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3.05/5 (sur 19 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Lyon , 1983
Biographie :

Journaliste, Mathilde Janin a été responsable éditoriale du magazine Modzik avant de devenir chroniqueuse littéraire pour la radio.

Riviera est son premier roman.

Elle vit à Montreuil.

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Citations et extraits (35) Voir plus Ajouter une citation
Maintenant que le concert est achevé, il l’aperçoit, stupéfait d’abord par l’étrange hasard qui l’a conduite ici. Alors qu’il se tient devant la salle, son violoncelle en appui contre son flanc, qu’il discute avec les cinq autres instrumentistes, il se détourne un instant pour protéger du vent la flamme de son briquet – et elle lui apparaît, Nicola Demaret. Nico, Nicky. Son ancienne camarade se tient à quelques mètres, adossée à une colonne du bâtiment au minimalisme convenu ; elle consulte son portable. Il la reconnaît immédiatement, à l’arête suprêmement fine du nez, au tracé arrogant de la lèvre supérieure. Il pense : Finalement, Aulnoye m’a rattrapé. Il commence à esquisser un geste pour attirer son attention, le retient : il n’est plus certain.
Le visage a perdu ses rondeurs enfantines et affiche, au niveau des maxillaires, de vilaines cicatrices d’acné. Le menton, dont il a gardé l’image d’une pointe spirituelle, s’est affaissé. Et puis il y a ce blond – un blond artificiel qui ne flatte pas le teint, qui donne au visage un air provincial. Même si c’est le profil d’une belle femme que Jérôme contemple, ce n’est pas forcément celui de Nico. Aucun détail ne le séduit autant qu’a su le faire naguère l’adolescente.
L’ensemble lui plaît pourtant. Le corps, la fluidité des gestes, l’air d’ennui profond.
La jeune femme au portable, dont les cheveux fraîchement dénoués conservent le pli des épingles, arbore un élégant manteau en laine camel. Elle délaisse son téléphone, relève la tête, jette dans la direction de Jérôme un regard d’abord flou, puis elle le reconnaît à son tour et d’un coup, c’est de nouveau elle – cette ampleur, cet abandon dans le sourire.
Alors qu’il se détache du reste de l’orchestre, elle avance vers lui d’un pas assuré en brandissant le programme où apparaît son nom. Elle le prend dans ses bras et colle sa joue glacée contre la sienne.
C’est bien toi. C’est vraiment dingue. Ça fait quoi ? Douze ans, treize ans ?
Elle éloigne son visage du sien et l’examine, de cet air téméraire qui suffit à raviver chez Jérôme une ancienne tendresse. Il répond : Dans ces eaux-là, oui.
Comme il ne trouve rien à ajouter, elle lui demande en riant : Tu te souviens de moi, au moins ?
Oui. Bien sûr, oui. Nicola.
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Face au type de l'accueil, elle avait adopté une attitude humble et hésitante, s'était excusée d'importuner, avait tenté d'attirer la sympathie, cherchant un prétexte pour justifier l'urgence de son voyage - un malade au chevet duquel elle devait se rendre ; son père, tiens ; un père allemand qu'elle composait pour l'occasion, bientôt mort d'une terrible maladie, un mal intransmissible : un cancer du pancréas, ou encore un lymphome...
Jaillissant comme ça, le mensonge, qui habitait sa bouche et qui peu à peu s'affinait, emplissait l'air de son écrasante absurdité puisque les mourants ne font pas décoller les avions, ça se saurait. Elle aurait tout aussi bien pu raconter l'histoire telle qu'elle était - Frédérique en route pour Berlin, le cadavre de Philippe qu'il fallait rapatrier. Son invention l'amusait. Son père imaginaire la détournait de Philippe et la rendait presque joyeuse. Pleurer devenait une distraction ; supplier, un plaisir. Il en était ainsi - et ce, depuis l'enfance - de Nadia Batashvili : le mensonge l'étoffait, l'artifice lui seyait à merveille.
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D’un tarmac à l’autre, nulle variation ; avec l’asphalte tout est stable. À mesure des voyages, les gestes se confondent. La seule possibilité d’aventure réside là, dans cette latence rythmée de rituels – l’enregistrement des bagages, la récupération des bagages, la lecture des consignes de sécurité, le ballet du personnel aérien. Par le hublot, c’est toujours la même vue, dans la carlingue les mêmes sensations. Les mains moites contre le plastique des accoudoirs, leurs traces qui mettent un peu de temps à sécher. L’estomac trop bas, l’air qui ne satisfait pas totalement les bronchioles. Les tempes qui crépitent alors que la tête ne pèse plus rien. Une adrénaline circonscrite, un ersatz de crainte. Il n’a rien d’une extraction, ce morne départ. Le voilà noyé dans une série de gestes apathiques, même si l’on dénombre au grand complet les symptômes de la peur. Le plus impressionnant, c’est le silence derrière le vrombissement des moteurs : inquiet, hostile.
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La première fois que Nicola avait vu Aulnoye, elle avait été déçue. Quand on lui avait annoncé que Tristan et elle iraient désormais dans une école anglaise, où tout ce qu’ils apprendraient serait en anglais, où ils étudieraient ensemble le violon, qui plus est dans un château, elle s’était imaginé un bâtiment médiéval avec fortifications, tours et tout le tremblement. La construction néoclassique, sur deux étages, lui avait semblé dépourvue de magie et d’envergure.
Elle avait quatre ans, c’était le printemps. Un homme imposant, aux cheveux gominés, les avait accueillis ; de son col ouvert s’échappait une chaîne en argent. Il s’était présenté : Frank Scheffer, l’intendant d’Aulnoye. En cas de souci, c’était lui, l’intendant, qu’il fallait venir trouver : il était au courant de tout ce qui se passait dans l’enceinte de l’école. Il surveillait les études et les récréations, construisait les emplois du temps, coordonnait les activités extrascolaires ; il avait même exercé, dans une vie passée, le métier d’infirmier. Bref, il était prêt à prendre soin des enfants, à condition évidemment que ceux-ci soient admis – mais oh ! il n’en doutait pas.
Comment pouvait-il en être certain ? Eh bien, leur avait avoué Frank avec un air de conspirateur, il avait un secret. Ce secret, c’est qu’il était un grand, très grand ami du directeur de l’établissement et de la directrice de l’école primaire – les enfants les rencontreraient plus tard, M. et Mme Drouot étaient un très gentil couple. Ils avaient été tellement impressionnés par le dossier de candidature des enfants qu’ils avaient même montré à Frank la vidéo de Tristan en train de jouer… L’Humoresque, c’était bien ça ? Dvořák ? Bien sûr que c’était vrai ! Ils l’avaient même diffusée chez eux, à l’issue d’un dîner où assistait également Paul Lalande, le responsable pédagogique de l’école, et leur fils Éric, qui ferait lui aussi en septembre sa première rentrée à Aulnoye – sa première rentrée en tant qu’instituteur. Les enfants comprendraient vite qu’à Aulnoye, on était une grande famille. Une famille étanche, compacte, resserrée… comme une forêt. Leur disant cela, Frank leur avait adressé un clin d’œil puis leur avait proposé de le suivre. Il leur avait fait visiter les lieux avant de les conduire au bureau du directeur, Daniel Drouot, avec lequel ils s’étaient entretenus séparément. Quelques semaines plus tard, en raccrochant le téléphone, un large sourire lui barrant le visage, leur mère leur avait annoncé : C’est bon, vous êtes pris.
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Philippe laissait Nadia cloisonner leurs vies. Elle s’appropriait les mondanités et gardait jalousement ses rares amitiés. Elle clamait être de ces célibataires endurcis pour qui l’amour est une nécessité qu’ils cultivent et la relation un fardeau qui ne pèse jamais longtemps. Elle érotisait chacun de ses rapports, sans discrimination de sexe, plaçant Philippe dans une position qui tenait aussi bien du rival que de l’inféodé. Elle n’hésitait pas à railler subtilement, c’est-à-dire sans agressivité, avec un amusement qui trahissait sa tendresse, l’apparence ou les capacités intellectuelles de son compagnon. Ainsi pouvait-elle se figurer avec un pied en dehors du couple et un recul effroyable – bien que ces deux traits, indépendance et capacité d’abstraction, lui manquassent cruellement.
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Elle en veut au violon qui, non content de n’avoir jamais tenu sa promesse de devenir entre Tristan et elle une langue commune, a fini par éloigner ce dernier. L’instrument, qu’elle pratique depuis son entrée à Aulnoye, lui prend un temps infini et ne l’émeut pas. D’aussi loin qu’elle se souvienne, le violon a restreint son existence à une routine faite de gammes, d’exercices d’assouplissement, de déchiffrage, de répétitions acharnées de telle ou telle mesure. Elle a le sentiment que sa vie progresse avec la même lenteur que son jeu. L’enfance est une ciguë : elle empoisonne son corps, paralyse ses muscles. Dans le sang de Nicola remontent de petites bulles – inexpérience, larmes, ennui – serrées comme un banc de poisson. Nicola a beau se débattre pour le dissiper, toujours le banc se reforme. Et nage, nage en elle jusqu’à l’épuiser.
 
 
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L’attirance qu’il ressent le met mal à l’aise. Peut-être parce qu’il l’a connue quand elle n’était qu’une enfant. Peut-être plus encore parce qu’elle n’a pas vraiment quitté cet âge, malgré son costume de femme, ses cheveux blonds, son manteau élégant, ses longs gants de satin noir qui lui remontaient jusqu’aux coudes et dont, en arrivant dans le bar, elle ne s’est défaite qu’à contrecœur. Une petite fille dans un déguisement seyant. Répugnant à l’enlever. Malgré tout, ça l’enivre un peu que, sous le satin noir, il reste une telle enfance. C’est lui, aussi, qui demeure à travers elle ; c’est son enfance à lui. Au moment de se livrer à son tour, il commence par la fin. Le sextuor, qu’il a fondé il y a dix-huit mois.
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Elle regrette d’être venue, elle voudrait se lever, partir, mettre fin à cette scène pénible. Cherchant une échappatoire, elle croise son reflet dans l’un des miroirs et manque d’éclater de rire. Ce visage… Qui n’est pas le sien mais celui d’une femme très belle… Elle sait ce que cette femme veut : séduire le violoncelliste, rentrer avec lui à hôtel. L’inconnue lui renvoie un regard sans appel ; aussi, docilement, Nicola bat en retraite. Elle accepte de laisser la conversation à la charge de cette fausse blonde en robe noire, qui s’en acquitte avec grâce. Pas trop exaltée.
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Elle n’a pas cette perfection ramassée d’une Shannen Doherty, d’une Nicole Eggert, d’une Christina Applegate. Tout, chez elle, est étiré, dispersé. Les dents, trop grandes, ne sont ni étincelantes ni alignées. Des taches de son donnent au teint une apparence brouillée. Elle dégage quelque chose d’à la fois vampirique et équin. Yaël est cependant frappée par sa bouche immense, par ce nez à l’arête si fine, par cette longueur du visage et des membres déliés. Par cette chevelure aussi noire qu’une traînée de suie. Par cette féminité vertigineuse, escarpée.
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L’adolescent taciturne et malingre, refusant malgré la terreur de courber l’échine. Le jeune instituteur austère, dont les gifles voleraient vers leur cible dans un bruissement sec. L’homme triomphal, légèrement bedonnant, dont l’aisance crâne rappellerait celle du père. Le vieux monsieur distingué, asséché par une vie de rage, contemplant avec satisfaction son héritage. Éric avait entrevu tout ce qu’il serait, tout ce que le château ferait de lui, et il l’acceptait. Il ouvrit la bouche pour imiter la façade, pour s’en faire le miroir.
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