Ce n'est pas un vêtement, c'est une prison.
(...)
Je sors de là humiliée, furieuse. Mon visage m'appartient. Et le Coran dit qu'une femme peut être voilée, mais doit rester reconnaissable. Les taliban voudraient me voler ce visage, celui de toutes les femmes. C'est hors de question !
Je me demande souvent ce qu'ils cherchent en privant toute une population de fêtes et de jeux, de souvenirs de famille, et la réponse tombe, toujours affreusement simple : nous priver de vie. Nous exterminer, lentement mais sûrement, à leur profit.
Les taliban sont tous barbus. On dit que leurs barbes doivent en permanence être aussi longues que la main. Ils ne portent jamais le pakol, le béret traditionnel afghan devenu l'emblème de la résistance. D'ailleurs, nous le savons, ils ne sont pas tous afghans, ni même pachtouns. Le Pakistan les soutient, et ils recrutent à l'étranger. Les images diffusées à la télévision et les témoignages issus des provinces qu'ils occupent l'attestent : il y a dans leurs rangs de nombreux Pakistanais, mais aussi des Arabes venus de pays musulmans dont la plupart ne parlent même pas notre langue.
Si je pouvais adresser une prière à Ali devant son tombeau de marbre à la mosquée bleue, je l'implorerais de faire encore un miracle pour le peuple afghan abandonné de nous.
Que ces taliban, qui osent inventer des règles inhumaines et contraires au Livre saint, ces ignorants du Coran, apprennent à le respecter, comme nous le faisons, nous les Afghans, humblement depuis toujours.
On se demande toujours qui est qui, à Kaboul. La seule règle de sécurité est de ne partager de suppositions ou d'opinions qu'en famille. Par principe, nous demeurons neutres autant que faire se peut. Une chose, une seule chose rassemble les Afghans malgré la complexité des clivages ethniques : le refus de l'envahisseur étranger, qu'il soit anglais, pakistanais, arabe. Ou, bien sûr, soviétique.
La vie prend toujours fin,
Nul besoin d'être soumise,
Si la soumission est condition de ma vie
Dans l'esclavage
Il peut pleuvoir des graines d'or
Au ciel je dis alors
Nul besoin de cette pluie
Les journées sont des tunnels d'inactivité interminables. Je passe le plus clair de mon temps, allongée pieds nus, dans ma chambre, à regarder le plafond ou à lire. Plus de jogging le matin, plus de vélo, je me ramollis doucement. Plus de cours d'anglais, ni de journaux, je m'abrutis de films à l'eau de rose. Ma tête est vide de projets. Parfois, je fais le tour de l'appartement comme une prisonnière fait le tour de sa cellule.
Les Afghans sont dégoûtés de l'image que les taliban donnent de la religion avec leurs lois ridicules. Nous avons toujours été musulmans et personne ne se reconnaît dans leur islam.
-Les femmes et les jeunes filles porteront le tchadri.
-Interdiction aux femmes et aux jeunes filles de porter des sous-vêtements de couleur sous le tchadri.
-Interdiction de porter du vernis à ongles sur les orteils ou du rouge à lèvres et de maquiller son visage.
La vie prend toujours fin, nul besoin d'être soumise, si la soumission est condition de ma vie, je n'ai nul besoin de cette vie. Dans l'esclavage il peut pleuvoir des graines d'or, au ciel je dis alors: nul besoin de cette pluie