Partir
Bernard PIVOT consacre cette émission au seul verbe "Partir"...
Pour voyager autour de ce thème, il présente le livre de
photographies "Vivre Florence et la Toscane" de Fulvio ROITIER et reçoit sur le plateau
Roger FRISON ROCHE, grand reporter, romancier et conférencier, pour son livre "
Le versant du soleil", Paul Emile VICTOR, ethnologue et auteur de "la mansarde",
Gisèle de MONFREID avec...
Si la rencontre s'était bien passée avec les abeilles, notre retour dans le village provoqua une nouvelle panique. Hommes, femmes, enfants, bétail, tout ce qui vivait s'enfuyait devant la "peste" qui revenait. Ce n'était toujours ni mon père, habillé en arabe, ni ma mère, soigneusement voilée, qui affolaient ainsi la population, mais bien moi, l'épouvantail, avec ma "tête de paille"...
C'est à dix-huit ans, que j'ai été poussée à évoquer certaines anecdotes sur mon enfance en mer Rouge, dans le salon parisien de la duchesse de Brissac.
Cette occasion me fut donnée grâce à un incident technique survenu à la voiture de mon père.
A cette époque, en 1932, mon père avait une préférence pour la Ford. Il y eut celle d’Éthiopie, il y avait celle de Paris.
- Gisèle, change-toi vite pour m'accompagner ! j'aurai peut-être besoin de toi...
Me voilà donc embarquée - sans invitation - et par chance, sans incident de parcours, entre Neuilly et l'avenue du Bois.
La duchesse nous accueillit avec un sourire amusé. Je fus placée en bout de table et de là, pus entendre les grands ténors de la littérature se succéder...
(extrait de l'avant-propos inséré en début du volume paru aux éditions "France-Empire" en 1985)
Qui n'a pas rêvé, en lisant l'un des ouvrages d'Henri de Monfreid, de partager ses aventures et d'embarquer avec lui au cours de ses longs périples entre la Côte française des Somalis, l'Inde, l'Arabie et l'Egypte ? Ce rêve, une enfant aux cheveux blonds, que ses petits compagnons de jeu danakils avaient surnommée "Tête de paille", l'a intensément vécu : sa fille aînée, Gisèle ! "Mes secrets de la mer Rouge" est le récit émerveillé de ses années d'enfance passées avec sa mère à Obock, un petit port de pêche au nord de Djibouti, dans une grande maison blanche, loin de toute civilisation et sous un climat torride, à attendre les retours de voyage du chef de la famille. De fabuleux retours ! Du boutre paternel, l'équipage débarquait des ballots de marchandises diverses dont certains, descendus de nuit, étaient aussitôt enterrés discrètement dans le sol d'une remise. Et aussi de multiples petits cadeaux pour Gisèle et sa maman. Pas toujours d'accord avec sa femme sur la méthode d'éducation à employer pour leur fille, Henri de Monfreid décida un jour d'embarquer Gisèle comme mousse à son bord pour lui enseigner la discipline d'obéissance. Ainsi connut-elle les dangers de la navigation, l'épreuve de la tempête, la terreur de la contrebande, le charme des escales, le pittoresque des quartiers réservés, le tout ponctué de leçons où elle devait apprendre La Fontaine ! "Mes secrets de la mer Rouge" nous révèle à la fois un Henri de Monfreid inconnu et une Gisèle de Monfreid au talent de conteuse digne de celui de son illustre père. Ce livre obtenu le "Prix des Maisons de la Presse 1982"
Tout à l'heure, quand tu seras endormie, Sissèle, et quand, dans le ciel tous les astres brilleront ensemble, une petite princesse chevauchant une étoile filante descendra sur ce tapis enchanté. Elle cueillera des fleurs pour ses amies étoiles pendant toute la nuit et demain matin, une heure après le lever du soleil il ne restera plus rien...
Très tôt j'ai appris à trembler devant mon père. Influencé par le milieu musulman pour qui le mâle est roi. Il était déçu et agacé d'avoir une fille, et chercha la compensation de ses regrets en m'élevant comme un garçon.
Il me semblait qu'une éternité s'était écoulée depuis son départ; dix-huit jours, diront les grandes personnes pour qui le temps se chiffre comme l'argent chez le marchand...
Vers la fin de la journée, ce fut l'apothéose : des milliers de corolles blanches, pas plus grosses que des grains de riz se dressaient sur leurs tiges miniatures, telle une forêt de rêve dans un monde de fourmis...
Et pendant qu'elle s'éloigne pour ne plus entendre les cris de sa fille, les lobes de mes oreilles sont perforés à l'aide de l'épine d'acier, celle qui avait été soigneusement désinfectée et que l'opératrice, tout aussi soigneusement, venait de frotter contre son fichu crasseux comme pour mieux l'affûter...