Les promesses de
la merA la veille des
vacancesBernard PIVOT reçoit cinq auteurs pour parler de
la mer dans tous ses états.
Alain BOMBARD publie "
Les Grands navigateurs" et "Protégeons
la mer». BOMBARD raconte quelques
anecdotes sur quelques uns des grands aventuriers
marins.
Philippe DIOLE,
journaliste et plongeur, présente son ouvrage "l'Aventure de l'homme dans
la mer",
récit de l'évolution de la plongée...
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Là où le rêve et l'action s'avancent côte à côte, en silence, dans l'épaisseur des eaux, l'homme pour un instant se sent d'accord avec la vie. Cela se raconte-t-il, je n'en suis pas certain.
Les problèmes qui se posent à nous dans la mer sont ceux mêmes qui se posaient à la surface du sol, voici quelque huit mille ans. Lorsque l'avant-garde des plongeurs cherche à répondre aux questions de la tribu, elle ne dispose pas de mots, elle ne sait que dire. Et Philippe Tailliez réclame un Rimbaud. Pourquoi ? Parce que la poésie "s'abreuve à des sources que nous n'avons pas encore rendues accessibles à la science", parce qu'en attendant les définitions scientifiques, la poésie est le langage le moins menteur pour évoquer une réalité encore mal débrouillée et qui échappe à la raison.
Il n'est pas vrai que le plongeur soit comme un poisson dans l'eau. Du poisson, il n'a pas les réflexes vifs, la puissance toujours aux aguets. Peut-être me comprendra-t-on si je dis qu'il se meut dans la mer comme on vole dans les rêves.
On réclame une transposition poétique qui soit digne de la réalité marine. Vieux drame que l'homme a connu avec le paysage terrestre. De ce drame, les tableaux des musées sont autant de témoignages. Il aura fallu des générations de peintres, de dessinateurs et de poètes pour exprimer plus ou moins valablement l'émotion humaine devant un paysage, pour gagner un accord de plus entre les lignes de la terre et la sensibilité humaine, entre un fond de forêt et notre tristesse. Que de détours pour évoquer les beautés terrestres, les cerner, les appréhender, acquérir une richesse et une richesse encore. Et voici qu'au XXè siècle, toute cette œuvre est à transposer dans l'eau. Combien faudra-t-il de temps et d'hommes pour essayer sur ce monde qui s'entrouvre les clefs les plus valables. p108-109
C'est un travail de marins que cette grande distribution de plantes qui a changé le visage de la terre. Que de voyages par mer à travers le monde pour composer ces jardins où nous nous promenons. Que d'audaces marines et que de naufrages pour respirer une fleur ou mordre dans un fruit. p47
Alors, qu'est ce que je fais ici ? Couché sur la vase, accoté à une roche, regardant monter des bulles dans l'azur de l'eau, je caresse en moi la douceur d'une délivrance, la joie paisible de l'échappé de prison, qui s'est assis dans l'herbe et regarde les champs, les fleurs du talus, un peu de terre dans le creux de sa main.
Je goûte au fond de l'eau le silence, la paix du foyer, le bonheur du préhistorique qui a découvert une grotte inaccessible aux bêtes, inconnues des tribus rivales. p96
Je pense aussi - assez timidement - que quelques accessoires vont avec le scaphandre : une humilité apprise dans l'eau, une défiance à l'égard de l'esprit humain, une grande indulgence pour ses incertitudes et ses détours, quelques familiarités avec les images voilées qui échappent à la raison mais commandent la vie, une naïveté parente de tous les archaïsmes, sensibles aux mythes et aux fables plus qu'à la science. p 24
Toute l'histoire de la civilisation se résume peut-être dans le désir de conquérir un peu de dignité pour le corps humain.
Lui donner une gloire planant, le déifier en inventant des raisons de le soulever de terre.
Poésie, mythe, religion, peinture, tout cela par quoi l'homme parvient à la lévitation, a peut-être plus de rapport avec la chute des corps qu'avec l'esprit. p62
La plongée m'a appris que pour enchanter l'esprit il suffisait de bien faibles miracles corporels : un instant d'immobilité au dessus du vide, une seconde pendant laquelle la misère humaine s'abolit.
Nos servitudes terrestres sont si constantes que la moindre libération en faveur de notre chair intéresse notre âme. p62
Ce pays sans nom n'a d'autre frontière qu'un plafond à fleur d'eau et à fleur de ciel. Je puis oublier ici que j'ai mauvaise conscience pour la planète. Le destin que m'offre la terre, je le tiens pour une trahison de l'homme. Je viens chercher aux portes de la mer une autre voie qui me réconcilie avec la vie. p97