JOCELYN LAGARRIGUE LA NUIT RECOMPOSÉE
Lecture par l'auteur & Victoria Quesnel, accompagnés par Igor Quezada à la guitare
Combien d'hommes dans un homme ? Antoine est comédien. Sa vie, il la brûle avec les femmes, sur les planches, dans la haute mer des grands textes. Seule l'intensité l'intéresse. Jusqu'au jour de trop où, plongé dans le coma, une vague noire menace de l'engloutir. Renaître est un risque, Antoine le sait. Lentement, son existence reprend, mais sur une ligne de crête aussi fragile que périlleuse. À quoi s'expose-t-il dans le jeu de l'amour et du hasard, à quoi s'expose-t-il s'il ne joue pas, s'il ne joue plus ?
Porté par une écriture bouillonnante, d'une liberté rare,
La Nuit recomposée nous plonge dans la vie d'un homme de théâtre, à la fois roi et clochard.
Jocelyn Lagarrigue est comédien. Formé au théâtre du Soleil avec
Ariane Mnouchkine, il travaille aujourd'hui avec de nombreux metteurs en scène, dont
Wajdi Mouawad,
Mélanie Laurent ou encore
Simon Abkarian.
À lire
Jocelyn Lagarrigue,
La Nuit recomposée, Quidam éditeur, 2022.
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MENELAS Depuis que tu es partie, notre lit est un tombeau qui se refuse à moi.
HELENE C'est moi, souviens-toi, qui pourrissais dans ce tombeau.
Moi qui me couchais comme morte auprès de ton absence.
Jour après jour, ma vie se fanait dans le vase de ma jeunesse.
ZELA. Tu te souviens, quand, petites, nous faisions de la balançoire?
ASTRIG. Oui.
ZELA. On disait que ça nous faisait des papillons dans le ventre et de la rosée dans la culotte.
ASTRIG. Ça nous faisait jouir.
ZELA. Eh bien, quand il est entré, ça m'a fait pareil. Mon cœur s'est emballé, je me suis mise à mouiller.
ASTRIG. Ça, ça ne trompe pas. C'est bien lui.
ZELA. Qu'est ce qui ne trompe pas? Mon cœur ou mon ventre?
ASTRIG. Les deux, ma Zéla. L'un sans l'autre c'est du temps perdu.
ZELA. Tu te souviens, quand, petites, nous faisions de la balançoire?
ASTRIG. Oui.
ZELA. On disait que ça nous faisait des papillons dans le ventre et de la rosée dans la culotte.
ASTRIG. Ça nous faisait jouir.
ZELA. Eh bien, quand il est entré, ça m'a fait pareil. Mon cœur s'est emballé, je me suis mise à mouiller.
ASTRIG. Ça, ça ne trompe pas. C'est bien lui.
ZELA. Qu'est ce qui ne trompe pas ? Mon cœur ou mon ventre?
ASTRIG. Les deux, ma Zéla. L'un sans l'autre c'est du temps perdu.
Qu'en disent les cormorans ? Volez, frères oiseaux, volez, la beauté n'attend pas, le monde est une fenêtre, j'y suspendrai l'envol ; de mes dix doigts, je ferai un bouquet de lumière et sculpterai vos ombres, puis dans la douceur d'une chambre noire, les révèlerai à vous-mêmes, les étendrai comme un linge qui attend la naissance d'une offrande... d'un regard.
Depuis que tu es partie notre lit est un tombeau qui se refuse à moi.
Tout réconfort m’est étranger.
Je comprends maintenant l’Exil que chantent les bardes venus de la
lointaine Ionie, je comprends l’amertume du pain et du vin quand
on est l’étranger.
Je comprends que je suis mort à la joie.
Le vent et moi, nous errons dans le palais que tu as déserté.
Les statues aux belles formes se sont figées.
Les miroirs se sont éteints.
Les chansons se sont tues.
Aphrodite tout entière s’est enfuie.
Derrière les voiles qui flottent devant les fenêtres, je revois l’aube
de ta fuite.
Dans ton sillage, mes yeux se sont repus de sel.
Les portes et les fenêtres crient : “Hélène ! Hélène !”
NOURITSA. Lire les rêves est un don. Ça ne s'apprend ni ne s'enseigne dans les livres.Le rêve, c'est la lecture d'avant l'écriture. C'est le jardin d'avant où l'homme ne se distingue pas encore de la bête et là, il n'y a ni rituel ni raison ni bibliothèque. Il y a l’innocence. Il y a l'interprétation d'empreintes laissées sur le chemin du temps. Et c'est cette lecture qui met en lumière le monde des choses cachées.Non pas celle des livres écrits par des savants incultes qui occultent les énigmes de l'âme, en enferment le mystère de l'être entre les nombrils du père et de la mère.
SANDRA. Donc pour toi, l'ego n'existe pas??
NOURITSA. L'ego n'est rien puisqu'on peut le tuer.
SANDRA. Avec quoi? Avec un couteau aveugle?
NOURITSA. Le territoire du rêveur est beaucoup plus vaste, sa terreur beaucoup plus complexe.
ZELA. Ô Aphrodite des eaux, faites que je le voie! C'est mon sang et mon corps que je viens t'offrir. Ô déesse de la mer et des rivages, maîtresse des îles et des fleuves, des marées et des tempêtes. Ô dame des eaux, je t'en supplie, montre-moi celui que j'attends. Qu'il vienne enfin! Mes louves et moi n'en pouvons plus d'avoir chaud sans lui. Ô mon inconnu, viens accoster dans ce golfe de chair. Ma meute et moi, nous serons ta clairière, le cirque qui t'enserre, le théâtre dédié à toi. Parle, fais danser en nous le verbe originel : c'est pour cela que nous avons couru. Nos oreilles pleines de toi, nous te les offrons. Viens faire ton entrée, ne nous laisse pas sans toi. Viens danser sur nos ventres tendus.
ASTRIG. Je ne parle pas de toi, là, je parle de moi! Je veux vivre, je veux guérir!
NOURITSA. Je veux, je veux, je veux. Ta tante aussi elle a voulu: regarde ce qu'il en reste. Elle parle sept langues, a été la première femme avocate du quartier, tous les livres que tu vois: elle les a lus. Tous ça pour quoi?
SANDRA. Pour saluer le soleil.
NOURITSA. Magnifique! Crois-moi ma fille, contente-toi de savoir lire un peu, de quoi écrire ton nom, de compter...Le savoir n'est enfermé dans aucun livre mais dans l'expérience vécue par chacun. A quoi bon les livres?
SANDRA. A isoler les murs, à démarrer un feu, à faire des pliages, à se torcher.
Si je suis fou, dis-moi que je le suis, mais ne me laisse plus errer
entre l’amour et la mort.
Et d’ailleurs, que ferait-elle d’un déjà mort, la mort ?
Si je ne tremble ni ne supplie, quel serait son plaisir ?
- La patience d'Electre, je l'ai fait durer comme l'esclave sa ration.
- L'arme suprême du stratège, c'est sa patience.
- La haine n'a plus une seconde à se mettre sous la dent.
- Electre, il faut prier et partir. Le Soleil, vêtu de sa cuirasse de feu, marche sur la Lune et son armée d'étoiles, Bientôt nous serons à découvert à la merci de nos ennemis. Vite !