Ce que la Piétà d'Avignon donne à voir et à entendre.
C’est triste à dire : la parole sert surtout à exprimer ce qui ne va pas, ou ce qui allait quand cela ne va plus. Quand tout va bien, quand on est au comble du bonheur, on est transporté. Transporté où ? Hors du langage probablement.
La technologie en effet, au fur et à mesure qu’elle se complexifie et que le rythme de l’innovation augmente, marginalise et élimine nécessairement la démocratie.
Plus la technologie est sophistiquée, plus la démocratie doit céder le pas à la technocratie.
Et plus le rythme de l’innovation croît, moins la démocratie, qui a besoin de temps pour que les débats s’organisent, murissent et aboutissent, a de prise sur les événements : elle en est réduite, dans les faits, à entériner ce qui se produit sans elle.
(page 122)
La question qui se pose n’est pas de savoir si la modernité est intégralement bonne ou intégralement mauvaise, mais d’évaluer le rapport entre les avantages et les pertes.
(page 56)
De toutes les extravagances dont notre monde est envahi, les contes sur le triomphe de l’intelligence artificielle et le transhumanisme comptent parmi les plus maléfiques. Ils incitent, en annonçant la mort de la mort, à persévérer sur une voie qui conduit à la mort de masse ; ils alimentent des fantasmes de surpuissance à un moment où il faudrait, plus que jamais, accepter de mettre des limites à la puissance ; ils flattent l’individualisme alors qu’il serait urgent d’assumer une communauté de destin, ils engagent à ignorer et mépriser toutes les sagesses élaborées par les hommes au fil des millénaires, en une conjoncture où celles-ci seraient nos plus précieuses ressources, ils bercent de chimères quand il faudrait se confronter à la réalité. (page 178)
Selon Girard, c’est le judéo-christianisme qui nous a appris à repérer le mécanisme sacrificiel par lequel les sociétés conjurent la violence mimétique en la polarisant sur une victime émissaire. La Bible hébraïque et les Evangiles révèlent ce qui doit demeurer caché pour que le procédé jouisse de sa pleine efficacité : la victime qu’on élimine est innocente de la gangrène sociale dont on la rend responsable. […]
En retirant aux sociétés humaines l’usage libre et innocent d’un moyen aussi efficace pour se purger de la violence mimétique qui menace périodiquement de les emporter, le judéo-christianisme a davantage fragilisé ces sociétés qu’il ne les a renforcées. […]
Contre le déchaînement de la violence mimétique, les sociétés modernes, interdites de rites sacrificiels – ou plutôt, très contraintes sur ce chapitre – ont dû recourir à d’autres instruments de régulation sociale. Entre autres, la production de masse, chargée de calmer momentanément – très momentanément – l’envie ; l’apparition d’une instruction obligatoire prolongée, dont une des fonctions est d’inculquer à tous les enfants les principes de la vie commune ; la place croissante prise par le droit, saisi de tous les conflits et appelé à les trancher avant qu’ils puissent s’étendre ou prendre de dangereuses proportions ; le développement de la police, veillant au respect des lois et arrêtant les contrevenants, ainsi que la multiplication des prisons maintenant ces derniers à l’écart. Sans parler d’une multitude d’autres instances régulatrices comme les hôpitaux psychiatriques, l’industrie pharmaceutique pourvoyeuse de neuroleptiques, l’industrie des loisirs charge d’épuiser les surplus d’énergie en dérivatifs inoffensifs.
Quand les choses sont trop petites, il faut les faire croître. Quand elles sont trop grosses, il faut les faire décroître. A l'heure actuelle, il n'y a aucun doute sur la direction qu'il est opportun et urgent d'adopter. Cela signifie nullement que cette direction sera prise. Car lorsque les choses sont de venues trop grosses, elles s'autonomisent, échappent à tout contrôle et continuent de grossir sans qu'on y puisse rien.
Quoi qu'il en soit, les dirigeants voient dans la crise sanitaire un accident très fâcheux, mais aussi une fenêtre d'opportunités à saisir, afin d'accélérer les mutations en cours et de mettre en place les dispositifs de contrôle qu'en temps normal la population aurait refusés. Une fois ces mutations accomplies (la numérisation d'à peu près tout en particulier et l'obligation de tout faire en ligne), il ne sera plus question de revenir en arrière, une fois les nouveaux dispositifs installés ils resteront en usage - d'autant qu'au train où vont les choses, il y aura toujours une autre crise, une autre urgence, une nouvelle menace à invoquer pour justifier leur existence. Tel est le programme en bref : emprise totale de la technologie, standardisation accrue des comportements, extension sans limite du domaine du management
il nous faudrait enfin abandonner notre condition de 'dépendants à prétention d'indépendance' 1 - la figure dominante de l'époque. Il nous faudrait réapprendre, collectivement et individuellement, à compter sur nous-mêmes. Bien entendu les dirigeants politiques et économiques n’ont pas l'intention d'encourager ce genre de fantaisie, ni même de les autoriser
Le retournement dans les poussettes le murmure à sa manière. On prétend œuvrer pour le bonheur des enfants. Mais, dans les poussettes ainsi conçues, ils ne sourient plus. A qui, à quoi adresseraient-ils leurs sourires ? Au monde ? De là où ils le découvrent, il n’y a pas de quoi rire. Au ras du sol, sans regard pour les rassurer, ils jouent le rôle d’étrave pour fendre la foule, pour frayer un chemin à travers la circulation urbaine. Impossible de parler. Et si jamais une souffrance ou un tourment s’emparent d’eux, ils pleurent dans le vide, sans aucun visage pour seulement réfléchir leur chagrin.
Lorsque l’automobile paraît, le message est : « Maintenant, grâce à la voiture, tu peux aller beaucoup plus loin qu’à pied » ; un siècle plus tard, il faut dire : « Maintenant, tu dois aller beaucoup plus loin qu’à pied, et tu as donc besoin d’une voiture. » C’est un mouvement général, qui détruit les moyens qu’ont les êtres humains de subvenir par eux-mêmes à leurs besoins, et les oblige à en passer par des objets ou des services qui s’achètent.