Le livre a été adapté du scénario de Claude Faraldo et non le contraire. Il est souhaitable que cela soit corrigé.
Elle se souvenait de ce que lui avait dit un jour Fabien. Selon lui, nous naissons tous attachés par une chaîne à un piquet : il est impossible de briser la chaîne, il ne faut pas rêver, mais nous pouvons l'allonger en lui ajoutant un maillon, puis un autre, et un autre encore. Certaines personnes restent rivées à leur piquet leur existence entière ; d'autres réussissent à se forger une chaîne assez longue pour s'en écarter de trois, de dix, de cinquante mètres : ceux-là jouissent d'une relative liberté de mouvements ; quelques-un enfin, ils sont rares, se forgent une chaîne si longue et si souple que nul n'aperçoit plus le piquet originel.
Plutôt crever, se promit-elle, que de retourner vivre chez ses parents. Il n'y avait rien à attendre de ces deux-là. Elle l'avait bien vu lorsqu'elle avait fait sa tentaive de suicide. Elle le constatait encore chaque dimanche. Ils étaient verrouillés. Ils ne l'aimaient pas. Pas plus qu'ils ne s'aimaient l'un l'autre. Pas plus qu'ils ne s'aimaient eux-mêmes. Des faux gens. Des carcasses vides. A se demander, songeait-elle aujourd'hui, comment elle avait pu sortir de cette chatte, de cette paire de couilles, à douter même qu'il y ait une chatte, une paire de couilles. En maternelle, la petite Sophie ne pleurait pas quand les autres gosses lui disaient que ses parents l'avaient trouvée dans une poubelle, elle ne tempêtait pas, ne griffait ni ne mordait personne. Elle se contentait de hausser les épaules et partait dans son coin, incapable encore de préciser sa pensée, de leur clouer le bec en rétorquant avec un froid détachement que ces vieux cons ne l'auraient pas ramassée, mais se seraient empressés plutôt de refermer, de sceller si possible, le couvercle de la boîte à ordures. (p. 80-81)
Entre Sophie et [sa mère] (...) le fossé de l'indifférence doublait celui des générations. Le vieux monstre l'avait eue par accident à l'âge de quarante-trois ans, alors qu'elle se croyait ménopausée, à l'abri désormais. Elle aurait pu être sa grand-mère, mais se comportait plutôt comme une lointaine, très lointaine grand-tante. Jamais une caresse, jamais un baiser, jamais une attention, ni un encouragement, ni une parole de consolation. Si bien que dans les films qu'on les autorisait parfois à regarder [au pensionnat], quand une mignonne petite maman disait "Je t'aime" à son enfant, Sophie rougissait, se sentait mal, craignait de voir l'actrice rouler une pelle au gamin, se livrer sur lui à des choses interdites. (p. 66-67)