ?
Claude Lantier est l'ami d'enfance du romancier Pierre Sandoz. J'aime à rencontrer Zola dans ses romans, ici il est présent plus que jamais dans ce personnage de Pierre Sandoz.
Avec l'appui de son ami Sandoz et d'autres peintres ou sculpteurs, Claude Lantier lutte et se bat pour imposer une nouvelle forme de peinture, bien éloignée des canons néo-classiques qui ont la faveur des expositions officielles. Si certains d'entre eux réussissent finalement à s'imposer, Claude Lantier va pour sa part d'échec en échec, demeurant incompris du public et souvent de ses propres amis.
Ce roman est aussi une histoire d'amour. Claude Lantier a rencontré un soir de pluie, sous le porche de son immeuble, une jeune femme prénommée Christine, avec qui il partagera sa vie et ses échecs. Ils vont habiter à la campagne, où Claude trouve d'abord le soulagement. Ils ont un enfant, mais celui-ci, hydrocéphale, mourra à l'âge de douze ans. Entre-temps, le couple est revenu vivre à Paris, où Claude retrouve à la fois ses amis et le sentiment de son échec. Il finit par se détacher de sa femme pour passer son temps dans un grand hangar où il a entrepris une oeuvre gigantesque...
Ce roman a pour cadre le monde artistique et foisonnant du XIXème siècle. Mais comme toujours la force d'Émile Zola est de nous écrire des histoires presque intemporelles. Alors je vous laisse imaginer en quoi il est intemporel...
Claude Lantier porte le poids d'une fatalité dont on pressent déjà une fin tragique.
Sombre, la tragédie de cette fatalité est déjà écrite aux premières pages.
C'est un drame autour de la création, comment pousse une oeuvre d'art dans les soubresauts de l'âme qui la porte comme une graine prête à germer.
L'art est prétexte ici à évoquer un drame autour d'une passion.
Zola ici ne cherche pas forcément à peindre le monde des arts. Ce n'est qu'un prétexte. Il veut peindre une tranche d'humanité. C'est la passion d'un artiste pour son art et la passion d'une femme pour cet homme qui la dédaigne et qui lui préfère son oeuvre. L'art vole à cette femme l'homme qu'elle aime.
Dans le tableau que peint Claude Lantier, - la représentation d'une femme nue « aux cuisses énormes », comment ne pas voir tous ces tragiques personnages féminins de l'oeuvre des Rougon-Macquart. Sans qu'elles soient nommées, elles défilent pourtant ici brusquement sous mes yeux de lecteur fasciné, comment ne pas reconnaître ici Gervaise, Nana, Pauline... Ce sont les mères, les filles et les soeurs qui ont étreint de manière poignante le fil de la destinée des Rougon-Macquart.
L'Oeuvre est un roman empli d'humanité, abordé ici sous l'angle de l'art. Quelle magnifique passerelle en effet ! L'art convoqué comme chemin pour dire, pour dessiner, pour protéger l'humanité... L'art dressé comme un rempart contre les barbaries.
Oui, l'art est humanité.
Commenter  J’apprécie          5810
Le talent d'Emile Zola se déploie ici dans une brillante synthèse de ses capacités à capter en quelques centaines de pages les vies d'une poignée de personnages, à en restituer les dilemmes intérieurs, fondements de leurs particularités psychologiques, et à les relier à cet ensemble de données économiques, politiques, culturelles et historiques qui constituent le paradigme d'une époque.


L'histoire qui relie Claude et Christine prend sens dans sa confrontation perpétuelle à la peinture, cette maîtresse irréelle qui est pire que toutes les nudités affriolantes des modèles de pose. D'abord cristallisation de leur liaison, la peinture donne au couple une raison de se vivre ensemble quelles que soient les conditions de vie –souvent misérables- qu'elle leur impose. Mais si la peinture représente pour Christine un divertissement facultatif, Claude semble surtout avoir choisi de vivre avec Christine en croyant que cette épouse en prototype de Muse lui permettrait d'accéder plus rapidement à la grâce de son idéal artistique. Ce n'est pas le cas et la peinture s'échappe sans cesse. L'impossibilité de l'union à trois conduit à la dégradation de l'union à deux. Comme toujours, l'histoire d'amour ne peut se satisfaire d'elle-même, et c'est à cause de cette tendance irréfrénable à la complexité que le bonheur s'échappe.


Et si l'histoire de L'oeuvre était encore plus tragique que cela ? Il faudrait, par exemple, que les ambitions artistiques de Claude ne soient pas vraiment siennes. Il faudrait que son existence entière ait été faussée par la poursuite d'idéaux qui lui auraient été infligés par la société, ce fameux ensemble de déterminations qui obsède Emile Zola. Arthur Schopenhauer avait affirmé que l'amour était subordonné à la Volonté et que les individus n'étaient rien d'autre que des machines à assurer la régénération de l'espèce humaine ; Emile Zola semble croire que l'art est subordonné à une autre forme de puissance qui condamne les individus à sacrifier leur santé et leur bonheur à l'accomplissement de projets (ici artistiques) qui permettent uniquement de faire évoluer la Culture.


Essayant peut-être d'échapper à cette détermination fatale, Emile Zola fait surgir, au milieu de sa troupe de peintres réalistes, le personnage de l'écrivain qui constitue la représentation non dissimulée de Zola lui-même. Sacrifié aussi aux besoins de la Culture, on remarquera cependant que c'est le seul artiste qui parvient à trouver une portion de succès sans y condamner son existence. Emile Zola n'avait sans doute pas tort : son Oeuvre est grandiose.
Commenter  J’apprécie          522
Première scène d'orage, entre pluie diluvienne, noirceur de la nuit qui enténèbre la Seine et fulgurance lumineuse des éclairs qui laissent, par intermittence, voir les façades qui se dressent des deux côtés du fleuve. Claude Lantier, après avoir flâné dans les Halles, rentre chez lui et trouve devant sa porte une jeune fille trempée et terrorisée par la trouée noire que forme la Seine en cette nuit de juillet où le ciel déverse son mécontentement de ce jour lourd de chaleur estivale.
Arrivée de Clermont, Christine devait rejoindre Passy où elle doit s'occuper d'une vieille dame mais un retard de train l'a perdue dans cette nuit parisienne. Claude, pourtant bien méfiant envers les femmes, lui offre tout de même le gîte dans son atelier tout en désordre, encombré d'objets de peintre et dont les esquisses plutôt effrayantes pour la jeune provinciale dégringolent des murs.
Le lendemain, derrière le paravent, la jeune fille endormie éblouit le coup d'oeil volé par le peintre ; tout à fait la figure cherchée pour son grand tableau en cours. L'artiste s'empare prestement de sa boîte de pastel mais l'éveil et la pruderie de Christine ont bien failli laisser l'ébauche inachevée.

Et Zola, par cette puissante scène de rencontre de deux êtres pleins de jeunesse, pose les premières pierres d'un amour qui émergera doucement, s'installera paisiblement puis chutera tragiquement, victime de la création artistique.

Claude et ses amis s'exaltent chacun dans leur domaine, font exploser leur orgueil et se voient créer des oeuvres grandioses, au-dessus des autres. le jeune peintre se penche sur son grand tableau, un chef d'oeuvre en puissance, mais souvent un élan de rage vient assombrir sa fringale créatrice, lorsque le pinceau est impuissant à peindre l'éclat ou le vivant qu'il veut donner à l'oeuvre. C'est une fureur de créer, une bataille engagée avec la toile. Les heures épuisantes à travailler alimentent les rêves de gloire. Quand l'insatisfaction, le doute, la rage, la torture face à la toile sont trop intenses, il promène son désarroi dans les rues de Paris.
Zola nous fait arpenter alors les différents quartiers dans lesquels chaque artiste passionné s'escrime à son art : sculpture, littérature, architecture, peinture. La bande bat le pavé parisien, à la conquête de la ville qui s'offre à eux pour satisfaire leur ivresse de réussite.
Aux côtés de Christine, rive droite, rive gauche, suivant les courbes de la Seine, les ponts se succèdent dans le crépuscule. L'auteur, maître de la description, assombrit ou fait resplendir l'enchevêtrement des boutiques, habitations et monuments rencontrés en chemin. Il nous abreuve de perspectives parisiennes.
Sur la toile, impressionnisme et naturalisme se bataillent pour mettre de côté le romantisme. le grand tableau de Claude, aux couleurs ardentes, a l'audace de montrer une femme nue en plein air et sera la risée du Salon des Refusés. Des rires reçus comme une gifle. le public n'est pas prêt à cette nouvelle forme d'art. Alors les amoureux rechercheront la solitude, loin de l'effervescence parisienne. Les joies de la campagne n'auront qu'un temps et les humeurs de Claude reprendront le dessus. Il voit et désire encore le Paris où il triomphera dans ses hallucinations de gloire artistique, lui, le peintre qui osera le renouveau de cet art.
Dans ce volume, Zola parfait les exaltations de la création, à l'image de celles qui le dévore lorsqu'il écrit et celles qui habitent aussi ses propres amis peintres. Ici, l'ambition dévorante est sans limite car même si un chef d'oeuvre est accompli, la peur de déchoir succède à celle de ne jamais atteindre la gloire. C'est une course sans fin, ardente et dévastatrice. Comme souvent, l'auteur déroule son scénario en faisant progresser ce monstre affamé, jamais rassasié, représentant la soif ambitieuse de l'homme. La torture qui ronge Claude, qui se répercute sur son fils et sa femme, accélère sensiblement la seconde moitié de ce roman aux accents sombres, accablants.
Les amitiés, les amours, sauront-ils résister à l'avalanche déclenchée par la folie de cette course au chef d'oeuvre ?
Christine, dont l'adoration pour son artiste est poignante, sera-t-elle de taille à lutter contre une femme, une voleuse faite de toile et de couleurs ?

Ce quatorzième volume des Rougon-Macquart, tout en traitant de peintures, projette en parallèle de saisissants tableaux du milieu artistique de l'époque, de ses hypocrisies, de ses injustices, de ses espoirs déçus ou distribués sans vraiment juger le talent.
Commenter  J’apprécie          370
Claude Lantier, le fils de Gervaise, la blanchisseuse de l'Assommoir, a été élevé par un vieil homme de Plassans qui aimait ses dessins d'enfant, et est devenu artiste-peintre. A Paris, entouré d'autres jeunes artistes, peintres, sculpteur, écrivain, il rêve de révolutionner l'art en le sortant de sa gangue académique et officielle. Plein d'allant, d'énergie et de fougue, il ne parvient cependant à présenter son tableau « Plein air » qu'au Salon des Refusés, et encore suscite-t-il l'hilarité générale, même s'il le consacre comme chef de file de l'école nouvelle. ● On retrouve dans L'Oeuvre la structure ternaire qui domine dans nombre des romans de Zola, dont, par exemple, L'Assommoir : montée, sommet, déclin. Cette structure est parfaite pour raconter un échec, d'autant plus visible qu'il est précédé d'une période d'euphorie où tout semble possible. ● Mais ce roman se distingue nettement des autres romans du cycle des Rougon-Macquart par sa dimension autobiographique saisissante : de l'aveu même de Zola, il entre pour beaucoup dans le personnage de l'écrivain Sandoz (dans le nom duquel on retrouve des lettres du nom Zola). Il est dès lors intéressant de regarder vivre cet écrivain, car Zola nous divulgue des informations à la fois sur sa façon à lui d'aborder la création littéraire, et sur sa vie privée (ne se donnant pas le plus mauvais rôle !). Il apparaissait déjà dans Pot-Bouille, mais de façon très discrète, puisqu'il s'agissait d'une famille dont le père était écrivain et qui se cachait de tous. ● le roman est intéressant en ce qu'il permet de percevoir de l'intérieur les querelles esthétiques de la seconde moitié du XIXe siècle : tenants de l'académisme néo-classique contre l'avant-garde et l'impressionnisme : de nombreuses oeuvres sont ainsi analysées. ● Mais il est peut-être encore plus intéressant dans la manière dont il rend compte de ces tableaux et de l'art pictural en général, posant le problème de l'« ekphrasis », ou : comment parler d'un tableau avec des mots ? Tout l'art du romancier sera alors de résoudre ce problème dans des passages descriptifs (tant redoutés des lycéens). Plus généralement, le roman pose le problème de la vision : personne ne voit la même chose dans un tableau, mais dans la nature non plus, d'où le recours fréquent à la focalisation interne pour montrer ce que voit chaque personnage. ● Dans le personnage de Claude il est habituel de dire qu'on trouve Cézanne, ami de Zola, mais on trouve aussi d'autres peintres, et Zola lui-même, qui n'a pas seulement investi le personnage de Sandoz, voulant raconter les affres de la création : « Je raconterai ma vie intime de production, ce perpétuel accouchement si douloureux », écrit-il dans ses Carnets. ● On trouve également dans ce riche roman la rivalité entre l'oeuvre et l'être aimé, explicitement posée, la création niant l'amour, et même la rivalité tout aussi malheureuse entre la création artistique et l'enfantement, et enfin la rivalité entre l'art et la vie, l'un se nourrissant de l'autre dans une sorte de pacte faustien qui ne peut que mener le vrai créateur à sa perte. ● Mais malgré toutes les qualités de ce roman, malgré sa richesse incontestable, ce n'est vraiment pas mon préféré parmi les Rougon-Macquart ; je le trouve trop réflexif, trop intellectuel ; il y a trop de personnages aussi, on s'y perd un peu.
Commenter  J’apprécie          350
Il faut croire que Gervaise, égale à elle-même, a donné naissance à des enfants intelligents, passionnés, emplis de la meilleure volonté, mais à qui il manque ce petit rien, cette flamme qui en feraient des gagnants; au lieu de cela, les voilà condamnés, par péché d'idéalisme, à une chute lente et inexorable...
Claude Lantier était pourtant entouré des meilleurs alliés: un groupe d'amis artistes, comme lui, rencontrés dans sa jeunesse à Plassans et tous prêts à conquérir Paris. Une jeune fille qui tombe amoureuse de lui, prête à le materner, l'idéaliser, l'aimer. Et surtout, le génie de la peinture. Claude est le chef de file du mouvement "plein air" - alias "impressionnisme", il est novateur, créatif, profond. Et pourtant, comme ces génies avant l'heure, incompris et rejeté.
On le suit ainsi en pleine descente aux Enfers... et pourtant c'est aussi pour Christine la dévouée, l'amante, qu'on souffre, elle qui se voit rivalisée par ces portraits de femmes auxquels il consacre ses jours et ses nuits. Et pire que tout, c'est leur enfant qu'ils auront sacrifié tous les deux l'un à l'art, l'autre à l'amour et qui mourra presque abandonné, pauvre âme débile et corps malade.
On pourrait se demander comment Zola eut le courage de cumuler ces romans de la famille Macquart sombrant dans la folie ou l'alcool, et pourtant, bien qu'il se revendique de la veine naturaliste, combattant le romantisme, il y a bien, parfois, de cet idéalisme et amour qui ferait croire au lecteur, un instant, que la vie pourrait être belle, douce, qu'on pourrait y accomplir son idéal.

Enfin, l'oeuvre est un bel hommage aux théories de la peinture et à l'abnégation des purs artistes, et une magnifique description des paysages parisiens du dix-neuvième siècle.
Lien : http://pourunmot.blogspot.fr..
Commenter  J’apprécie          342
L'oeuvre est à la fois un ratage pathétique et merveilleux- et une tentative désespérée d'atteindre ce qui ne peut se dire ni s‘écrire : l'essence de l'Art.

Claude Lantier, le fils de Gervaise, est peintre.

Avec ce personnage, Zola pousse ses investigations dans le monde de l'art qu'il connaît bien: ses amis Monet, Manet, Courbet et surtout Cézanne, l'Ami aixois, lui ouvrent familièrement les portes de leurs ateliers. C'est pour lui un univers bien moins étranger que les mines, les halles ou les grands magasins. Et n'est-il pas lui-même un créateur? Aux côtés de Claude, il crée, dans l'Oeuvre, le personnage de l'écrivain Sandoz, dont même le nom n'est pas sans rappeler, par quelques lettres et sonorités, le sien.

Beau sujet, qui a déjà tenté Balzac, dans une nouvelle philosophique, le Chef d'oeuvre inconnu.

Et pourtant, que d'échecs dans ce roman-là.

D'abord celui de l'amitié: après la parution de L'Oeuvre, Cézanne ne vient plus voir Zola, ils sont brouillés.

Puis celui de la méthode.
Le grand écrivain naturaliste n'a curieusement pas évoqué ni décrit une peinture de son époque, observable comme un puits de mine ou un étal de charcuterie :ni l'école réaliste, ni l'école impressionniste. Il en a imaginé une, le mouvement « pleinairiste » ( à cause d'un tableau de Claude, « Plein air », comme les Impressionnistes avaient pris leur nom d'un tableau de Monet « Impressions , soleil levant »). Mais ce mouvement n'est en rien comparable à l'impressionnisme : il est fait de bric et de broc, a des traits de Manet-les scènes de plein air justement - des traits de Courbet - rudesse et violence- des traits de Monet-le rôle changeant de la lumière, et bien sûr des traits de Cézanne… encore que ce dernier modèle, le plus proche, le plus intime, soit le moins identifiable dans la peinture de Claude : il aurait fallu laisser la couleur prendre le pas sur l'idée, ce que Zola ne fait pas.

On ne se représente pas la peinture de Claude parce qu'elle n'existe pas.

Troisième échec: l'histoire même de cette peinture, sa gestuelle, sa quête, ses tâtonnements, ses trouvailles.

Zola peine à évoquer l'acte de création qui met l'artiste au corps à corps avec sa toile. Il y bute, il s'y englue, n'accepte pas son "infinitude" -quand sait-on qu'un tableau est fini? l'est-il jamais? –

Au point de condamner l'ébauche.

Au moment de la mort de l'enterrement de Claude, Zola fait dire à son ami : « Je ne connais que lui que des ébauches, des croquis, des notes jetées , tout ce bagage de l'artiste qui ne peut aller au public » .. Mais c'est dans l'ébauche précisément, que Claude est totalement Cézanne, c'est à travers elle que Zola attaque Cézanne- qui s'est effectivement senti tellement visé par ce Claude qui ne lui ressemble pas, qu'il a cessé son amitié avec Zola-
« La modernité de Cézanne, c'est très exactement la découverte que le tableau ne peut pas être fini, aussi bien au sens académique qu'au sens fort, absolu. » comme dit si bien Pierre Daix,

Quatrième échec : celui du personnage lui-même.
Échec amoureux, échec artistique. Échec de vie. Christine, rencontrée un soir d'orage, dans les premières pages du roman -un début prometteur et ..fulgurant !-après avoir été une compagne passionnément aimée, un modèle inspirant , finit par le quitter, leur fils, hydrocéphale, meurt - Claude fait le portrait de l'enfant mort comme Monet fera celui de sa jeune femme morte, un terrible tableau qui objective la perte et le chagrin de façon magistrale- , et Claude se lance dans l'élaboration d'un ultime tableau qui sera le couronnement de son oeuvre mais qu'il charge d'une telle puissance de démonstration qu'il le surcharge, le rend illisible et en meurt, pendu dans son atelier..

Faire de Claude un « suicidé de la société » était dans la logique familiale et génétique des Rougon-Macquart : on n'est pas sans risque le fils de Gervaise, que son penchant pour l'alcool a livrée sans défense à la « fêlure héréditaire » des Macquart.

Mais faire de Claude - dont on « voit » si mal la recherche, les idéaux artistiques, les tableaux,- un « peintre maudit » demandait une fidélité absolue à la méthode naturaliste ou une désobéissance tout aussi absolue.

Soit il fallait plus de précision historique et artistique : quelle était la peinture « incomprise » en 1885 ? Pas les impressionnistes, qui, justement, prenaient enfin leur place. Pas la peinture réaliste qui avait encore un très large public. Alors, la peinture symboliste, en train d'émerger ?

Soit il fallait oublier les Rougon, et Zola aurait pu se laisser aller à sa propre imagination, comme dans certaines de ses nouvelles ou de ses contes, inventer et caractériser vraiment une peinture nouvelle, surprenante, dérangeante pour l'époque. Sans en faire un manteau d'Arlequin de toutes les écoles connues…

Claude, la peinture, l'art y auraient gagné, dans les deux cas, en vérité, en pertinence.

Il n'en reste pas moins que L'oeuvre bouleverse, car malgré –ou à cause ?- de ses défauts, on y découvre un thème terrible, qui tenaille tout artiste, peintre, sculpteur ou …écrivain : celui des limites de son art, celui de l'échec, celui de l'incompréhension.

L'Oeuvre est un chef d'oeuvre sur l'échec autant que l'échec d'un chef d'oeuvre.
Commenter  J’apprécie          295
Titre consacré à Claude Lantier, fils de Gervaise, déjà rencontré enfant dans l'Assommoir et adulte dans le ventre de Paris. L'histoire commence l'année précédent la création du Salon des Refusés en 1863 et finit avec la mort du héros en 1876.
Il s'inscrit parfaitement dans la première partie de son projet : décrire une famille du point de vue de l'hérédité, tandis que la deuxième la société sous le Second Empire est assez négligée. Ici l'hérédité a toute sa place. Descendant de Macquart l'alcoolique et d'Adélaïde Fouquet la folle, Claude l'est tout à fait. Ses nerfs sont exacerbés, il va de l'enthousiasme au désespoir, ne sait maitriser ses pulsions, il reste des journées prisonnier de sa vision du tableau qu'il peint.
Comme souvent (toujours ?) chez Zola, il y a plusieurs livres dans un seul.
C'est bien évidemment un roman sur l'art, sur le processus de création, l'engagement total qu'il demande, sur le choix entre la vie et l'oeuvre à créer. (Sandoz l'écrivain qui a réussi se plaint que l'écriture de son oeuvre, l'histoire d'une famille sous le second empire, tiens ! lui ait tout pris). Mais aussi sur le marché de l'art. Avec les portraits de Malgras, vrai amateur d'art et celui de Naudet pour lequel il n'est qu'une marchandise comme une autre. Sur l'importance de la publicité par la presse. Et c'est un reportage sur les Salons.
Roman sur l'amitié aussi. Sandoz, Claude et Dubuche (qui se consacrera à l'architecture) sont amis depuis l'enfance. Ils ont quitté Plassans pour venir à la conquête de Paris. Là, ils ont rencontrés d'autres jeunes artistes ambitieux. Soudés au début, des cassures apparaissent entre eux au fil des réussites et des échecs. Les soirées de Sandoz sont les témoins de cette évolution. Jusqu'au retournement contre Claude, coupable aux yeux de plusieurs de leur échec à tous, parce qu'il est infréquentable. Sandoz est le double presque parfait de Zola. Parfait dans les deux sens, il ressemble beaucoup à Zola et il est l'ami, celui qui rassemble (les jeudis de Sandoz), celui qui soutient. Et puis parmi ceux partis de Plassans il est le seul à réussir sans compromissions.
Roman d'amour enfin. Claude s'est tenu éloigné des femmes qui lui font peur. La rencontre fortuite avec Christine, jeune orpheline placée comme liseuse chez une dame, réveille son désir de relation avec une femme. C'est d'ailleurs longtemps une amitié. Puis arrive une période de bonheur, mais le besoin de peindre, et la difficulté à transcrire sur la toile ce qu'il ressent taraude Claude. Christine tâche de s'habituer à cette exigence, passe des heures à poser. Mais la rivalité est non pas avec une autre femme de chair, mais une peinture de femme, contre laquelle elle ne peut lutter.
Ce livre est sensé avoir provoqué la rupture entre Zola Cézanne. Les avis semblent diverger à cet égard. Plusieurs peintres ont certainement prêté leurs traits à Claude.

Challenge pavés 2014-2015
Commenter  J’apprécie          290

Ahhh Zola ! Que c'est bien écrit ! Que c'est profond ! Que c'est documenté ! Que c'est passionnant ! heu bon pour l'instant je suis un peu à court d'adjectifs et pourtant il ne devrait pas en manquer pour qualifier un tel auteur !

Pourquoi j'aime Zola

En réalité, je suis tombée sous le charme de Zola l'année dernière ... Pleine d'a priori et de préjugés sur cet auteur, je me suis lancée "courageusement" dans la série des Rougon-Macquart, bien décidée à perséverer dans ma lecture. Et à ma grande surprise, cela a été très simple ! Dès La Fortune des Rougon, je n'ai jamais pu lâcher un Zola avant de l'avoir dévoré, et j'en ressort continuellement sous le choc d'une telle qualité littéraire, d'une telle force.

Certes je n'adhère pas aveuglément à tous ses ouvrages, j'ai par exemple moins apprécié le Ventre de Paris parce que 20 pages de description des légumes des Halles, c'est un peu long ... (même si c'est un vrai tour de force de pouvoir le faire, je préfère quand même quand il décrit la magie de Paris, sa lumière, dans L'Oeuvre)

Bref tout cela pour vous dire que lorsque j'ai vu que L'Oeuvre était au programme du Club des Lectrices, je ne me suis pas fait prier pour attaquer la lecture !

Inutile de revenir sur la biographie de l'auteur, quoique ce serait intéressant car c'est peut-être le roman le plus autobiographique de Zola : si l'on prend en compte qu'il a fait ses études à Aix-en-Provence (heu Plassans désolée), qu'il s'est lié là-bas avec Cézanne et d'autres peintres. Qu'ils se sont ensuite retrouvés à Paris, etc. Bien sûr Sandoz n'est pas Zola, tout comme Claude n'est pas Monet ni Cézanne, en tout cas pas entiérement !

Ce qui m'a plu :

- La modernité de l'écriture

- le sujet : quoi de plus essentiel et de plus passionnant que la question de la création artistique ? car l'on assiste ici à l'art en train de se faire, à ce qui fait de l'homme un artiste, ...

- Une peinture de la société : car si il traite de la question universelle de la création artistique, il s'inscrit surtout profondément dans une époque - ce XIXe siècle que j'aime tant - ce XIXe siècle bourgeois qui méprisait les artistes tout en admirant leurs oeuvres (tant qu'elles ne sortent pas des chemins battus.)

- Les types dépeints : le peintre tourmenté, avec qui l'on souffre; la femme passionnée et trompée; l'artiste arriviste; l'écrivain montant; etc.

Ce roman est donc extrémement riche, on vit passionnément avec les personnages pendant 400 pages. Cependant, pour ma part; j'ai ressenti une rupture dans mon coeur au moment de la mort de Jacques, qui intervient dans la presque indifférence de ses parents : à ce moment-là, je n'ai ressenti que mépris pour Claude qui a tout sacrifié pour rien au final, et qui pour moi, est passé à côté de la vie ... A la fin, j'ai finalement vécu sa disparition comme un soulagement ...

Pour conclure ce long billet, ce qui m'a frappé à la moitié du livre environ, c'est la diversité des sujets que Zola nous propose d'un livre à l'autre : sur la dizaine que j'ai déjà lu, pas un personnage ne se ressemble, pas une histoire ne part dans la même direction. Certes on peut remarquer une certaine tendance à des fins tragiques, mais elles sont à l'image des types dépeints qui ne peuvent faire autrement, pour vivre leurs passions jusqu'au bout, que de disparaître brutalement, se perdre dans la folie. Comme si l'homme ne pouvait supporter les sentiments qu'il porte en lui. (Evidemment c'est une analyse personnelle, ce que je ressent en lisant ces oeuvres et en aucun cas une analyse littéraire professionnelle, dont je serai par ailleurs bien incapable ... )

Il va passer dans ma bibliothèque idéale (ou Pile A Relire ...) très prochainement ! :)
Commenter  J’apprécie          292
Loin des scintillements et des lustres à facette de "La curée" que je venais de lire, L'oeuvre est un roman très sombre et intimiste, puisqu'on y découvre un autoportrait de Zola, sous les traits de l'écrivain Sandoz et un portrait en partie inspiré par le peintre Cézanne, ami d'école de Zola à Aix-en-Provence, devenu Claude Lantier dans le roman. Sous la plume de Zola, Claude devient obnubilé par le chef d'oeuvre qu'il veut peindre, au péril de la vie de sa femme, de son fils, et au péril de sa santé mentale. Il est parfois difficile de lire ces pages où le fils du peintre est traité comme quantité négligeable non seulement par son père mais aussi par sa mère qui abandonne sa progéniture pour tenter de satisfaire les exigences de plus en plus déraisonnables de son mari. Tableau réaliste, sans complaisance, de la vie d'artiste en marge de la bonne société. Et tableau saisissant de la folie qu'entraine la recherche de l'absolu.
Commenter  J’apprécie          210




Lecteurs (6960) Voir plus



Quiz Voir plus

Les personnages des Rougon Macquart

Dans l'assommoir, quelle est l'infirmité qui touche Gervaise dès la naissance

Elle est alcoolique
Elle boîte
Elle est myope
Elle est dépensière

7 questions
592 lecteurs ont répondu
Thème : Émile ZolaCréer un quiz sur ce livre

{* *}