Accepter ne se conjugue pas à l'impératif. Accepter, c'est oser être. Etre nu, nouveau, naissant. Plus qu'une simple disponibilité, nous laissons germer une liberté d'être. Le calligraphe le sait : il ne peut ni créer, ni changer le cours des choses sans les avoir préalablement acceptées telles qu'elles sont.
Accepter tous les rythmes, tous les chants, les musiques et les silences. Les jours et les nuits, les soleils et les ombres, les reflets, les reliefs et les mirages. Accepter les formes et les contours, les masses abruptes ou élancées, les lourdeurs et les légèretés, les couleurs et les innombrables gris.
Il s'agit d'un véritable travail de transformation intérieure. Le seul qui ait pour conséquence de modifier légèrement notre regard. Un regard qui, pour "voir vrai", apprend quotidiennement à ne pas dire "non". Ne pas dire non à l'inattendu, à l'imprévisible, au changement permanent. Ne pas dire non à l'imperfection, à l'étrange, ni à la différence ; aux questions, aux nécessités impérieuses d'agir, ni à la mort elle-même ; au temps perdu, à l'instant qui passe, ni à la gestation du lendemain.
Un tel degré d'acceptation peut faire si mal, au début, qu'il nous fragilise. Il peut donner l'impression que l'on y perd un peu de son identité, de son originalité. Le calligraphe sait par expérience que seule une âme qui accepte voit vraiment.
L'art calligraphique n'explique pas, ne commente pas, ne désigne pas. Il offre une stupéfaction. C'est un sentiment que tous ceux qui se sont arrêtés quelques instants devant une calligraphie ont toujours plus ou moins éprouvé.
Autre mystère particulier à cet art : il n'évoque l'existence des choses que par l'ombre des choses.
"Il est possible de transcrire incorrectement un objet mais de toutefois réussir à le saisir dans sa vérité. Cela est une faute mineure. Mais il est possible aussi de représenter parfaitement une forme sans réussir à manifester la vie invisible qui la traverse. Cela est une incompétence majeure."
Gu Kaizhi, Propos sur la peinture, Chine (env. 343-406)