La Dolce Vita, à Madrid: différente de celle de Rome, plus passionnée, plus dangereuse.
Pour moi, j'affichais mes aventures, et j'en eus beaucoup, avec des hommes et des femmes dont je n'ai jamais connu les noms, des gens sauvages, qui s'évanouissaient à la lumière du jour comme les fantômes et les vampires. En Espagne, plus qu'ailleurs, le nanisme a un caractère quasi sacré et j'ai vu des amours bien plus monstrueuses dans les quartiers interlopes de cette ville que n'importe où dans le monde.
Je ne pouvais pas ne pas aller au Prado. Je ne pouvais surtout pas ne pas me pétrifier devant les Goya où je me retrouvais, renvoyé à l'infini comme par d'innombrables miroirs.
(A propos de Jean Marais et d'Alain Laubreaux, connu pour ses critiques de théâtre dans Je suis partout, condamné à mort par contumace en 1947 pour faits de collaboration.)
Laubreaux était ce journaliste qui avait écrit des choses horribles sur lui, après la générale de La Machine à écrire, tout simplement parce que cette pièce avait scandalisé les Allemands, lesquels la trouvaient injurieuse ...pour les Français! Oui, ces messieurs tenaient beaucoup à notre réputation.
Mais Jean Marais, outré, avait juré de cracher à la figure du plumitif s'il le rencontrait. La chose arriva. Jean avait serré la main d'un homme dont il n'avait pas écouté le nom, lorsque Hebertot lui signala:
- C'est Laubreaux.
Alors, revenant sur ses pas, Marais avait demandé:
- Est-ce vrai?
L'autre savait par la rumeur publique le serment fait par Marais et voyait au regard de celui-ci qu'il n'hésiterait pas à mettre sa menace à exécution. Il essaya de se dérober, et, dès que l'homme eut reconnu, "Oui, c'est moi.", en public, il lui cacha à la figure!
Tous les témoins de ce drame étaient au comble d'une joie intérieure indescriptible.
(Fréhel)
Un matin. Je suis plus ou moins bien éveillé, j'avance dans la rue de Clichy, vers la place du même nom, et je m'élance pour traverser, comme d'habitude sans regarder. Ni à droite, ni à gauche. Je suis tellement visible, n'est-ce pas, qui pourrait m'ignorer?
Une main brutale m'empoigne, me fait reculer juste ce qu'il faut pour que l'autobus qui dévale passe à deux centimètres de la pointe de mes souliers.
Je me retrouvai assis sur le trottoir, groggy, aux pieds d'une femme en robe de chambre jaune et noire qui m'interpellait dans le langage le plus vert que j'ai jamais ouï, ayant évité les casernes.
"Espèce de petit con!", clamé avec une sorte de tendresse bourrue me fit enfin connaitre mon interlocutrice.
Les deux mains sur le coeur, surtout pour en calmer les battements, je soupirai:
- Tu m'as sauvé la vie. Viens, on va boire un coup.
Fréhel éclata de rire, moi aussi, et même les passants qui s'étaient attroupés autour de nous. Cette fois elle me tendit une main où ne brillaient plus, hélas! tous les joyaux que les princes russes lui avaient offerts dans sa jeunesse, et l'aventure se termina sur le zinc le plus proche.
L'ambiance du film était formidable et d'autant plus pour moi qui affrontais pour la première fois de ma vie des gens célèbres. Finalement, ils étaient beaucoup plus gentils, plus humains que les médiocres, les petits-bourgeois. Cela, je l'avais déjà découvert lors de mon premier tournage , mais avec Jean Cocteau, Marais, Delannoy, Yvonne de Bray, tous les autres de L'Eternel Retour, c'était plus extraordinaire encore, plus évident.