Le Docteur Pascal a trois grandes qualités.
D'abord c'est le dernier des Rougon Macquart: quand on n'a pas fait comme moi, c'est-à-dire les lire dans un joyeux désordre, au gré des humeurs et des rencontres, on doit avoir, en le fermant, le sentiment du devoir accompli!
Ensuite, il vous remet gentiment en mémoire toutes les ramifications du grand arbre des Rougon Macquart, vous indiquant obligeamment le sort des principaux protagonistes, et ravivant ou précisant les souvenirs des fratries, des rejetons légitimes ou bâtards jaillis de la souche originelle, étudiant avec la clarté du sociologue les milieux arpentés,en auscultant les ressorts. Il opère un classement génétique et scientifique (quelque peu dépassé depuis) , entre deux principes antagonistes et néanmoins complémentaires de la génétique , l'inné et l'acquis, l'imitation et l'invention, le fortuit et l'héreditaire. Il jette un coup de projecteur sur les rares rescapés de cette vigoureuse lessive de linge sale en famille, donnant avec parcimonie des satisfecit à quelques "innocents" : Jean, de la Débâcle ( déjà découvert dans La Terre) , Hélène , d'Une Page d'Amour, et Pauline, de la Joie de Vivre...D'ailleurs, je me suis dépêchée de découvrir ces trois derniers livres pour me faire une idée de ce que
Zola semblait considérer comme une sorte de grâce. Je n'ai pas été déçue...
Enfin, c'est un lieu commun de dire qu'il est une sorte de testament moral et littéraire de
Zola.
Le personnage du Docteur Pascal, avec sa probité, son inlassable travail d'observation et de classification, son intransigeance de saint laïque.. et ses faiblesses , au seuil de la mort, pour une très jeune fille -et nièce, on frôle l'inceste et la pédophilie!- passion qui lui redonne verdeur, vigueur..et enfant!...le docteur Pascal, donc, ressemble comme un frère au petit père
Zola.
Zola dessine et boucle son projet de saga romanesque et expérimentale au point d'y laisser plus d'une fois ses forces et, malgré l'amour de la jeune Jeanne Rozerot qui lui redonne seconde jeunesse et enfants, y laisse finalement sa vie, laquelle ne s'en pas allée en fumée comme l'oeuvre du Docteur, mais s'est quand même étouffée sous les miasmes d'un poêle obstrué malencontreusement ou malignement...
Trois qualités, donc, qui font du dernier Rougon Macquart une digne conclusion de la série..
..mais pas non plus l'excellent roman que cette étonnante entreprise demandait.
Des longueurs, des atermoiements, des revirements sentimentaux aussi téléphonés que laborieusement amenés et pesamment justifiés, au point d' exaspérer même la lectrice la plus patiente , la mieux disposée.. Ajoutons aussi une façon de forcer le trait qui tourne à l'hagiographie...bref (si j'ose dire), c'est souvent longuet, c'est en tous les cas peu subtil, insistant.
Lourd.
On a l'impression que notre cher Émile nous prend pour des buses...
Quant aux personnages principaux, Pascal et Clotilde, sa dulcinée, (au début, un assez joli personnage de garçon manqué, sportive, affranchie et curieuse de tout mais que l'amour ou la puberté ramène tristement aux pires clichés sur la femme) , ils m'ont tous deux laissée de marbre...et pas plus agitée par leur concupiscence que par les orgasmes sensoriels de l'abbé Mouret!
Pour ne pas rester sur cette note critique, je veux retenir quelques belles pages sombres, vénéneuses, épiques, dont les figures emblématiques restent les trois grands monstres originels de la saga : la tante Félicité, Machiavel enjuponné, cuirassé de bienpensance et de malveillance, la tante Dide, folle et mutique en son asile campagnard, et le terrible Macquart, grand fauve roublard, littéralement consumé par son ivrognerie crasse.
Ils ne sont ici que des personnages secondaires, mais, qu'ils meurent ou qu'ils continuent à nuire, quelle force, quelle présence, quelle aura dans l' atrocité !
Ce sont eux qui apportent au dernier roman de la série le point d'orgue magistral et ultime qui sinon aurait laissé cette Histoire d'une famille au second Empire finir dans la grisaille...