Mon petit bunker,
Marine Bramly
Ecrit par Martine L. Petauton 12.05.11 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman
Mon petit bunker, JC Lattes, 249 pages, 18 euros . Ecrivain(s):
Marine Bramly
« Noah cherchait sa boîte noire, comme on enquête après un crash » …
Le livre de
Marine Bramly sonne, frappe, cogne comme les percussions du djembé. Autobiographique, sûrement, ou, en tous cas, elle la connaît bien, Noah, cette Marine !
Livre d'enfance, mais pas la vôtre ou la mienne ; l'enfance d'une petite – bien blanche – qui ne vit pas en Afrique comme les toubabs, mais au milieu des noirs : « ma petite négresse blanche », dans les rues ; comme un garçon aussi, surtout pas à la fille : « j'attaque, je cogne, je gagne » n'est-elle pas la première phrase du livre…
Livre au goût fort du Sénégal – Dakar, la magie crasseuse de Gorée, la Casamance, ses pulsions indépendantistes et ses marabouts – Pas le pays des touristes (ceux-là se réfugieront plutôt dans les hôtels – ghetto de la Petite Côte) mais le Sénégal des bas-fonds vus par l'oeil des enfants, où l'on se partage un pain – thon en guise de repas, où l'on n'a pas de jouets, parce que là, c'est « la tradition de donner son truc préféré ». Voyage au pays des figures fortes et goûteuses de gamins, de prostituées qui rigolent : « boutique mon cul » … Humour épicé et joyeux à tous les coins de pages ; on croit croiser Zazie et parfois, le petit Gibus.
Mais, tout soudain, le ton change : le Sahel avance aux frontières du Mali ; chez les Peuls, la faim s'installe ; les petits – tous, sauf elle – succombent à quelque épidémie : palu, rougeole, on ne sait ; « une femme, une belle femme noire, droite, digne, porte son enfant mort sur la tête, comme on porterait un gros poisson… ». Quand je vous dis que ce n'est pas le guide Fram ! Goût particulier et costaud du Thié-bou-dienne, riz fondant, poisson épicé ; saveur un peu écoeurante du poulet à la pâte d'arachide ; mélange sucré-salé, voilà aussi ce qui plaît dans ce livre…
Livre de l'enfance de Noah (Marine ?). Avec une icône, une image de divinité animiste qu'elle appelle Dieu : son père « Savignot oh, oh, oh ! A fakena om… même en costume cravate, mon père a l'air d'un guerrier à plumes ». S'en occupe bizarrement, de la petite, le père, ethnologue amoureux de son Afrique, la laisse pousser comme le manguier du coin de la ruelle… la mère – fausse écrivaine – image attachante, voit ça, de loin – très – de Paris. le ménage, libertaire en diable s'est construit sur les barricades de Mai 68, et élève sa gamine en regard ; on retrouve là, ces témoignages, poignants de ces progénitures de militants, bâtis de bric et de broc, cassés, souvent.
Livre enfin de la grande Noah, artiste en devenir, coincée (pas encore née) dans sa vie d'adulte, entre un mari – substitut de père, une fille – projection impossible à naître d'elle-même. Femme qui comprend que la clef de son mystère est là-bas, dans cette Afrique-là, et c'est carrément plus compliqué que pour chacun d'entre nous…
L'écriture de
Marine Bramly est comme ces sculptures dont finit par accoucher Noah : coupante comme le métal, sifflante comme les éclats du fer à souder, mais aussi onctueuse et enveloppante comme la terre du potier ou la latérite des pistes africaines…
Oui, c'est le genre de livre dont on se souvient – il n'y en a pas tant – et qu'on relira, c'est sûr, quand il nous arrivera à nous aussi de chercher notre « boîte noire ». du reste, voilà pour moi, le titre du livre …
Martine L. Petauton