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Critiques de Renaud (II) (103)
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Jessica Blandy, tome 1 : Souviens-toi d'Eno..

Elle n'a pas de chance, la jolie Jessica au physique parfait (sous-entendu : elle a ce qu'il faut, là ou l'œil entraîné de l'homme se balade) parce que au moment où la sulfureuse (et "clicheuse") blonde aux yeux bleus se dit qu'elle a peut-être droit à l'amour...son amant se fait proprement dégommer la cervelle. Lui, sa femme et leurs deux enfants...

Alors Jessica s'adresse à une vieille connaissance, ancien flic devenu détective privé (tabagisme, picole, picots gris de plusieurs jours...etc.) pour l'aider à élucider le fameux "qui et pourquoi".

...mais...la richissime sœur de (désormais ex-) l'amant de Jessica, refusant de voir la presse répandre les détails croustillants concernant sa famille, envoie ses sbires à droite et à gauche....

...et...l'assassin continue à faire trépasser d'autres hommes en leur criant : "Souviens-toi d'Enola Gay..."



Dans ce scénario polar plutôt classique, l'auteur permet au lecteur de voir un peu plus loin que le joli petit nez de Jessica et le-dit lecteur (perspicace !) observe de loin la fumée que dégage le feu...or, il doit quand même attendre le tome deux pour pouvoir se rassurer en disant : "Ben oui, je le savais !"

Classique ou pas, on se laisse prendre au jeu, d'autant que la belle blonde promène avec nonchalance sa plastique d'une case à l'autre. Les dessins, aussi académiques que le scénario, sont du genre réaliste dans la palette du nuancier pantone...n'oublions pas que cette BD date de 1987. Mais comme Jessica, elle garde finalement toute sa superbe !
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Jessica Blandy, tome 8 : Sans regret, sans ..

Quelques années (et quelques tomes que je ne possède pas) plus tard...

Physiquement insensible au temps qui passe (moralement c'est un peu différent), notre belle Blondy aux yeux de cyan (nécessitant néanmoins maintenant des lunettes de lecture)...à besoin d'argent. Jessica accepte donc la proposition d'écrire la biographie d'un beau et vieux mafioso qui désire passer les rênes de sa commerce de fructueux méfaits à son fils adoptif : Emmanuel. Or, dans la grandiose famille unie par le crime organisé, l'élection d'un nouveau seigneur se fait par vote. Sur l'instigation de la nièce du parrain encore-sur-le-trône ; la magnifique manipulatrice Claudia, passionnément amoureuse du le-dit "fils", Emmanuel et ses sbires vont canarder à tout va les opposants à son intronisation.

Le "petit" hic, c'est ce dommage collatéral...quelques balles en trop, plombées dans le corps d'un copain d'une copine de Jessica...



Ben oui...les histoires de mafia se font toujours dans le surplus...trop de sang, trop de relations, trop d'intérêts, trop de femmes...mais pas assez de cervelle et insuffisamment de finesse dans le scénario ; le lecteur sent venir le vent de loin ! Il regrette également l'absence d'implication de Jessica, confinée dans le rôle d'observatrice (ou presque !)...et se rabat, faute de mieux, sur le toujours impeccable et sexy garde-robe de la Blondy.

...n'empêche que Jessica, c'est presque une copine désormais...et les copines, on y tient !
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Jessica Blandy, tome 2 : La maison du Dr Zack

À la fin du premier album, quelques voyous sadiques avaient entrepris de rosser la jolie Jessica "Blondie"...et plus si affinités...mais les flics étaient intervenus à temps (si, si, ça peut arriver...dans les livres).

Au début de ce deuxième tome, les torgnoles pleuvent sur Gus, le privé (copain de Jessica) qui, voulant approfondir les choses pendant une partie de poker, avec les membres d'une famille peu recommandable, a vite compris que les cartes ne lui étaient pas favorables.

Après des onomatopées diverses et un détour au commissariat où on fait plus ample connaissance avec Robby (inspecteur gros-lard-qui-sue...et pue), on retrouve la belle blonde (toujours aux yeux bleus)...roulant dans sa décapotable rouge sur une route californienne (presque) paradisiaque. (36 heures se sont écoulés depuis son passage à tabac, mais Jessica récupère très vite et pas une seule éraflure ne la défigure). Têtu comme un bardot, elle s'ingénie à enquêter sur la mort de son amant et cela va l'amener à se mettre dans des positions (et postures) bien ambiguës...heureusement que Gus et Robby-le-vicieux ne sont pas des incapables...



L'intrigue étant plutôt mince, je ne peux en dévoiler plus. Jessica aussi d'ailleurs ne se découvre que peu dans ce volume (sauf quand elle prend lascivement sa douche), mais sa copine, Kim, prend le relève quand Robby a besoin de renseignements.

Les couleurs dans cette bande dessinée sont moins acidulées que dans le tome précédent (à l'exception de la carnation de Kim ; elle doit se doper à la carotène, la pauvre) ; les dessins persistent dans le réalisme (réalisme relatif : le sang, ça ne tâche pas les fringues ! Étonnant, non ?)

Reste le plaisir d'un moment de délassement avec l'album d'une série qui a connu son heure de gloire à la fin des années 1980...et donc...à bientôt, Jessica !
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Venus H., tome 1 : Anja

Il arrive parfois aux hommes de prendre leurs responsabilités.

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Ce tome est le premier d’une série comptant trois tomes, chacun consacré à une femme différente, ayant pour point commun d’avoir travaillé pour la société Vénus H. L’ensemble de la série a été écrit par Jean Dufaux, dessiné et mis en couleurs par Renaud Denauw. Le premier tome est sorti en 2005 et compte cinquante-six planches de bande dessinée. Ce duo de créateurs avait déjà réalisé ensemble les séries Jessica Blandy (24 tomes), Les enfants de la salamandre (3 tomes), Santiag (5 tomes). Le récit s’ouvre avec une préface de deux pages, un dialogue entre deux hommes, évoquant Corinthe, Madame H., son compagnon, la villa et les filles, sa fermeture, le destin d’Anja, une exception.



Anja est assise sur une chaise du jardin du Luxembourg, et ses pensées la présentent comme si, morte, elle considérait ce moment en jetant un regard en arrière. Elle s’appelle Anja. Elle est morte par un beau matin du mois de mai. C’était un jeudi. On a retrouvé son corps calciné dans la carcasse d’une voiture qui ne lui appartenait pas. Plus rien ne lui appartenait en fait. Pas même sa propre mort. Il paraît que c’était un accident. Certains y ont cru. D’autres… Son père est reparti en Norvège, le cœur brisé. Comment aurait-il pu se douter… Il faut qu’elle raconte. Elle se trouvait dans les jardins du Luxembourg. Elle attendait un client. Assise sur la chaise en métal, enveloppée dans sa gabardine, elle s’allume une cigarette. Un ballon finit sa course à ses pieds. Un jeune garçon arrive et demande à le récupérer. Elle lui demande ce qu’il lui donne en échange. Il s’exécute et lui donne une barre de chocolat. Elle lui rend son ballon. Elle aime bien les enfants. Mais pour les garçons, c’est comme pour les hommes. Elle ne donne jamais rien pour rien. C’est Mademoiselle qui lui a appris ça.



Son client arrive, lui aussi enveloppé dans un long manteau, avec une canne à la main, et un chapeau. Il se découvre en arrivant près d’Anja et la salue. Le docteur Seran s’assoit sur une chaise à côté d’elle et explique la mission : il s’agit de séduire un homme. Pas n’importe quel homme. Il lui tend une photographie et elle reconnaît que c’est du gros gibier, même pour elle. Il faut qu’il tombe amoureux d’elle. Il lui demande si elle a appris son rôle. Son père tient une galerie d’art à Oslo : elle connait donc un peu le milieu. Elle suppose que c’est pour ça qu’il l’a choisie. Il répond : pour ça et pour d’autres talents qu’elle semble parfaitement maîtriser. Elle le rassure : maîtriser est le mot ; quand le cœur se tait, le reste suit. Le lendemain, elle se rend à la galerie d’art qu’il lui a indiquée. Le docteur se trouve-là en compagnie du propriétaire Azzad Massi, et de l’acheteur potentiel Jacques Audry. Seran explique à ce dernier qu’un collectionneur privé a chargé mademoiselle Anja de vendre une de ses toiles : un Lucian Freud, un autoportrait du début des années quatre-vingt. Audry est impressionné : la coïncidence est troublante car il se fait qu’il a une passion pour Lucian Freud, une passion mais pas d’argent. Cependant il a des amis à la fondation Maeght qui pourraient être intéressés.



Après des années de collaboration, Renaud & Dufaux avaient mis fin à la série Jessica Blandy, publiée de 1987 à 2006. Juste avant ce dernier tome, il décide de lancer une autre série ensemble. En fonction de ses inclinations, le lecteur avait pu trouver que ladite série gagnait en qualité esthétique de tome en tome, mais pouvait avoir perdu une partie de sa noirceur désespérée initiale. Il retrouve le duo avec ce très bel écrin : belle dimension de l’objet, couverture et conception graphique soignées, introduction sous forme de dialogue évoquant une agence de charme d’élite qui a couru à sa perte dans des circonstances tragiques. La séquence d’ouverture en impose. Pour commencer, le scénariste indique d’entrée de jeu que la protagoniste est décédée dans un accident de voiture, la thèse de l’accident étant contestée. L’enjeu de l’intrigue s’en trouve ainsi déplacé : il ne s’agit pas de savoir comment tout va finir, mais de comprendre pour quelles raisons la fin en sera tragique. L’artiste est au meilleur de sa forme : associant des formes détourées par un trait d’encage fin et léger, et des zones réalisées en couleur directe. Le lecteur découvre l’élégance d’Anja tranquille et assurée en train d’attendre, et le tapis de feuilles mêlées à la terre, comme moins tangible qu’elle, les enfants jouant an arrière-plan, une femme passant avec deux sacs de course. À l’évidence, Anja n’évolue pas dans le même monde banal et un peu fade que le commun des mortels.



En fonction de sa familiarité avec ces auteurs, le lecteur peut retrouver tout ce qu’il en attend : une jolie jeune femme, des magouilles, des contraintes, voire des menaces physiques et la probabilité de violences brutales. Anja semble être une jeune femme sans passé, élancée, une belle blonde, un peu glacée, avec une coiffure très étudiée, et des tenues vestimentaires recherchées. Les dessins la montrent comme une jeune femme avec une belle assurance, et une forme de tristesse. Pas vraiment une allumeuse, plutôt une très belle femme élégante, une séductrice raffinée. Elle se retrouve nue à deux ou trois reprises dans des poses langoureuses sans être artificielles. Les hommes sont pour la plupart élégants, dans des tenues plus classiques en costume cravate. Les expressions de visage restent dans un registre naturaliste, sans exagération, sans touche romantique à l’eau de rose, sans cynisme surjoué. Il n’y a que la coiffure de Bertin qui s’avère aussi gonflée et sculptée que celle d’Anja pour un effet un peu bizarre.



L’artiste fait preuve d’une implication tout aussi remarquable dans la représentation des décors, en extérieur comme en intérieur. Le lecteur identifie aisément les sites parisiens : les allées du jardin du Luxembourg, des façades haussmanniennes, le boulevard périphérique, une galerie couverte, une vue imprenable sur l’Arc de Triomphe depuis une terrasse d’appartement, une magnifique vue sur les toits de Paris, une belle promenade en péniche, un moment d’attente au pied de la pyramide du Louvre avec l’arc de triomphe de la place du Carrousel en arrière-plan, et, hors de Paris, le très beau parc du château des d’Aubigny. En intérieur, le lecteur prend le temps de traîner dans des endroits somptueux : la galerie avec ses briquettes apparentes sur les murs, l’appartement spacieux et très lumineux d’Anja, la terrasse intérieure d’un restaurant select, une chambre d’un hôtel de luxe, la coursive en plein air du Café Marly donnant sur le Louvre, etc. Même s’il n’est pas sensible à ce travail d’orfèvre du dessinateur, le lecteur en prend pleinement conscience dans les planches 42 & 43 en vis-à-vis quant à l’occasion d’une discussion attablée, Renaud choisit de s’en tenir à des camaïeux bruns en arrière-plan : le contraste avec les autres planches est saisissant.



Comme à son habitude, l’artiste est pleinement investi dans chaque planche, soucieux avant tout d’en donner pour son argent au lecteur, soignant chaque détail, tout en préservant une lisibilité optimale. Cette approche renforce la conscience qu’Anja évolue dans des cercles de la société très aisés. Le scénariste plonge son rôle principal au cœur d’une affaire d’abus de bien sociaux, avec une mécanique solide. Il utilise des artifices narratifs conventionnels, comme le dessinateur : une jolie femme qui se retrouve dénudée, un juge incorruptible, une poule de luxe qui tombe amoureuse, un interrogatoire avec une balance rouée de coups, une mystérieuse organisation de call-girls, chantages feutrés et intimidations menaçantes. Il construit une page (planche 23) composée de quatre bandes chacune comprenant deux cases. Celle de gauche montre Anja au lit avec son amant, celle de droite un individu en train d’être violemment passé à tabac, pour l’effet de contraste choc. Mais Jean Dufaux met à profit ces codes pour une mise en scène de la société avec un regard personnel. Au fil du récit, des références culturelles sont mentionnées : un tableau de Jean Rustin (1928-2013), un autre de Lucian Freud (1922-2011), le roman Nadja (1928) d’André Breton (1896-1966), le chant des partisans chanté par Yves Montand (1921-1991), le voyage à Corinthe au travers d’une citation latine (Non licet omnibus adire Corinthum.). Le lecteur sent que le scénariste a souhaité fournir des points d’ancrage dans le monde de l’art, très spécifiques, pour son intrigue. De même, il apparaît en filigrane une peinture d’un cercle de la société fortuné, à la fois une forme de dégout, à la fois une forme de fascination et d’envie. Un homme influent explique à un autre qu’il s’agit de morale, mais de celle du plus grand nombre, celle sur laquelle s’appuie le plus petit nombre. Ceux qui décident de ce qui est bon ou mauvais pour le plus grand nombre. On paye le plus grand nombre par un salaire. Le plus petit, par des privilèges et ceux-ci ne peuvent se répartir que sur un petit nombre.



A priori, le lecteur peut être refroidi par ce qu’il peut percevoir comme des conventions de BD datant de la fin des années 1980 ou début des années 1990, et un polar un peu convenu dans des milieux aisés. Pour autant, il se retrouve vite subjugué par la qualité de la narration visuelle, très soignée et élégante, descriptive avec un souci d’authenticité, de plausibilité et de lisibilité. Il se laisse également entraîner par ce drame annoncé dès la première page, et sent le venin pernicieux de l’intrigue s’infiltrer en lui : un polar sondant la fascination qu’exerce la haute société sur le commun des mortels, la corruption inéluctable qui accompagne le pouvoir par exemple économique.
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Venus H., tome 2 : Miaki

C’est tout ce que l’on me demande d’ailleurs : d’être une forme, juste une forme.

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Ce tome fait suite à Venus H., tome 1 : Anja (2005). L’ensemble de la série a été écrit par Jean Dufaux, dessiné et mis en couleurs par Renaud Denauw. Ce tome est sorti en 2007 et compte cinquante-quatre planches de bande dessinée. La trilogie se conclut avec Venus H., tome 3 : Wanda (2008).



Une jeune femme asiatique marche dans les rues de Paris, tout en essayant de se décider. Quai Voltaire, elle marche, Sur la passerelle des Arts, elle hésite encore. Square Barye, elle se décide. En contrebas, à quelques marches de la surface de la Seine, se tient un homme. Elle l’interpelle par son prénom : Serge ! Il se retourne. Elle l’abat d’une balle en plein cœur. Son cadavre tombe à l’eau et commence à être emporté par le courant. En son for intérieur elle songe à ce proverbe : prenez patience, attendez sur la berge, vous finirez toujours par apercevoir le cadavre de votre ennemi flotter au fil de l’eau. Intérieurement, elle ajoute : c’est nettement moins zen lorsque l’ennemi est un homme que vous avez aimé. Le corps est déjà loin, emporté lentement par le fleuve. Elle explique comment tout ceci a commencé. À Paris à la fin septembre. La ville garde dans ses flancs, la chaleur de l’été, mais déjà la Lune gagne de l’espace. Sister Moon sort sa palette trompeuse et ses feutres de métal. À présent, les couleurs vont griffer, et les filles qui passent sont peintes sur un fond d’amertume. Au bar du Raphaël, les amours s’impatientent et c’est bien ainsi. Miaki est assise au comptoir, avec Zochi, un homme d’origine asiatique à ses côtés. Elle écrase sa cigarette dans la paume de la main droite de son interlocuteur qui lui sert donc de cendrier. Elle l’asticote en lui faisant remarquer qu’il est facile à contenter, qu’il prend déjà du plaisir.



Monsieur Zochi répond qu’il réserve son plaisir pour le moment où il pourra goûter au Kiriki Tiketi. Elle développe : il goûtera à ce poisson japonais comme récompense des services qu’il a rendu à monsieur Zatoga. Zochi jouera le rôle du clown blanc, fardé, vieilli, avec des larmes peintes, et un tout petit cœur qui bat comme un tambour. Le Kiriki Tiketi, c’est un poisson, mais c’est surtout une dépendance. Après absorption, certaines portes s’ouvriront. Il lui appartiendra. Il se soumettra avec un plaisir, une évidence jamais rencontrés. Son corps ne sera plus qu’un objet. Un objet avec lequel elle pourra jouer, s’amuser, s’irriter, elle ou la personne qui les rejoindra. Un peu plus tard, Wanda rejoint Miaki au bar ; Zochi est en train de se préparer dans sa chambre. Monsieur Free arrive : il leur remet la boîte contenant un poisson frais, un Kiriki Tiketi. Il indique que les prix ont encore augmenté. Miaki lui fait observer que Ja Zek ne détient pas le monopole d’approvisionnement en Kirki Tiketi. Une fois dans la chambre, Miaki se couche sur le grand lit, et Wanda la dénude. Dans un coin, Zochi avec un maquillage de clown observe : il lui est interdit de se dénuder, de se toucher. Interdit d’espérer. Il ne lui est permis seulement de s’écraser, de ramper, de lécher.



Le premier tome s’était avéré impressionnant : visiblement revigoré par le fait de démarrer une nouvelle série, le tandem donnait la sensation d’être plus focalisé que sur les derniers tomes de leur précédente série. Dès la première page de ce deuxième tome, le lecteur retrouve ces dessins fins, précis, subtile équilibre entre les éléments détourés par un trait très fin, peut-être même pas encré, et des éléments réalisés en couleur directe. À l’évidence, le scénariste écrit spécifiquement pour cet artiste : il lui a mitonné une histoire comprenant des éléments qu’il aime représenter, tels que les architectures parisiennes et les jolies femmes élancées. Au cours de ces jours-là, Miaki commence par une balade à pied dans Paris l’amenant sur le quai Voltaire, la passerelle des Arts, le square Barye, que Renaud reproduit avec exactitude. Il dessine les façades des immeubles du quai dans le détail ; il opte pour une vision plus imprégnée de l’atmosphère lumineuse pour la deuxième case. Il agrège ces deux modes pour le troisième lieu. Par la suite, le lecteur peut se projeter dans d’autres sites parisiens : l’Arc de Triomphe vu d’une terrasse, la place de fontaine des Innocents (Paris Centre), le café du Pont-Neuf (Paris Centre), le café Polidor (6e arrondissement), les couloirs et une chambre de l’hôtel Raphaël (16e arrondissement), une chambre de l’hôtel Lancaster (8e arrondissement), les toits de Paris avec Montmartre au loin, ainsi qu’une grande église non nommée. La sensation qui se dégage de ces passages dépasse celle d’un tourisme de masse : ces lieux sont utilisés par les personnages. Ils ne restent pas à l’état de jolis décors, mais deviennent de véritables lieux de vie à un instant précis, pour un usage particulier.



De la même manière, l’artiste ne se contente pas de représenter des visages génériques prêts à l’emploi : il crée de véritables individus qui partagent des points communs dont une certaine touche romanesque. En l’occurrence, ils respectent tous les canons de la beauté : silhouette mince sans surcharge pondérale, visage bien découpé, coiffure étudiée, tenue vestimentaire recherchée. La beauté physique fait partie des éléments visuels que le dessinateur aime représenter, ainsi que les lieux chics ou luxueux. Dans ce deuxième tome, il joue moins avec les chevelures que dans le premier : seuls ressortent Wanda avec sa coiffure assez haute sur la tête, et l’un des tueurs avec une mèche d’une longueur déraisonnable. Il y a trois scènes de sexe dont seulement deux où Miaki est dénudée de manière plus factuelle que sensuelle, dans un érotisme très doux neutralisant toute dimension malsaine : les auteurs font en sorte de ne pas occulter la réalité de son métier d’escort-girl de luxe, mais sans transformer le lecteur en voyeur. Le dessinateur sait rendre mémorable des moments en restant dans un registre réaliste, sans exagération, sans en rajouter dans les détails repoussants : une cigarette écrasée dans une main, un homme en train de lécher une botte en cuir à talon aiguille, une vieille dame en train de prier dans une église, une séance d’intimidation avec monsieur Zatoga dans son fauteuil et Miaki debout devant lui, les remarques désagréables d’un homme tenaillé entre désespoir et agressivité, la concentration de Miaki essayant de se détendre en nageant, son calme apparent en expliquant ce qu’il s’est passé à monsieur Zatochi.



La dernière page du tome précédent annonçait que le suivant s’intitulerait Miaki, et le lecteur en avait déduit que le récit porterait sur une autre employée de la mystérieuse société Vénus H. Au cours de l’intrigue, le lecteur voit Miaki être contactée par Anja, en miroir de la même scène vue par cette dernière dans le tome 1. Dans le même ordre de dispositif, le lecteur fait la connaissance avec Wanda, celle qui donne son titre au dernier tome et il suppose qu’il verra la même scène de son point de vue. Comme pour le tome 1, le scénariste a construit une intrigue dans laquelle un riche individu emploie les services d’une des filles de Vénus H. pour obtenir une possession qui sinon lui échapperait. Comme dans le tome 1, le lecteur éprouve la sensation que l’intrigue sert plus d’environnement qu’elle ne serait l’intérêt principal de la bande dessinée. Pour autant, l’intrigue est solide et bien ficelée et elle assure parfaitement sa fonction de mettre des individus dans une situation conflictuelle et périlleuse. Comme dans le tome 1, l’enjeu est d’observer des individus qui évoluent dans un milieu très aisé, sans pour autant être fortunés eux-mêmes, de voir quel prix ils payent, et comment ils deviennent de simples outils dans les mains des puissants. Que ce soit Miaki, Serge ou Marcus Bryar, ils ont parfaitement conscience de leur condition. C’est d’ailleurs ce qui leur permet de durer dans ce milieu, de savoir quelle est leur place. Du coup, comme dans le tome 1, un autre enjeu est de savoir s’il est possible e s’extraire de ce milieu, et quel est le prix à payer.



La pression sociale et psychologique qui pèse sur ces individus les amène à développer des stratégies comportementales pour vivre avec. Le lecteur observe avec fascination Miaki pendant une séance de natation, faisant un effort mental considérable pour surmonter ce qu’elle doit endurer dans sa profession, pour retrouver un semblant de sérénité en faisant la part des choses, en se rappelant comment revenir au point d’équilibre entre ce qu’elle endure et les bénéfices qu’elle en tire, comment évacuer les humiliations et les souffrances. Il établit une comparaison avec le propre comportement de Serge, un homme de main sans état d’âme, et avec le scénariste Marcus Bryar. Il se rend compte de la mise en abîme quand ce dernier exprime la pression qu’il ressent sous forme de paranoïa : tout le monde est en train de le guetter, à épier chacun de ses gestes, chacun de ses mots, à se jeter sur le moindre mot qu’il écrit. Il estime que les autres n’en auront jamais assez : des mots, encore des mots ! Et ça donne des séquences et puis un film… Et va-s-y qu’il en écrive d’autres, et d’autres encore, toujours plus… Pour l’argent, il n’y a qu’à signer. Des tas de signatures, des tas de séquences. Et lui, il grince, à chaque mot qu’il tape il y a un clou qui s’enfonce dans sa tête, et ça frappe dur… Le lecteur se dit qu’à travers les mots de ce personnage, l’auteur doit exprimer une phase par laquelle il a pu passer, la sensation d’avoir des vampires en train d’aspirer les productions de son esprit. Il retrouve l’intensité de souffrance psychologique des deux premiers tiers de la série Jessica Blandy. Il retrouve également la propension du scénariste à intégrer de brefs passages relevant de la poésie en prose, pas toujours convaincants.



Ce deuxième tome confirme que le passage de la série Jessica Blandy à celle-ci s’est avéré motivant pour les auteurs qui ont retrouvé l’art de mitonner des récits bien noirs, mettant en scène des personnages déformés par leur mode de vie, dans des environnements luxueux bénéficiant d’une représentation soignée et élégante, pour une histoire vénéneuse sans être racoleuse, accablante sans sombrer dans l’ultraviolence voyeuriste ou le gore.
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Jessica Blandy, tome 1 : Souviens-toi d'Eno..

Jessica blandy créé en 1987 par Renaud et dufaux nous plonge dans l,Amérique des années 1980. avec des histoires ou tout y passe la drogue, la prostitution, la mafia, la guerre du Vietnam, la corruption. Jessica n'est ni flic ni journaliste, c'est une écrivaine de romans,

mais malgré elle. elle va être mêle à des affaires policières, pour sauver sa vie.

les dessins sont réalistes, les histoires plutôt flippantes, l, héroïne pas avare de ses charmes, jusqu'au numéro neuf.

après esse les auteurs ou l, éditeur qui l,on rhabillée, mystère. mais on la verra plus nue, dans les autres albums. a noté aussi la bisexualité de l, héroïne, se qui était quand même un précurseur pour les éditions Dupuis. au jusque là tout leurs héros n, avaient pas de vie sexuelle.

a l, arrêt de la série en 2006 au numéro vingt quatre, les auteurs, vont sortir des séries dérivés avec des personnages secondaires.

une bonne série avec de bons rebondissements. des intrigue plaisantes.

c'est plutôt bien.👍
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Venus H., tome 3 : Wanda

Tout ne se négocie pas dans la vie, Mambo.

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Ce tome fait suite à Venus H., tome 2 : Miaki (2007). L’ensemble de la série a été écrit par Jean Dufaux, dessiné et mis en couleurs par Renaud Denauw. Ce tome est sorti en 2008 et compte cinquante-quatre planches de bande dessinée. Il est le dernier de la série. Puis Renaud & Dufaux ont à nouveau collaboré pour les trois tomes de la série La route Jessica, tome 1 : Daddy !, une sorte d’épilogue à leur série Jessica Blandy (24 tomes de 1987 à 2006).



Dans un salon très spacieux, deux femmes sont en train de se déshabiller mutuellement sur un canapé en s’embrassant. Dans cette pièce richement meublée, une douzaine de personnes sont en train de les regarder, des hommes en complet, des femmes en robe de soirée. La moitié tient une coupe de champagne dans la main, il y a plusieurs bouteilles sur la table basse, ainsi que des plateaux de canapés. Wanda observe la scène, Oleg Kozca lui ayant passé un bras autour de l’épaule. Elle organise des spectacles, des rencontres privées, où l’organisation des corps ne laisse rien au hasard. Elle a affaire à des regards blasés, à des imaginaires corrompus par la satiété. Il ne faut cependant pas s’y fier : c’est un monde cruel où chacun guette les failles de son voisin. Rien ne s’oublie, rien ne se pardonne. Et la faille s’élargit. Elle reste donc vigilante. Elle intervient parfois. Elle se donne rarement. Il faut la mériter. Oleg Kozca jouit de ce privilège : la tenir contre son corps, la déshabiller parfois. La posséder si l’envie lui en prend. Il n’a jamais réussi à la faire jouir. Aucun homme ne réussit à la faire jouir. Mais elle crée l’illusion. C’est son métier, l’illusion. Elle y est incomparable. C’est pour cela que mademoiselle H. l’a engagée. Elle est une fille obéissante, en apparence. Cela demande un long travail, l’apparence. Mais elle y est arrivée. Elle donne le change. C’est tout ce qu’elle donne d’ailleurs. Les hommes croient qu’elle s’occupe d’eux. En fait, elle actionne de mécanismes, des mécanismes sans surprises. C’est ce que les hommes sont, ni plus ni moins : des mécanismes. Ils croient rugir, c’est simplement une bielle qui s’affole. Ainsi, elle croyait dominer le monde quand soudain, cette nuit-là…



Wanda monte dans une chambre avec l’homme que lui a désigné Oleg Kozca. Elle répond à son téléphone qui sonne inopinément. Kozca décide de les quitter, laissant Wanda faire son métier. Dehors, il est interpellé par un homme qui lui déclare qu’il est envoyé par Souloud, car ce dernier a des ennuis. Une partie du matériel a disparu. Oleg Kozca est un homme d’affaires. Les hommes d’affaires aiment l’ordre. Même si cet ordre amène le désordre. Et les sacs bleus amènent toujours le désordre. Il monte en voiture pour rejoindre Souloud. Le lendemain, sur un banc parisien, Wanda rencontre madame Garnier. Cette dernière l’a appelée parce que leur fille Dominique a fugué, il y a trois jours. Son mari voulait appeler la police. Wanda lui indique qu’elle connaît une personne qui peut les aider à retrouver leur fille. Elle s’allume une cigarette, alors que madame Garnier vient de lui rappeler qu’il s’agit également de la fille de Wanda.



Avec les années passées, le lecteur sait qu’il découvre le dernier tome de la série, sans pour autant déterminer si ce nombre correspond au plan initial des auteurs ou s’ils ont dû y mettre un terme faute de ventes. Il découvre Wanda, qu’il avait vu passer dans le tome précédent, et il relève qu’il ne lui est pas présenté d’autres employées de Vénus H., ou presque. Il remarque aussi que ni Anja, ni Miaki ne font une apparition dans cette histoire. Pour le reste, il retrouve les composantes de la série : une très jolie femme faisant commerce de son corps pour le compte de la mystérieuse société Vénus H. de la tout autant mystérieuse Madame H., Mambo l’intermédiaire de cette dernière, monsieur Zacharian et son aide So li, également employés de Madame H., des séquences de service sexuel, la haute société, et des beaux quartiers dans Paris. Il retrouve donc ce plaisir pour partie malsain à côtoyer une call girl de luxe dont la dynamique de vie perd son point d’équilibre, et qui doit sortir de sa normalité pour pouvoir préserver quelque chose ou quelqu’un à qui elle donne la priorité au péril de sa vie. Les milieux dans lesquels elle évolue ne peuvent pas tolérer ces écarts de conduite, ne peuvent pas laisser faire des comportements personnels allant à l’encontre du cadre établi.



Dès la première page, le lecteur retrouve l’étrange coupe de cheveux, voire sculpture, de Wanda, qu’il avait pu découvrir dans le tome précédent. Dans ce tome, c’est la seule à avoir une chevelure si singulière, mais les autres ne sont pas fades pour autant, chaque personnage disposant de la sienne en accord avec sa personnalité : d’une belle coupe masculine avec la raie sur le côté, à une coupe afro, en passant par des cheveux en bataille, des coupes onéreuses et des coupes bon marché. L’artiste se montre toujours aussi investi dans chaque case, avec un équilibre délicieux entre le niveau de détails et la lisibilité. Le lecteur prend le temps d’admirer l’aménagement de la pièce qui accueille la partie fine, jusqu’à l’évocation du motif du tapis. Par la suite, il admire d’autres intérieurs : le salon petit bourgeois des Garnier avec un tapis beaucoup plus basique, le donjon avec la représentation du Soulier de Satin (1929) de Paul Claudel (1868-1955), le restaurant luxueux dans lequel dîne le ministre Gérard d’Aublay, le café tout simple où M. Garnier rencontre l’inspecteur Lebel, l’appartement luxueux de Wanda et sa chambre à coucher, l’appartement de maître Abel et sa décoration chargée, l’intérieur du pavillon de banlieue surnommé la Guérite. Il prend tout autant de plaisir à ralentir sa lecture pour apprécier les vues en extérieure : les toits parisiens avec leur zinc, les colonnades du parc Monceau, un pont parisien, un marché découvert, des escaliers de la butte Montmartre, un magnifique massif de joncs, etc. Les personnages sont habités par une sorte de grâce discrète, ce qui les déréalise légèrement.



Le scénariste a repris la structure de deux tomes précédents : une employée de Vénus H., un enjeu qui s’avère très personnel, un trafic illégal (cette fois-ci le contenu d’une mystérieuse mallette bleue). Cette intrigue sert de support au chemin que doit parcourt Wanda : elle n’est pas bâclée ou bancale, mais elle ne constitue par l’intérêt principal du récit. Elle est proprement résolue en fin de tome, avec l’usage de conventions associées au genre polar, y compris une coïncidence bien pratique, sans qu’elle n’apparaisse impossible pour autant. Cette fois-ci, Wanda fait très rapidement le choix conscient de contrevenir aux règles pour sauver un être qui lui est cher. Le lecteur voit une personne à qui la société (Vénus H., mais aussi son métier choisi en toute connaissance de cause, et assumé) lui dicte un comportement. Cette femme n’entretient pas d’illusion sur les conséquences de sa transgression : le prix à payer sera très élevé. Mais la fin justifie les moyens. Le récit devient alors un polar beaucoup plus noir, très intense. Les conventions aguicheuses ou faciles (scène de nudité, rapport sexuel tarifé, partie fine dégénérée, violence physique) sont traitées avec retenue, en particulier en termes de représentation. Le lecteur les voit bien comme des conventions narratives propres à un genre, et dans le même temps les auteurs font en sorte d’assurer une cohérence de ton, une narration factuelle et pragmatique qui permet au lecteur d’y croire.



Les personnages, leur comportement, leurs réactions montrent bien qu’il s’agit de leur monde, de leur quotidien, qu’ils connaissent ces règles implicites, et les conséquences qui en découlent. Tout comme Wanda, ils ne sont jamais dupes de devoir se comporter comme leur dictent les usages, leur condition sociale, leur place dans l’ordre des choses. Ils ont accepté la réalité dans tout ce qu’elle a d’arbitraire, d’injuste, de moche. Monsieur Garnier sait qu’il n’est pas armé pour affronter la brute qui vient le rudoyer. Son épouse sait qu’elle ne dispose d’aucune qualité, d’aucun savoir-faire qui lui permettrait de retrouver sa fille. Dans une scène feutrée, maître Abel explique au ministre Gérard d’Aublay que le bilan de ce dernier est positif : le déficit budgétaire a été limité, l’inflation reste stable, les entreprises redeviennent compétitives et la sécurité sociale reprend des couleurs. Il ajoute que le ministre ne l’a pas fait exprès, mais qu’il a su bénéficier de circonstances particulièrement favorables. Le vent tournait dans le bon sens, et il ne lui a pas tourné le dos. C’est remarquable, même pour un ministre. Il y a là un constat d’une terrible honnêteté : cet homme qui est ministre réussit grâce aux circonstances, et pas à son talent. Très consciente de la manière de fonctionner de l’univers, Wanda décide de ne pas jouer le jeu, de faire preuve de volonté et d’aller contre ce que lui dicte, ou lui prescrit son environnement, en étant toute aussi consciente qu’elle ne peut pas changer la marche du monde ou son fonctionnement. Cet état d’esprit l’oblige également à voir la dépravation des individus, sans plus de voile pour l’atténuer, ainsi que leur folie, leur anormalité monstrueuse.



Un dernier tome, planifié ou non par les auteurs. Quoi qu’il en soit, le lecteur retrouve toute la séduction vénéneuse de cette série : une femme superbe se livrant à une forme de prostitution de luxe, une narration visuelle exquise savamment dosée, élégante, une situation conflictuelle qui ne peut pas bien se terminer. Le tome deux présentait la seule employée qui avait réussi à s’en sortir, celui-ci contribue à la mythologie avec une visite des plus glauques de la Guérite. Il s’agit d’un polar bien noir qui fait usage de quelques conventions du genre, tout en générant un malaise plus profond qu’il n’y paraît car Wanda sort des sentiers battus et ne peut faire autrement que de voir certaines facettes du monde pour ce qu’elles sont. Terrifiant.
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Jessica Blandy, tome 24 : Les gardiens

Les anges morts ne me font pas peur.

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Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 23 : La chambre 27 (2004) qu'il est indispensable d'avoir lu avant, car c'est la deuxième partie de l'histoire débutée dans le tome précédent. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2006, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée et mise en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Elle compte 54 planches. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - L'intégrale - tome 7 qui contient les tomes 21 à 24. Ce tome est le dernier de la série. Cette dernière a connu un épilogue en 3 tomes intitulé La route Jessica, réalisé par les mêmes auteurs, à commencer par La route Jessica, tome 1 : Daddy !.



Dans la baie de new York, un cadavre flotte bloqué par un pilotis de bois, celui de Peter Lamax, un des cinq gardiens. À l'embarcadère du ferry, Edie Cox, une belle rousse élancée, attend assise sur un banc. Le ferry accoste, et les passagers descendent. Elle se mêle à la foule, avec une seringue à la main. Elle s'approche par derrière de l'un des passagers et le pique à l'omoplate, à travers ses habits. Il a brusquement un saignement de nez, et il s'écoule par terre. Edie Cox jette la seringue dans une corbeille de rue, et elle s'éloigne tranquillement, les mains dans les poches de son imperméable, la satisfaction d'un travail bien fait. Ailleurs, dans sa petite maison, Jessica Blandy a sorti une chaise sur la terrasse et elle regarde la mer, assise, tout en armant un pistolet : elle se méfie. Elle se lève : elle n'attend plus, elle a décidé de passer à l'action. Dans un petit café de New York, les trois autres gardiens encore vivants sont réunis pour faire le point : Knive, Samuel Horton, Victoria Charman. Ils commencent par évoquer le décès de Peter Lamax et de Ron Taylor. Ils n'ont plus de mission à proprement parle puisque leur commanditaire est décédé, et la résurrection de Missie Lizzie qu'ils devaient empêcher est advenue. Charman et Horton se rendent compte qu'ils ont tous les deux la même chanson en tête : Surf's up (1971) des Beach Boys.



Une fois la discussion terminée, Victoria Charman rentre chez elle à pied, et elle se rend compte qu'elle se retrouve dans une partie de la ville qu'elle ne connaît pas. Elle est prise à partie par trois voyous qui s'en prennent à elle, bien décidés à la violer avant de l'assassiner. Jessica Blandy intervient, pistolet à la main, car elle suivait Victoria depuis trois jours. Dans l'ombre, Edie Cox observe l'échauffourée, constatant que les agresseurs ne sont que des amateurs. Les deux femmes vont prendre un verre pour se remettre, et rencontrer Gus Bomby. Ce dernier se moque d'elles et de leurs croyances dans le retour surnaturel de Missie Lizzie, et les autres billevesées concernant la chambre 27. Il finit par indiquer qu'il a retrouvé la personne que Jessica l'avait chargé de dénicher : Ada Torrenson, la mère de l'enfant. Elle est d'ailleurs revenue à New York : elle accepte de les recevoir, mais ne parlera que s'ils ont un code ou un mot de passe à lui présenter.



Dernier album de la série et deuxième moitié du récit, dont la première n'était pas entièrement convaincante pour elle-même. Le lecteur attend donc des réponses satisfaisantes pour l'intrigue et une résolution convaincante. Le scénariste s'y attèle avec rigueur. Le lecteur peut donc rencontrer Missie Lizzie et assister à plusieurs de ses conversations. Les cinq gardiens lui sont présentés. Il est question de leur mission initiale, et de leur devenir, de la menace qu'ils représentent encore pour Missie Lizzie, de la résurrection de cette dernière, et des circonstances de sa mort, il y a de cela de nombreuses années. D'un côté, cet album ne vient pas mettre un terme aux aventures de l'héroïne, elle pourrait en avoir d'autres après ; de l'autre côté, le scénariste relie entre eux plusieurs éléments des tomes passés. Victoria Charman était apparue la fois précédente dans Jessica Blandy, tome 10 : Satan, ma déchirure (1994). Le nervi Oggie évoque les événements de Jessica Blandy, tome 21 : La Frontière (2002). Razza refait une apparition avec son singe Damastra, vus pour la dernière fois dans Jessica Blandy, tome 18 : Le contrat Jessica (2000), personnage récurrent des tomes 15 à 18. Le mystérieux monsieur Chance fait également une apparition : c'est le commanditaire du tueur dans Jessica Blandy, tome 22 : Blue Harmonica (2003). Enfin, Dufaux assume totalement la dimension surnaturelle régulièrement présente, car cette histoire ne peut pas être rationnalisée par une maladie mentale, ou une forme d'hallucination collective.



Dès la première page, le lecteur plonge dans une ambiance particulière. Il retrouve bien sûr les dessins précis et méticuleux dont il a l'habitude. Au fil des pages, il peut ainsi admirer le panoramique sur les gratte-ciels de Manhattan vus depuis l'océan, le débarcadère et les bancs pour attendre, les rues désertes tard le soir avec ce passage sous une arche maçonnée, les différences d'aménagements entre les deux pubs, la circulation automobile avec les taxis Yellow Cab, les pièces monumentales avec la baie vitrée gigantesque de l'étage du gratte-ciel où se trouve Lizzie, un grand parc lors d'une promenade au coucher du soleil, une grande artère de New York de jour avec des étalages sur le trottoir, un hôtel de luxe avec sa décoration somptueuse. Il remarque également l'installation d'ambiances particulières, avec un travail personnel sur la couleur : les teinte rose orangée pour l'ouverture en extérieur, la lumière artificielle teintée de vert pour le second bar, le contraste entre ce rose en extérieur et ce vert en intérieur séparés par la baie vitrée dans le gratte-ciel où se trouve Lizzie, le retour du rose lors de la promenade dans le parc, des teintes dorées dans le palace, et une approche plus naturaliste dans la dernière séquence. Il n'y a que le dessin en pleine page de la planche 17 qi semble un peu fade : les ombres chinoises des gratte-ciels, contre le coucher de soleil, avec des rectangles lumineux pour les bureaux encore allumés.



Le lecteur retrouve toujours avec plaisir la silhouette élancée et élégante de l'héroïne, et aimerait bien la réconforter au lit comme le fait Victoria. Le dessinateur reste du côté de l'érotisme discret, montrant la nudité, sans gros plan, mettant en avant la douceur et l'attention que se portent les deux amantes. Il retrouve également Gus Bomby et sa dégaine un peu crado. Il fait connaissance avec Missie Lizzie dont l'aura n'est pas si impressionnante que ça. Il observe les personnages secondaires et les figurants, Renaud soignant chaque individu, par exemple les bagues de l'un des agresseurs de Victoria, ainsi que le reste de ses vêtements, les quelques tenues de Jessica, toujours aussi élégante, le costume coûteux de l'oncle de Lizzie, etc. Il fait connaissance avec une nouvelle femme : Edie Cox, une belle rousse très mince. Elle exerce le métier de tueuse à gages. Renaud l'a affublée d'une chevelure bouclée, très ondulée, et bizarrement volumineuse. Dufaux développe sa personnalité pour en faire un personnage complexe. Elle n'est pas infaillible, elle sent bien qu'elle ne maîtrise pas la situation, et qu'elle n'a pas le dessus sur la jeune Lizzie. Elle évoque également son absence de relation sexuelle, les hommes sentant qu'elle n'aime pas s'abandonner, oublier, crier. Elle éprouve la sensation que son corps devient froid et que personne ne parvient à la réchauffer, pas même elle-même avec ses propres caresses. La couverture promet un baiser entre elle et Jessica : il a bien lieu. Le lecteur perçoit bien la dimension métaphorique : Edie se réchauffe au contact de Jessica pleine de vie.



En fonction de sa sensibilité, le lecteur est plus ou moins intéressé par cette histoire de petite fille revenant comme une incarnation démoniaque. Le scénariste ne ménage pas ses effets avec une assassin qui travaille avec des seringues emplies de poison, une agression de rue très malsaine, un meurtre au pistolet à bout portant, un mystérieux gugusse qui remet à Jessica Blandy, bien opportunément, un bouton et un bout de phrase (dont le scénariste a du mal à se souvenir car ce n'est pas le même qu'en page 12, quand elle le réutilise en page 31), et même un commando d'une dizaine de mercenaires dont un équipé d'un bazooka… dont il ne se sert pas finalement. Ça fait quand même un peu bizarre : un agrégat de trucs choquants et cools, mais très hétéroclites. Comme à son habitude, Dufaux intègre une chanson à cette histoire : Surf's up, des Beach Boys. Il laisse toute latitude au lecteur pour établir les liens pouvant exister entre elle et son histoire. Pourtant, sous cette surface de bric et de broc, il subsiste des comportements très malsains. Visiblement Edie Cox commence à porter le fardeau de son métier : mettre fin à des vies humaines. Jessica Blandy a conservé sa sérénité grâce aux trous dans sa mémoire provoqués dans le tome 22, et c'est sa capacité d'empathie qui lui permet d'avancer dans les épreuves. Le thème de fond de la série, entre déviance mentale et chaleur humaine, reste bien présent, mais le lecteur doit faire l'effort de le considérer sous une intrigue clinquante.



Dernier tome de la série : les créateurs tiennent plusieurs de leurs promesses. La narration visuelle est toujours aussi immédiatement accessible, et discrètement sophistiquée. L'intrigue entamée dans le tome précédent arrive à son terme, en répondant à toutes les questions. Le scénariste a décidé d'assumer franchement les éléments surnaturels, qui ne peuvent plus être interprétés par des phénomènes psychologiques, ce qui peut plus ou moins plaire au lecteur, certains événements étant trop beaux pour être vrais, comme l'aide apporté par monsieur Chance.
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D'encre et de sang, tome 1

Je suis assez partagée...

Je suis positivement impressionnée par le travail de recherche qui a été abattu par les auteurs et qui rendent un Bruxelles des années 40 très crédible.

Le scénario est assez décousu et je pense qu'il se cherche : une Autrichienne, détestant les collabos et voulant venger son amoureux Juif qui a été arrêté par les Allemands pendant l'Anschluss, arrive dans une Bruxelles sur le point d'être désertée par les Allemands afin d'infiltrer, à la demande de la Résistance, le journal national afin d'enquêter et de retrouver Léon Degrelle (rien de moins). Elle est alors confrontée à une histoire de Juives torturées/violées/assassinées...

Ca fait beaucoup de sujets qui sont malheureusement assez mal dosés. Certains sont pourtant intéressants mais sont juste ébauchés et les lacunes du scénario semblent avoir été comblées par un dessin volontiers (et inutilement) racoleur....

Je pense qu'il faut attendre de lire la suite et d'avoir une vision d'ensemble avant d'émettre une opinion définitive mais je suis assez dubitative.
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Jessica Blandy, tome 19 : Erotic attitude

Le monde est dans ma tête. Mon corps est dans le monde.

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Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 18 : Le contrat Jessica (2000) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2001, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée et mise en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Elle compte 46 planches. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - Intégrale, tome 6 qui contient les tomes 18 à 20.



Après avoir échappé au contrat passé sur sa tête, Jessica Blandy a décidé de devenir anonyme, de se perdre dans la foule en séjournant à Manhattan. Elle va travailler à la bibliothèque publique, visite des musées, et s'achète de temps à autre une toilette clinquante. Ce jour-là, elle va visiter l'exposition de toiles au musée Solomon R. Guggenheim. Elle s'arrête devant une toile, un nu de femmes. Un autre visiteur lui adresse la parole constatant qu'elle est troublée devant un corps de femme dénudé. Il se présente : Gary Benson. Il aimerait bien lui offrir un verre. Elle accepte et la conversation s'engage : lui aussi est un peintre. Ailleurs dans une étendue naturelle recouverte de neige, un inspecteur de police rejoint son équipe qui lui montre le corps d'une jeune femme pris dans la glace sous la couche de neige qu'ils ont déblayée : le cadavre d'Eunyce Heyman, la troisième victime du tueur. Gary Benson continue de parler : il a retrouvé l'inspiration et repris le travail. Il expose bientôt à la Hines Gallery. Il aimerait montrer ce qu'il fait à Jessica. Il lui propose de payer les consommations, mais elle ne sait pas trop si elle souhaite le laisser faire.



Gary Benson poursuit : il aimerait reprendre un de ses projets, peindre des femmes à un moment précis de leur existence, et c'est en voyant Jessica qu'il a repensé à ce projet. Répondant à sa question, il indique qu'il essaye de restituer par sa peinture ce moment de détente inoubliable où la vie prend enfin un sens, le moment de l'orgasme. Sarah Adisson est la quatrième : elle descend d'avion et sort de l'aéroport, tout en laissant un message sur la messagerie d'une amie : Eunyce est morte, alors qu'elle devait lui apporter la chanson murmurée dans le téléphone. Elle hèle un taxi après avoir raccroché. Le chauffeur lui propose d'écouter un peu de musique, il a un air dont il est certain qu'il lui plaira.



Eh bien voilà un titre qui promet de la nudité et de la séduction charnelle, vraisemblablement vénéneuse et malsaine. Mais bien sûr, rien de si évident ou premier degré dans cette série, et en même temps si. Oui Jessica se retrouve nue et est représentée de manière frontale à deux reprises, mais le temps de quelques cases, et pour une partie de jambes en l'air en total consentement. Oui, elle a un corps de rêve, et pour autant elle n'est pas réduite à l'état d'objet car sa posture montre clairement qu'elle est à l'aise et qu'elle maîtrise la situation, sans l'ombre d'un rapport de force défavorable pour elle. Oui, il y a un cadavre de femme dénudé, mais la sensation n'a rien non plus d'érotique, plutôt un sentiment malsain de chair morte. La fameuse attitude érotique correspond au choix de langage de l'artiste Gary Benson pour désigner le fait qu'il souhaite capturer l'expression d'abandon du visage féminin au moment de la jouissance sexuelle. Au vu de la façon dont il s'y prend pour disposer de cette expression, il apparaît comme un individu obsédé par la volonté de rendre pérenne un instant fugace, une forme de fétichisme, de lutte idiote et vouée à l'échec contre l'expression furtive et fuyante d'un état d'esprit auquel l'artiste accorde une valeur quasi mystique. Dans les faits, Jessica Blandy s'avère bien plus troublante dans l'intensité de sa présence, dans son goût vestimentaire, ce que les dessins montrent avec élégance et justesse.



Le lecteur retrouve les sensations spécifiques de cette série dès la première page, avec le récitatif de Jessica Blandy évoquant son souhait de se fondre dans la foule pour être anonyme, et profiter du repos qu'apporte cette absence de mise en avant. Les auteurs ont choisi de changer d'environnement, en l'amenant à New York, et plus particulièrement à Manhattan. Comme d'habitude, le lecteur prend plaisir à la dimension touristique, avec l'Empire State Building en première case, Central Park dans la troisième case de la première page, puis la Bibliothèque publique de New York, le musée Solomon R. Guggenheim (avec une vue extérieure et une vue intérieure de ce bâtiment à l'architecture si particulière), les maisons urbaines avec une façade en grès rouge du Trias (Brownstone) et plusieurs ponts remarquables. Les auteurs font ressortir ce paysage urbain avec quelques courtes scènes comme la découverte d'un cadavre dans un champ enneigé ou une maison isolée au bord d'un lac, également recouverte d'un manteau de neige. Régulièrement le lecteur ressent le besoin de s'arrêter pour contempler un décor dans une case : une belle pelouse de Central Park où bronze Jessica et d'autres personnes, le magnifique salon de Lyn Dorset, la promenade plantée en hauteur (High Line), le train circulant dans un paysage enneigé dans une case de la largeur de la page, le soleil couchant sur le panorama de gratte-ciels de Manhattan vu depuis l'océan.



Le lecteur ressent également que le récit se déroule en milieu urbain en observant les personnages : la gamme de tenues vestimentaires est différente. Pour commencer, il est visible que Jessica Blandy, elle-même, dispose d'une bonne source de revenus, à voir son tailleur élégant, son ensemble pantalon blanc & blazer bleu, sa robe de soirée échancrée dans le dos jusqu'à la chute de rein, son manteau de fourrure lors de son voyage vers la maison sous la neige. Il en va de même pour les autres protagonistes car ils évoluent dans des milieux aisés, et le lecteur voit bien que les pantalons et vestes assorties de Benson ne proviennent pas du premier magasin de chaîne venu, pareil pour Bore Tatoo, ou pour les tenues excentriques de sa compagne Audrey Logan, ce qui est encore plus flagrant en comparaison avec la tenue de l'inspecteur de police, beaucoup plus fonctionnelle et bon marché. S'il y est sensible, le lecteur effectue le même constat en ce qui concerne les coupes de cheveux des uns et des autres, soigneusement étudiées, et certainement exécutées par des coiffeurs aux tarifs conséquents. Pour autant, Renaud ne force pas la dose, ne joue avec la caricature, et reste dans le domaine du plausible et du vraisemblable.



La première séquence montre Jessica Blandy observant une peinture de nu, le lecteur supposant qu'elle est animée d'une curiosité artistique ou esthétique. Lorsqu'il lui adresse la parole, Gary Benson place de suite cette curiosité sur un plan sexuel, sous-entendu par la nudité. En orientant ainsi l'interprétation consciente ou inconsciente, il met en jeu un fétichisme s'exerçant sur le corps de la femme, et le lecteur en déduit qu'il n'est pas forcément bien dans sa tête, avec cette forme d'obsession, peut-être inoffensive, mais vraisemblablement pathologique. La découverte des deux cadavres (ceux des victimes 3 et 4) constitue la preuve qu'un individu a franchi la frontière de la normalité, pour adopter des comportements anormaux avec une motivation profonde qui reste à découvrir. Le lecteur sait que ce tome part sur les composants spécifiques de la série. Il en a la confirmation avec le rôle joué par Jessica Blandy qui n'est pas une héroïne au sens premier du terme. Elle se retrouve dans une affaire de meurtres sans avoir rien demandé, étant au cœur de l'affaire, mais sans être le héros qui découvre le pot aux roses, ou qui triomphe du criminel à la force du poignet, en se montrant d'un courage extraordinaire, confinant à la témérité. Au contraire, Jessica est venue se mettre au calme, anonyme au milieu de la foule. Mais elle ne peut pas faire autrement que d'interagir avec d'autres êtres humains, et de se laisser tenter par une relation sexuelle intéressante.



Le lecteur se laisse prendre à ces contacts avec des personnes pas si étranges que ça, très humaines, habitées par des névroses qu'il reconnaît facilement comme étant siennes, mais pas avec une telle intensité. Le besoin de se détacher de Jessica, de prendre du recul, être excédé d'avoir un coup de retard (l'inspecteur de police écœuré de découvrir un nouveau cadavre malgré ses efforts pour découvrir le coupable des précédents meurtres), l'obsession pour une forme particulière de jouissance, la fascination du pouvoir lié à la nudité d'un corps féminin, la capacité de se forcer à réaliser une tâche qui ne nous plaît pas (l'inspecteur assurant la garde d'une jeune femme), le besoin de tenter de nouvelles expériences même si elles ne sont pas raisonnables, la jalousie irrépressible. Les auteurs savent faire partager ces émotions négatives au lecteur, avec une habileté élégante, donnant l'impression d'une grande facilité, d'une évidence, ce qui rend encore plus mal à l'aise d'ainsi se reconnaître.



Le titre annonce une histoire sulfureuse au cours de laquelle Jessica Blandy va être amenée à mettre ses charmes en avant, au vu de tout le monde. Il y a de cela, mais c'est en fait anecdotique. Renaud est une fois encore un conteur visuel extraordinaire de simplicité et de précisions dans les détails concrets et descriptifs. Jean Dufaux se montre plus sophistiqué que dans les tomes précédents avec une histoire simple, utilisant les conventions de genre attendues, mais aussi une grande justesse dans les états d'esprit, et les petits décalages d'avec la normalité, qui deviennent des déviances hideuses et angoissantes. Il reste honnête, avec une séquence explicitant sa source d'inspiration, ou l'hommage qu'il a souhaité rendre à Psychose (1960) d'Alfred Hitchcock.
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D'encre et de sang, tome 1

Résistance, collaboration, faux-semblants... Les auteurs s'attachent à restituer l'atmosphère de l'époque, et y parviennent notamment par le biais de l'évocation du "Soir volé", le grand quotidien belge devenu outil de propagande, à côté de l'aventure d'un "faux Soir" édité par la Résistance.
Lien : http://www.auracan.com/album..
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D'encre et de sang, tome 2

Je n'avais que très modérément adhéré au tome 1 et bien, le second tome est pire.

J'ai trouvé ça très mauvais. Les quelques reconstitutions de Bruxelles sont les seules choses un peu positive dans cette BD.

J'ai trouvé le dessin très mauvais, irrégulier, mal maitrisé, peu fini et gratuitement racoleur.

Le scénario est bidon et bouclé en deux coups de cuillère à pot.

Je ne vais pas m'étendre inutilement mais certains éléments sont tellement ridicules que ça en serait même risible si ça ne traitait pas de sujets aussi douloureux que celui de la Shoah par exemple.

Je vais essayer d'oublier vite fait cette BD.
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La route Jessica, tome 1 : Daddy !

Comprendre ce qui se cache derrière les apparences

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Ce tome fait suite à la série Jessica Blandy qui s'est achevée avec Jessica Blandy, tome 24 : Les gardiens (2006). La première édition de cette bande dessinée date de 2009. C'est la première partie d'une trilogie réalisée par les mêmes auteurs que la série Jessica Blandy ; Jean Dufaux pour le scénario et Renaud (Denauw) pour les dessins et les couleurs. Elle compte 54 planches.



Dans un bel appartement avec balcon de Miami, par une belle fin d'après-midi ensoleillée, Agripa, une belle jeune femme nue, appelle son père Soldier Sun pour l'informer que tout s'est passé comme prévu, et qu'elle peut se débrouiller toute seule pour se débarrasser du corps, car il y a une pièce dans l'appartement où le locataire entrepose son matériel de bricolage. Elle va y trouver ce dont elle a besoin, mais ça va prendre du temps. Elle va commencer par les yeux car elle est superstitieuse : elle a toujours l'impression qu'ils la regardent quand elle travaille, ce qui la rend fébrile, peu sûre d'elle. Son père lui intime de se mettre au travail, et d'arrêter de se plaindre car elle sait bien que ça l'agace, et il ne voudrait pas la punir à nouveau. D'une voix hésitante, elle lui répond qu'elle aime bien quand il la punit. Soldier Sun raccroche et accepte le cocktail que lui apporte Molly, une belle femme blonde. Il en prend une gorgée et ils font l'amour.



Adam Pendler se trouve dans l'étude de Jeremy Cuzak et lui remet le dossier qu'il a constitué sur Jessica Blandy. Tout se trouve dans ce dossier, l'enquête s'est étalée sur plus de six mois. Certains témoignages se recoupent, d'autres ne mènent à rien. Il y a deux ans, miss Blandy a quitté New York. Elle était accompagnée de Gus Bomby, un ancien détective privé à qui on a retiré sa licence. Elle semblait souffrir de troubles psychiques assez graves qui nécessitaient une analyse suivie. Elle s'est adressée pour cela au docteur Bernardht qui possède un cabinet sur a cinquième avenue. Jusqu'au jour de son départ, elle s'y est rendue régulièrement, à raison de deux visites par semaine. Dans le dossier, se trouvent les premiers entretiens de Bernardht avec sa patiente. Il y a également un feuillet écrit par le psychothérapeute après le départ de sa patiente évoquant le fait que Jessica a recouvré la vue. Pendler continue : le soir même, une voiture a renversé Elisabeth, l'épouse de Bernardht, alors qu'elle se rendait au théâtre. Elle a succombé à ses blessures pendant son transport à l'hôpital, c'était un samedi. Pendler conclut : il a retrouvé la trace de Bernardht. Ce dernier se trouve à Miami, et il vient d'envoyer un de ses agents à l'appartement qu'il a loué sous le nom de J.H. Bains. L'individu toque à la porte et c'est Agripa qui lui ouvre en peignoir de bain. Il fait en sorte de rentrer à l'intérieur et parvient jusqu'à la chambre à coucher où il découvre les giclées de sang qui maculent les murs. Interloqué, il se retourne vers la jeune femme : elle tient une tronçonneuse d'une main ferme et assurée.



Après avoir réalisé ensemble une série en 3 tomes Vénus H. (2005-2008), Renaud & Dufaux reforment leur tandem pour revenir au personnage dont ils avaient réalisé 24 tomes de 1987 à 2006. Le début de récit fait comprendre que Jessica Blandy ne sera pas présente au centre du récit : elle n'apparaît effectivement que dans 5 pages. Au lieu de cela, le lecteur fait connaissance avec Adam Pendler, un détective, travaillant pour Jeremy Cuzak, lui-même travaillant pour monsieur Carrington qui veut mettre la main sur la jeune femme car il est convaincu qu'elle détient le secret de l'immortalité. Ce n'est pas la première fois qu'un élément surnaturel est inclus dans une aventure de cette héroïne. Il est d'ailleurs rapidement fait allusion à un autre élément de ce type : le personnage de Razza, déjà présent ou dont la présence se faisait sentir dans les tomes 15 à 17. Les notes du psychothérapeute indiquent que Jessica a également ressenti son influence dans les tomes 23 & 24. Certains éléments de la vie passée de l'héroïne sont évoqués, mais finalement il est possible de suivre l'intrigue sans rien en perdre, même sans avoir lu les tomes correspondants. Même la prise de contact avec Earl Memphis ne nécessite pas d'avoir lu Jessica Blandy, tome 16 : Buzzard Blues (1999) pour comprendre l'enjeu. En revanche, dans ce cas-là, le personnage semble un peu superficiel.



Malgré l'absence du personnage principal, le lecteur retrouve les principales caractéristiques de la série initiale, à commencer par les dessins précis et la sensation de se rendre dans plusieurs lieux chacun avec leurs caractéristiques propres. Renaud conjugue le détourage des éléments avec un trait encré fin et précis, et une mise en couleur à l'aquarelle, venant compléter chaque surface selon la méthode de la couleur directe. Alors qu'Agripa appelle son père, le lecteur voit le balcon de l'appartement à l'avant dernier étage d'un immeuble, apposé à une case d'une belle grande plage avec un unique palmier, et un grand parasol abritant un fauteuil dans le lointain, tout le contraste des cités bétonnées en bordure de mer, et d'un grand espace naturel. D'une séquence à l'autre, il peut ainsi apprécier l'aménagement de l'appartement de J.H. Bains, le luxe du bureau de Jeremy Cuzak avec les meubles (de magnifiques pieds en forme de rapace pour le bureau lui-même) et les colonnes décoratives, un petit pont au-dessus d'un ruisseau dans un parc, l'étendue gazonnée devant la mer avec les flamants roses, l'intérieur d'un club de jazz avec une fresque carrelée et des motifs de flamants roses, le cabinet très lumineux du psychothérapeute avec le paravent, les rues pleines de piétons de Miami, quelques pièces de la villa des Cuzak, etc. Comme d'habitude, il prend le temps de regarder les images car l'artiste ne se contente pas de poser des meubles et des décorations, du tout-venant ou du préfabriqué industriel : il fait œuvre de décorateur avec du goût. Il montre des lieux plausibles et habités, aménagés par des individus avec une personnalité, et attentifs à leur lieu de vie. De même, le lecteur peut prendre le temps de jeter un coup d'œil aux figurants : les jeunes hommes faisant un peu de musculation croisés par Agripa et son père, les clients du club de jazz, les anonymes sur les trottoirs, tous vêtus différemment, tous occupés avec leur interlocuteur, ou perdus dans leurs pensées.



Régulièrement, le regard du lecteur est attiré par un détail : le motif de chat sur le mur derrière un lit, les dents de la tronçonneuse, les nénuphars sur une pièce d'eau, les essences de végétaux correspondant bien à la flore de cette région du monde, un modèle de voiture, les copeaux de bois dans un grand pot de fleurs pour protéger la terre, la coupe de cheveux de Blanche, les lignes électriques aériennes et leurs poteaux, des modèles de chaussure dans une vitrine, etc. Renaud donne à voir bien plus que le strict nécessaire, sans le faire de manière ostentatoire ou démonstrative, sans alourdir la narration visuelle. Le lecteur éprouve la sensation d'évoluer dans chaque endroit, en côtoyant des personnes plausibles, différenciées, et souvent pas commodes. La mise en couleurs naturaliste apporte une ambiance lumineuse adaptée à chaque endroit, chaque moment de la journée, ainsi qu'un peu de relief, des ombres portées discrètes, à nouveau sans alourdir les cases, en phase parfaite avec les traits encrés. Le lecteur retrouve d'autres caractéristiques de la série initiale : des femmes parfois dévêtues, des relations sexuelles, des individus bien dérangés, des meurtres sadiques. D'ailleurs ça commence avec une jeune femme qui s'apprête à se débarrasser d'un cadavre à la tronçonneuse.



Le lecteur ne sait pas trop quoi attendre de cette histoire en trois parties. Il espère que cette nouvelle saison bénéficie d'une direction plus consistante que la fin de la série initiale. Il retrouve quelques-uns des tics d'écriture du scénariste, à commencer par le goût pour les scènes choc, même s'il vaut mieux ne pas trop s'interroger sur leur plausibilité. Il est peu probable qu'un individu louant son appartement, y stocke une tronçonneuse, une scie sauteuse en les laissant libres d'usage du locataire. Passée cette incongruité, le récit revient à des situations plus faciles à accepter. Un riche individu souhaite retrouver Jessica Blandy coûte que coûte et une deuxième faction rivale est tout aussi motivée pour y arriver avant, en faisant le nettoyage par le vide. Le lecteur retrouve ces individus ayant une représentation de la réalité en décalage avec la sienne, et avec ce qui passe pour être la normalité : monsieur Carrington faisant enfreindre les lois à ses employés grâce au pouvoir de son argent, Soldier Sun & sa fille Agripa assassinant sans vergogne. Même s'il ne donne pas accès aux pensées de ces deux personnages, le scénariste parvient à montrer la monstruosité de leur relation, sa dynamique malsaine et toxique, l'emprise du père sur sa fille totalement fascinée par son aura, et profitant de la validation que lui donne cette autorité pour tuer autrui. Le lecteur ne peut pas résister à la fascination morbide de voir ces individus agir pour atteindre leur objectif, débarrassés de toute empathie, se comportant de manière monstrueuse avec autrui, sans devoir supporter le moindre remord, la moindre once de culpabilité.



Pas sûr que le lecteur soit attiré par une couverture aussi sensationnaliste et racoleuse, pour découvrir une saison supplémentaire d'une série dont le personnage principal en est quasiment absent. S'il a lu la série initiale, un simple coup d'œil à l'intérieur suffit à lui faire sauter le pas : les pages sont magnifiques, et l'implication de Renaud est totale. Puis il apprécie de retrouver certains éléments constitutifs de la série initiale à commencer par les meurtres sadiques, les relations sexuelles, les individus pas très bien dans leur tête. Il ne sait pas trop s'il a envie de retrouver Jessica Blandy qui a l'air d'avoir réussi à laisser derrière elle une partie de ses traumatismes. En revanche il a retrouvé la sensation dérangeante provoquée par ces prédateurs efficaces et monstrueux.
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D'encre et de sang, tome 1

Dans cette duologie se déroulant pendant la Seconde Guerre mondiale en Belgique, je m'attendais à une histoire centrée sur l'occupation allemande, mais Gihef et Renaud m'ont montré que c'était bien plus que ça. En 1944, la vie à Bruxelles était difficile, avec l'occupation allemande qui touchait tous les aspects de la société. Notre espionne autrichienne se retrouve plongée dans cette réalité lorsqu'elle infiltrée un journal pour la résistance. Elle découvre des informations choquantes et sanglantes, liées à un tueur en série qui sévit dans la ville. Bouleversée par ce qu'elle voit, elle décide de mener l'enquête, convaincue que ces crimes ne peuvent pas être excusés par la guerre.

L'histoire racontée dans cette bande dessinée est intéressante, avec des nuances sur la résistance et l'espionnage. Cependant, j'ai ressenti un manque d'éléments pour pleinement comprendre et m'immerger dans l'histoire. J'avais l'impression d'arriver au milieu d'un épisode sans avoir toutes les informations nécessaires. Les auteurs ont réussi à parler d'un fait réel, le tueur en série de Bruxelles pendant la guerre, mais il manquait quelque chose pour rendre le récit plus addictif et pour impliquer davantage mes émotions.

Les dessins étaient plaisants, bien que j'aie ressenti un manque d'expressions faciales et d'émotions. Les portraits étaient détaillés, mais les proportions dans les portraits en trois quarts m'ont dérangée.

En résumé, cette duologie est une belle découverte, mais ce sont les faits historiques plutôt que les personnages qui resteront gravés dans ma mémoire.

Mon avis détaillé :




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Jessica Blandy, tome 22 : Blue Harmonica

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 21 : La Frontière (2002) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2003, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée et mise en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Elle compte 46 planches. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - Intégrale, tome 7 qui contient les tomes 21 à 24.



À New York, un homme blanc à la chevelure brune, marche dans la rue sous la neige, en tirant quelques notes de son harmonica. Blue Harmonica s'arrête de marcher et de jouer devant monsieur Chance, seule autre personne dans la rue. Ce monsieur en habit de soirée avec un chapeau haut de forme lui demande quel air il jouait : c'était un vieil air de Muddy Waters. Chance continue : il donne un nom à Harmonica, celui de Louis Berich. L'homme se trouvera à la station Subway City Hall. Il remet un paquet à Harmonica. Ce dernier le prend et se rend à la station de métro. Elle est déserte, à part un individu affalé contre un mur sur le quai. Il vérifie que c'est bien Louis Berich, lui tire dessus à bout portant, puis jette l'arme sur les rails. Le nom de Louis Berich est apposé sur la crosse, par une petite plaque vissée. Peu de temps après une équipe de police est sur place pour enquêter avec la commissaire Douglas, et l'inspecteur Traum qui tousse un peu. Ce dernier récupère le pistolet sur les rails, et constate la présence du nom. Il reste à vérifier qu'il correspond bien à celui de la victime.



Jessica Blandy est en train de prendre son petit déjeuner dans un diner, tout en appréciant l'air d'harmonica joué à l'extérieur. Ça ressemble à du Mattias Hellerg. Elle en fait part à sa voisine qui n'avait même pas écouté. Jessica se lève et sort, regrettant de quitter cette jeune femme aux jolies jambes. À l'extérieur, le joueur d'harmonica l'aborde en lui demandant si elle s'appelle Stella Lamb. Il s'en suit un court échange au cours duquel il lui confirme que c'est bien lui le joueur d'harmonica. Elle continue son chemin, et lui le sien. Jessica Blandy se retourne en entendant le bruit d'une détonation et se met à courir vers le diner. Elle découvre le cadavre de Stella Lamb, étendu sur la neige, devant une voiture stationnée sur le parking. Un peu plus tard, assise dans le diner, elle essaye de répondre aux questions de Douglas et Traum : elle se rend compte qu'elle est incapable de décrire l'homme avec qui elle a échangé quelques mots, comme s'il y avait un trou dans sa mémoire. Le soir en s'endormant, elle constate qu'elle ne parvient même pas à se souvenir de son visage. Le lendemain, Blue Harmonica rencontre à nouveau monsieur Chance. Il lui indique qu'une femme l'a vu. Chance lui répond de ne pas s'en préoccuper, qu'elle ne se souviendra de rien, qu'elle ne figure pas dans ses listes. Il lui donne le nom d'une autre personne à abattre : Leigh Cardogan III.



La séquence d'entrée établit directement que ce récit fonctionne avec une touche de surnaturel. L'individu appelé Blue Harmonica (c'est son vrai prénom ?) est un tueur qui travaille pour un étrange monsieur Chance (c'est son vrai nom ?) qui lui donne des noms. La touche de surnaturel est confirmée avec le pistolet dont la crosse porte le nom de la victime. Ce n'est pas la première fois que le scénariste introduit un tel type d'élément. Ici, le lecteur découvre qu'il y a une sorte d'organisation qui reste entièrement mystérieuse et qui perpétue la fonction d'assassinat sur la base d'un critère qui est explicité. L'artiste ne dessine aucun élément surnaturel de type spectre, apparition ou phénomène magique inexpliqué. Il reste dans un registre naturaliste tout du long, Blue Harmonica étant un homme de taille normale à la morphologie normale, sans rien de remarquable, avec une belle chevelure noire, un air un peu romantique et vaguement inquiétant. Il s'agit donc d'un élément de nature métaphorique, incarnant l'envie suicidaire. Du coup, les noms étranges font sens, désignant une fonction ou une caractéristique. Ce dispositif narratif fonctionne bien et permet à l'auteur d'évoquer une forme tranchée d'euthanasie, particulièrement transgressive. Encore que les actes de Blue Harmonica puissent se lire des deux manières : comme une délivrance bienvenue, ou comme un crime, c’est-à-dire en sous-entendu, une condamnation morale de mettre un terme à une vie, même si c'est le vœu le plus cher de la personne concernée.



Une fois accordé le supplément de suspension d'incrédulité, le lecteur retrouve avec plaisir Jessica, à nouveau au cœur d'une affaire de meurtres en série. Cette fois-ci, c'est personnel, enfin encore plus que d'habitude. Non seulement Jessica couche avec le tueur présumé, mais en plus, il est vraisemblable qu'elle est sur sa liste. Dufaux s'amuse bien avec cette incertitude. Il confronte son héroïne au fait qu'elle n'arrive pas à se souvenir du visage de celui à qui elle a parlé. Une fois intégré le dispositif de la métaphore, le lecteur peut y voir le fait que Blue Harmonica incarne pour elle un traumatisme qu'elle a préféré refouler, ou plutôt une épreuve qu'elle a traversée, acceptée et dépassée. D'ailleurs Blue explicite clairement le traumatisme dont il s'agit : Jessica contrainte à la prostitution la plus glauque dans [[ASIN:2800134860 Jessica Blandy, tome 6 : Au loin, la fille d'Ipanema]] (1990). S'il a suivi la série depuis le début, le lecteur se souvient encore de ce passage des plus éprouvants, et la fonction de Blue Harmonica s'en trouve nourrie, devenant très concrète, plus compréhensible. Il comprend la raison pour laquelle Jessica Blandy estime que quelqu'un a troué sa mémoire, pour quelle raison personne ne se souvient de Blue Harmonica, car il s'agit d'un souvenir réprimé.



Comme d'habitude, la narration visuelle de Renaud rend chaque scène évidente et solidement ancrée dans la réalité. Plus les tomes passent, plus l'artiste sait allier sa mise en couleurs avec ses traits d'encrage très fin, pour une belle complémentarité. Il continue à se montrer très minutieux dans ses descriptions ce qui donne une narration très factuelle, très précise, comme s'il s'agissait d'un reportage. Le lecteur peut admirer son application à montrer chaque environnement : les façades des gratte-ciels, les magnifiques arches en brique de la station de métro (avec des rails un peu trop propres), le diner impeccable dans une structure légère, la brocante dans la rue avec ses objets hétéroclites, le magnifique restaurant dans lequel Harmonica abat Leigh Cardogan III à bout portant, le parc avec quelques restes de neige, la maison en bordure d'océan à laquelle on accède par un ponton, le parc de caravanes et de mobil-homes en mauvais état, etc. D'un côté il y a les traits très précis de Renaud, souvent très droits pour les bâtiments : de l'autre il y a la mise en couleurs à la fois solide et ténue. Certes, il est peu probable que les rails de métro ne soient pas encrassés par la graisse. À part ce moment, les couleurs viennent discrètement apporter une ambiance discrète : la froideur grisâtre des toilettes du commissariat, la froideur un peu plus bleutée de la neige dans les rues, la froideur un peu plus verte de la nature et de la lumière à proximité de l'océan, le jaune pâle presque blanc de la lumière du matin en bordure d'océan sous un soleil encore faible, etc.



Renaud met en œuvre une direction d'acteurs de type naturaliste, permettant de croire à ces individus, en parfaite cohérence avec le scénario. Jessica Blandy apparaît toujours aussi séduisante et agréable, tout en conservant sa part d'ombre. Elle est vêtue de tenues élégantes, un blouson blanc avec un pantalon en cuir, ou un long manteau blanc comme neige, ou encore une nuisette verte. En la regardant, le lecteur peut voir la douceur de son visage, de son expression, bienveillante, mais aussi sa curiosité, parfois sa dureté quand un interlocuteur lui cache des choses, son honnêteté intellectuelle et émotionnelle quand Harmonica vient pour la tuer, le lecteur se rend compte que l'attitude et le visage des autres personnages expriment également leur état d'esprit, par exemple la détermination de Blue Harmonica, mêlée d'une forme de résignation et de mélancolie. Il n'est donc pas surpris quand il se dit préoccupé par sa rencontre avec Jessica Blandy, ou quand il déclare à monsieur Chance qu'il n'a aucun regret.



Arrivé au tome 22, le lecteur sait à quoi s'attendre, et les auteurs tiennent leurs promesses implicites : des meurtres évoquant les actes d'un dérangé, une narration visuelle réaliste soignée, des comportements d'adulte. Il voit bien que Jean Dufaux a développé son intrigue sur la base d'un concept (un tueur liquidant des individus ayant perdu l'envie de vivre), avec en tête des références musicales précises qu'il énonce (Keith Richards, Muddy Waters, John Mayall, Mattias Hellberg, Dylan Thomas). Le résultat fonctionne bien car Jessica Blandy n'est pas qu'un artifice narratif, et le tueur est habité par sa mission. Le lecteur peut donc s'identifier à l'héroïne qui doit se confronter avec un souvenir traumatique, et au tueur qui accomplit une mission honorable. Un polar sondant une facette angoissante de l'humanité.
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Jessica Blandy, tome 20 : Mr Robinson

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 19 : Erotic attitude (2000) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2001, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée et mise en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Elle compte 46 planches. Elle a été rééditée dans Magnum Jessica Blandy intégrale T6 qui contient les tomes 18 à 20.



Un train entre en gare de New York : parmi les passagers qui en descendent se trouve Eugène Palma Robinson, ex inspecteur de police de la côte Ouest dont les intérêts étaient souvent en conflit avec ceux de Jessica Blandy. Il est venu pour traquer une proie : une femme à qu'il veut faire payer ce qu'elle lui a fait subir. Jessica Blandy est assise sur un banc, avec Horneby à ses côtés, un afro-américain d'un certain âge en habit de chauffeur de maître. Il lui explique qu'il travaille pour Miss Lilian, une femme d'un certain âge elle aussi, riche, qui a lu ses livres et qui a été touchée par la compassion pour les marginaux, les rejetés et les exclus, qui s'en dégage. Pendant un temps, elle a fondé et subventionné le centre Hamler, un institut pour handicapés physiques et mentaux, géré par sa fondation. Il a dû fermer suite à un scandale : suite à un appel pour incendie, les pompiers ont découvert trois cadavres menottés appartenant à des patients. De son côté, Robinson est accosté par Moonsie : ce dernier lui indique que Blakie est sorti de son trou et qu'il a peur. Horneby continue : parmi les décombres, les ouvriers ont retrouvé un carnet de notes et une photographie qu'il tend à son interlocutrice. Jessica Blandy la prend et constate qu'il s'agit d'une photographie d'elle nue. Elle accepte de rencontrer miss Lilian.



La nuit, monsieur Robinson a trouvé son contact : madame Moreno. Il l'aborde et lui indique que Jackie est toujours vivant et qu'il a été aperçu récemment : il va les conduire à la femme qu'il cherche et elle va payer. Le lendemain, Jessica Blandy se trouve dans le luxueux salon de Miss Lilian, et Horneby leur sert un verre de vodka à chacune et miss Lilian donne sa version de ce qui s'est passé du scandale de l'institut Hamler et la manière dont elle a mis fin à l'affaire en payant la famille des victimes, fermant les portes de l'institut et renvoyant le personnel. Mais voilà, le souvenir des victimes la hante et elle veut savoir. Elle a songé à engager un enquêteur, mais la présence de la photographie de Jessica et la lecture de ses livres l'ont incité à l'engager elle. Elle met Horneby à sa disposition pour l'aider et lui laisse les carnets. Elle lui suggère d'aller interroger la veuve d'Emmett Walt, le gardien de nuit, et le rédacteur du carnet. De son côté, Eugene Robinson progresse également et il arrive à son rendez-vous dans un salon de billard clandestin où l'attendent trois individus peu commodes. Il a vite fait de les calmer : l'un d'eux lui confirme que Blakie est passé et qu'il cherchait quelqu'un du nom d'Emmett Walt.



C'est le retour du terrible Eugene Palma Robinson, personnage semi-récurrent de la série, commissaire de police aux méthodes très personnelles (comprendre violentes, avec intimidation, chantage et élimination pure et simple si nécessaire), auquel Jessica Blandy s'est frottée à plusieurs reprises, et dans la chute duquel elle a pris part dans le tome Jessica Blandy, tome 18 : Le contrat Jessica (2000). Les auteurs font en sorte que les séquences consacrées à Robinson débouchent sur une case représentant Jessica, comme si sa vengeance était dirigée contre elle. Mais dès le début, le lecteur n'y croit pas parce que le motif de cette vengeance n'est pas explicite et ne semble en rien être rattaché à elle, et que les personnes à la rencontre desquelles il va n'ont aucun lien avec elle. Cela n'empêche pas de piquer la curiosité du lecteur quant à découvrir sa véritable cible et sa motivation. Renaud représente un individu massif, en obésité morbide, avec un double (triple ?) menton, une expression de visage désagréable. Robinson se fait même la remarque qu'il devrait perdre du poids en planche 35. Renaud montre que les gens se tiennent à bonne distance de lui, son allure les repoussant inconsciemment. Son langage corporel monte des gestes effectués à l'économie, c’est-à-dire uniquement dans l'efficacité, sans chercher à impressionner, en faisant mal directement. D'un côté, le lecteur part avec un a priori négatif sur le personnage, de l'autre il l'admire pour son manière professionnelle et compétente dont il procède. Il prend conscience qu'il s'investit émotionnellement dans ce personnage bien incarné.



Le lecteur retrouve évidemment Jessica Blandy avec plus de plaisir car c'est un personnage plus positif, et également l'héroïne de la série. Elle est toujours aussi élégante, avec de belles tenues : une mini-jupe avec un chemisier au décolleté descendant au-dessous du nombril, un pantalon droit avec un chemisier blanc à manche longue, une jupe fuchsia arrivant à mi-cuisse avec un beau blazer, une robe brune fendue assez haut. L'artiste ne transforme ces apparitions en défilé de mode, mais il soigne discrètement les toilettes de Jessica, attestant de son goût pour s'habiller, et de sa conscience de son corps, sans pour autant le mettre en valeur comme un objet publicitaire. Cette fois-ci, elle tient le rôle central dans l'enquête qui mène au coupable. Elle est engagée pour remplir cette mission, ce qu'elle fait avec l'aide du majordome de miss Lilian, pour le coup une dynamique très proche d'un roman policier traditionnel. Horneby l'emmène d'un endroit à un autre en limousine. Elle évolue dans des cercles sociaux ordinaires, sans la misère noire présente dans la plupart des tomes. Il est question de sa nudité, mais sans que le lecteur ne la voie dans le plus simple appareil : cela se limite à une photographie qui n'est jamais représentée dans une case. Elle semble calme et apaisée. Son visage sourit au lecteur à plusieurs reprises.



Même si le récit se déroule presque exclusivement à New York, les auteurs varient les lieux. Le lecteur peut se projeter à chaque endroit grâce aux dessins minutieux et précis avec des détails concrets et réalistes : les escalators de la gare ferroviaire, le banc en pleine rue entre deux pots avec arbuste, les étals du marché découvert, les devantures des magasins dans un quartier populaire, les échelles métalliques de secours sur les façades immeubles, l'intérieur d'une église à l'occasion d'un rendez-vous, la façade d'une autre église à l'occasion d'un entretien sur un banc de l'autre côté de la rue, une énorme structure d'antenne relais métallique, la salle d'un restaurant de luxe, les rues d'un quartier chaud, une zone pavillonnaire. Comme à son habitude, Renaud épate en sachant préserver une lisibilité facile, avec des descriptions détaillées. Le lecteur note que la colorisation est devenue plus évidente, avec de beaux effets. La plupart du temps, Renaud utilise une palette naturaliste et de temps à autre, il se sert des couleurs pour un effet particulier. Dans ce deuxième registre, il y a les cases en fuchsia pour les salles de l'institut quand Jessica lit le carnet de notes : un effet de tension et d'angoisse, évoquant un état d'esprit dégageant une ambiance d'agressivité latente. En planche 22, l'artiste oppose des cases noyées dans le vert d'un revêtement en marbre avec celles proches du pourpre de l'acte violent, pour un contraste saisissant. Il y a également cette scène de deux pages sous la pluie dans une ambiance verdâtre inquiétante.



Les auteurs reviennent avec une fluidité élégante et raffinée aux bases de la série : les crimes atroces commis par un individu anormal. Cette fois-ci, le scénariste a choisi d'affliger le criminel d'une difformité physique, ce qui n'apporte pas grand-chose l'intrigue. C'est le seul élément visuellement sensationnaliste du récit. Il n'enlève rien au fait qu'il n'y a pas d'explication rationnelle à ces actes abjects et barbares. Ils sont le fait de deux individus travaillant en équipe, comme si leurs folies s'étaient révélées compatibles et étaient entrées en résonance, se justifiant l'une l'autre et déclenchant un passage à l'acte très organisé. La réaction corporelle de Jessica Blandy en découvrant ces actes dans le carnet montre leur caractère inhumain sans que le dessinateur ait besoin de les représenter. La détermination farouche de monsieur Robinson agit de même. Cela suffit à convaincre le lecteur, car il a peut-être déjà été confronté à ce genre de crimes dans les gros titres des journaux. Les auteurs savent montrer que les deux criminels agissent sous le coup d'une conviction relevant de la pulsion qui ne peut pas être raisonnée, et aucunement maîtrisée. Ils brisent une des principales lois morales qui est de ne pas faire du mal à autrui, encore moins de le faire souffrir sciemment, tout en ayant la conviction d'œuvrer pour leur bien. Le lecteur éprouve pleinement ce point de vue anormal, à l'opposé des règles implicites de la société, et sans possibilité de guérison, ni même de thérapie : un comportement monstrueux, assumé et sans effet négatifs pour les deux criminels.



Il s'agit d'un excellent tome de la série : des crimes sordides, une enquête menée de façon laborieuse, sans héros à l'intelligence supérieure ou avec des capacités physiques extraordinaires. La narration visuelle est simple et factuelle en apparence, réalisé par un artiste d'excellent niveau. L'histoire met le lecteur face à l'anormalité de comportements déviants assumés, pour une sensation de malaise qui le confronte à ses propres certitudes sur la normalité.
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Jessica Blandy, tome 13 : Lettre à Jessica

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 12 : Comme un trou dans la tête (1996) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 1997, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée par Renaud (Renaud Denauw), et mise en couleurs par Béatrice Monnoyer. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy, tome 4 : Magnum Jessica.



Dans un appartement anonyme d'un immeuble à San Francisco, Gus Bomby est en train d'écrire une lettre à Jessica Blandy, assis à une table. Il raconte ce qui s'est passé quelque part dans une région désertique proche de San Francisco, au premier étage d'un bâtiment industriel désert, l'ancien dépôt du père Jonas. Il prenait un bain à l'étage, et Larry Oldar patientait au rez-de-chaussée. Un groupe de trois tueurs est arrivé. Deux d'entre eux ont criblé Larry Oldar de balles, pendant que le troisième montait s'occuper de Gus Bomby. Ce dernier a réussi à prendre le tueur par surprise et à le tuer. Puis il est descendu pour savoir ce que devenait Larry Oldar et a vu les 2 tueurs accueillir un assassin appelé Konobo qui a tiré une balle dans l'oeil droit de Larry. L'espace d'un instant, Gus Bomby a pu voir le visage de Konobo, assassin professionnel dont personne ne connaît l'identité. Bomby remonte rapidement à l'étage et abat un poursuivant. Il parvient à l'escalier extérieur et abat un deuxième poursuivant. Il atteint sa voiture et appuie sur le champignon, réussissant à échapper de justesse à Konobo. La lettre est bien parvenue à Jessica Blandy qui la lit sur une plage. Elle décide d'accepter de contacter Gus Bomby selon les termes de sa lettre et se rend à son bureau. Elle y parvient alors qu'il est encore la proie des flammes. Fort heureusement, Pearl, la secrétaire de Gus Bomby, n'était pas dans les locaux, Gus non plus. Par contre, elle croise l'inspecteur Robby dans la foule : il s'étonne de la voir là, soupçonnant qu'elle sait quelque chose.



Jessica Blandy décide de suivre la seule piste mentionnée dans la lettre de Gus Bomby : se rendre à l'ancien dépôt du père Jonas. Sur place, elle découvre les traces de sang, et se fait surprendre par l'inspecteur Robby lui aussi sur place. Sachant qu'il ne tirera aucune information de Jessica Blandy, il lui explique que Gus Bomby travaillait pour le parrain Perez Oldar et qu'il était chargé d'assurer la protection de son fils Larry, avec les résultats que l'on sait. Dans sa luxueuse villa, Perez Oldar est en train de donner ses consignes à 5 de ses hommes pour qu'ils retrouvent Gus Bomby et l'abattent en ramenant la preuve de sa mort. Puis il se rend chez le parrain Cervino avec d'autres hommes de main et son second Osmond. Ils ont une discussion tendue au cours de laquelle Cervino reconnaît être celui qui a passé un contrat sur Larry Oldar, et qu'il a employé les services de Konodo. Perez Oldar abat lui-même Cervino. Jessica Blandy est en train de jouer au boulingrin quand quelqu'un vient la trouver sur le terrain pour lui dire qu'elle est attendue dans les tribunes. Elle s'y rend et reconnaît Pearl, la secrétaire de Gus Bomby. Elle lui explique que Konobo est aux trousses de Gus Bomby, et qu'il veut se livrer à la police.



Renaud et Jean Dufaux ont produit 24 albums de Jessica Blandy entre 1987 et 2006, ce qui induit la question de se renouveler pour ne pas se répéter, mais aussi sans trahir les fondamentaux de la série. le lecteur retrouve bien Jessica Blandy quelque part sur la côte ouest des États-Unis, mêlée à une série meurtres. L'entame du récit reprend à la fois le principe d'un texte écrit (par le passé des flux de pensées, ici pour le coup littéralement écrit puisqu'il s'agit d'une lettre de Gus Bomby) et d'une situation déjà en cours. Jean Dufaux remet en scène des personnages semi-récurrents : le détective privé Gus Bomby apparu pour la première fois dans le tome 1, l'inspecteur Robby lui aussi présent par intermittence depuis le premier tome. Cette fois-ci ce sont les magouilles de Bomby qui entraînent Jessica dans une série d'assassinats. Comme à leur habitude, Dufaux & Renaud choisissent des lieux à l'écart des routes touristiques. de ce point de vue, le principe d'un dépôt abandonné en plein désert fonctionne bien, emmenant le lecteur hors des sentiers battus. Les dessins précis montrent bien la bâtisse avec ses murs de brique rouge, le grand ciel ouvert avec rien alentours, les grands espaces intérieurs poussiéreux et désaffectés, avec des escaliers mécaniques fonctionnels, et un équipement de luxe (une baignoire à l'étage). L'affrontement contre les hommes de main contraint Gus Bomby de passer de pièce en pièce, et Renaud a agencé les pièces entre elles, de manière logique et plausible.



La description de cette partie des États-Unis se poursuit dans les rues de San Francisco, avec les bureaux de Gus Bomby en train de brûler, dans un immeuble très banal. Les décors deviennent plus intéressants avec la superbe villa de Perez Oldar et sa piscine, l'intérieur de la villa de don Cervino et sa grande baie vitrée, Renaud se montrant toujours aussi investi dans la dimension architecturale des dessins. La suite sort plus de l'ordinaire de la série puisque le lecteur met les pieds sur un terrain de boulingrin, avec des joueurs effectivement habillés en blanc, mais des boules pas tout à fait conformes à la réalité et un cochonnet trop gros. Il faut croire que Renaud ne disposait de documents de référence assez précis. Dans la planche 15, le lecteur a le plaisir d'avoir une vue du ciel de la villa que Jessica Blandy s'était faite construire dans le tome 7 Jessica Blandy, tome 7 : Répondez, mourant... (1992). À nouveau, Renaud soigne la dimension architecturale de la construction. Il s'agit d'un clin d'oeil à une histoire passée pour les lecteurs fidèles, mais qui ne constitue en rien un élément indispensable à l'intrigue. Planche 18, le lecteur monte à bord d'un trolleybus typique de San Francisco, et en planche 21 il a une belle vue sur l'une des rues en pente de la ville. Un petit pique-nique en bordure d'océan vient compléter son plaisir de pouvoir se promener dans cette région des États-Unis. Renaud est un dessinateur étonnant dans le sens où il ne cherche pas à faire admirer son travail, par exemple dans de grandes cases. Ainsi, planche 39, il réalise une vue du ciel magnifique de la route côtière, avec une crique et l'océan d'un côté, la falaise boisée de l'autre, comme ça juste en passant, mais avec un réalisme tel que le cerveau du lecteur se met à penser à mettre les pieds dans l'eau, ou à se promener sur la plage.



Les personnages disposent d'autant de caractère que les décors. le lecteur peut voir le corps un peu décharné et sec de Gus Bomby dans la baignoire, ainsi que son visage effilé. L'inspecteur Robby n'a pas perdu son surpoids (ni sa manie de parler de lui à la troisième personne du singulier). En le regardant avec sa chemise à manche longue, ses bretelles et son galurin, le lecteur peut quasiment sentir son odeur de sueur (Renaud a d'ailleurs représenté les auréoles de sueur au niveau des aisselles dans la planche 28). Les figurants ont également droit à des visages et des morphologies différentes que ce soient les badauds regardant l'incendie en planche 7, ou les enfants et les parents à la fête foraine dans la planche 14. Jessica Blandy est toujours aussi belle : un corps parfait, des cheveux coupés courts et un visage qui ne sourit quasiment jamais. Cette fois-ci, elle rencontre une femme qui lui plaît, ce qui donne lieu à deux scènes dénudées. Il s'agit de rapports consentis entre adulte, et la nudité apparaît normale et pas forcée. Un peu plus loin, Jessica a été poussée dans une piscine tout habillée et elle en ressort avec sa petit robe blanche trempée et à moitié transparente pour une case que le lecteur n'est pas près d'oublier.



Il y a quand même un personnage qui ressort comme étant moins naturaliste que les autres : Konobo. À part pour la séquence introductive, il apparaît vêtu d'un long imperméable, d'une écharpe rouge qui lui cache le bas du visage, de grosses lunettes de soleil pour masquer le haut du visage et d'un chapeau à large bord, dissimulant ainsi efficacement son identité. Cet aspect théâtral semble forcé et attire l'attention sur le fait que les trois tueurs de la première séquence ont vu son vrai visage. D'un autre côté, Jean Dufaux a évité la répétition en créant ce tueur professionnel insaisissable, devenu une légende du fait de sa précision et de son anonymat. En cela, il s'écarte du principe présent dans les tomes précédents : celui d'un assassin tuant sous l'effet d'un déséquilibre mental, d'une forme de folie le rendant toxique pour la société. Ici, il s'agit d'un professionnel et lorsque son identité est révélée, le scénariste donne des motivations très pragmatiques. Il a construit son récit comme une enquête, beaucoup plus traditionnelle dans son déroulement et sa conclusion que celle du tome précédent reposant sur la synchronicité et l'absence de sens. L'histoire n'en est pas moins intéressante, mais, sur ce point, elle s'écarte du schéma habituel des histoires de la série. Cela s'accompagne d'une diminution du mal-être de Jessica, mais pas d'une disparition. En s'adressant à son amante, elle constate qu'elle a parfois l'impression qu'un vide se crée autour d'elle que ses amis s'éloignent, rejoignent l'ombre, la laissant seule, sans écho, sans illusions. Parfois, quand elle se sent fatiguée ou découragée, comme maintenant, elle a envie de les rejoindre, de se reposer à l'ombre elle aussi. Ne plus penser est devenu un luxe.



Jean Dufaux et Renaud continuent de mettre Jessica Blandy au centre de meurtres et à la faire participer à l'enquête, cette fois-ci plutôt de bonne grâce. Renaud est toujours aussi impressionnant dans sa représentation des environnements de cette partie des États-Unis, tout en discrétion, mais toujours aussi précis et rigoureux (à l'exception des boules du boulingrin). le scénariste diminue le niveau de déviance mentale, pour une enquête plus classique sur un assassin professionnel, pas complètement crédible. Il est probable qu'un lecteur découvrant la série avec ce tome ne serait pas entièrement satisfait, contrairement à un lecteur de longue date comblé de pouvoir retrouver cette héroïne, et prêt à consentir un peu plus de suspension d'incrédulité pour apprécier les éléments nouveaux.
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La route Jessica, tome 2 : Piment rouge

Sans respect, il n'y a que des perdants.

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Ce tome fait suite à La route Jessica, tome 1 : Daddy ! (2009). C'est la deuxième partie d'un triptyque : il faut donc avoir commencé par le premier tome. La première édition de celui-ci date de 2009. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, et par Renaud (Denauw) pour les dessins et les couleurs. L'histoire se termine dans La route Jessica, tome 3 : Le désir et la violence (2011). Il y a eu une série dérivée en 2 tomes : Crotales en 2014, par Renaud & Gihef.



La femme nommée Jessica Blandy s'est arrêtée ici, à Taxco de Alarcón, une ville du Mexique. Elle prend un verre à une unique table sur une terrasse. Un homme en costume avec une mallette approche : il l'informe que l'adolescent Rafaele a rejoint la bande d'Anita Royola, dit Piment Rouge. Il va bientôt recevoir son premier contrat, et alors plus personne ne pourra le récupérer. Dans une autre ville du Mexique, Soldier Sun prend un verre avec un informateur. Celui-ci lui explique qui est Anita Royola, fille du gouverneur, enfance dorée, habile au fusil, mariée à vingt ans à un riche industriel décédé peu de temps après dans de mystérieuses circonstances. Personne n'ose lui tenir tête. Son frère El Presidio est mort dans des circonstances mystérieuses. Elle a été surnommée Piment Rouge car si on la caresse, les mains brûlent. Si on l'embrasse, la bouche est en feu. Et si on l'aime, on ne sera que cendres. Soldier Sun rejoint sa fille Agripa au marché, où elle est en train de regarder les piments rouges. Son père lui annonce que le terrain est miné, ça sera plus difficile qu'il ne le pensait. Il lui demande si elle a entendu parler d'une bande armée qui se fait appeler Atapulta.



La nuit dans une ville du Mexique, Rafaele est en train de passer un sinistre rite d'initiation : il doit recouvrir de terre un homme vivant allongé dans une fosse. Il ne parvient pas à accomplir cette tâche, car le jeune homme au fond de la tombe le regarde d'un air suppliant. Autour d'eux, de nombreuses croix en bois marquent l'endroit de tombes identiques avec l'inscription Atapulta peinte en rouge dessus. Anita Royola se réveille tout habillée sur son lit : elle a encore fait le même cauchemar, avec une tête de squelette portant du rouge à lèvres et un chapeau avec des marguerites. Elle entend qu'on l'appelle. Deux de ses gardes indiquent qu'un homme se tient devant la grille d'enceinte et veut lui parler. Soldier Sun lui fait signe en indiquant qu'il veut lui parler d'El Presidio. Royola prend le revolver de Peppe et s'approche de l'intrus en le menaçant depuis l'autre côté de la grille. Sun l'informe qu'il peut lui dire qui a tué son frère. Elle lui dit de passer par derrière, elle va l'attendre sous les arches. Sun obéit et il est attaqué par trois nervis. Il se défend plutôt bien en en assommant un d'entrée de jeu. Un autre a sorti un couteau et malgré son esquive, Sun se retrouve avec une estafilade superficielle à la joue, puis une autre au ventre. Il ramasse un tuyau que maniait un de ses agresseurs et s'apprête à les dérouiller, quand Royola l'interrompt. Il lui explique qu'il a besoin de son aide pour éliminer Jessica Blandy.



Le lecteur revient en sachant qu'il va assister à un nouveau carnage avec des tueurs assez particuliers. Soldier Sun reste un individu d'une quarantaine ou cinquantaine d'années, en excellente forme physique, sans un iota d'empathie pour les autres êtres humains, tuant de manière efficace et raisonnée : un professionnel rapide et compétent. Sa fille Agripa est tout aussi compétente, mais voue un culte à son père, relation malsaine quasi incestueuse. La coupe de cheveux de Blanche est toujours aussi impeccable, et son obsession pour les seringues est toujours aussi morbide. Elle montre, elle aussi, un signe de déséquilibre mental, en plus de tuer avec facilité. Comme à son habitude, Renaud aime bien dessiner les jolies femmes et le scénariste lui a cousu un récit sur mesure. Le lecteur retrouve donc Jessica Blandy le temps de courtes séquences : 6 pages sur un total de 54. Elle est toujours aussi svelte, avec un caractère posé, en étant ferme dans ses décisions. Elle ne change de toilette qu'une seule fois : 2 robes d'été. Agripa est habillée comme une allumeuse, comme une petite fille qui joue avec ses charmes. Anita Royola change de toilettes plus régulièrement, passant d'un jean avec un haut d'été, à un bikini riquiqui qu'elle n'hésite pas à enlever devant trois de ses hommes de main qui ne ressentent alors qu'une forte crainte, dépourvue de toute concupiscence.



Avec les assassinats vient la violence, une composante présente depuis le début de la série. Cela commence dès la planche 5, avec cet individu enterré vivant, et ce jeune adolescent qui ne parvient pas à le regarder en face alors qu'il jette une pelletée de terre sur lui, et cet autre adolescent qui le menace d'une arme à feu. Ça continue avec le test de Soldier Sun : coups de poing, nez cassé, estafilade avec un couteau, coup de pied : les dessins de Renaud son factuels et secs comme à son habitude, avec une mise en scène qui établit la logique des déplacements de chacun, l'enchaînement des coups de ces 4 bagarreurs. Par la suite, Soldier Sun loge une balle dans la rotule d'un homme de Royola : du sang, une douleur intense visible sur le visage de l'homme au point qu'il est étonnant qu'il ne s'évanouisse pas. C'est d'ailleurs une des caractéristiques du scénario que de concevoir des moments visuels marquants, même en exagérant un peu la situation. Cela se remarque, parce que pour le reste la narration visuelle s'inscrit dans un registre naturaliste avec une légère touche touristique. Ainsi le lecteur éprouve des difficultés à croire qu'Anita va vraiment se baigner pour aller contempler des cadavres lestés de pierre en train de se décomposer dans l'eau. De même la pente du promontoire rocheux depuis lequel elle plonge semble un trop incliné pas assez à pic pour qu'elle ne risque pas de tomber sur les rochers plutôt que dans l'eau. Il en va de même pour Anita se tenant nue sur une plage après sa baignade, devant ses hommes de main, ou Salina Santilla contemplant des piments en train de sécher, en écho au surnom d'Anita Royola.



Jean Dufaux traite la psychologie de ses personnages un peu de la même manière. Déjà dans le tome précédent, il n'était pas facile de croire à la plausibilité de la relation entre Agripa et son père : l'admiration quasi incestueuse d'elle pour lui, le fait qu'il fasse équipe avec elle, la mettant en danger, et ayant une partenaire compétente mais aux réactions parfois immatures, ou étranges. Dans ce deuxième tome, il fait de même pour Anita et son admiration sans borne pour son père décédé. D'un côté, le lecteur veut bien se laisser entraîner parce qu'il a déjà eu l'exemple d'Agripa sous les yeux, et que ça fait partie implicitement de la suspension d'incrédulité consentie. D'un autre côté, il aurait apprécié que le scénariste prenne deux ou trois cases supplémentaires pour développer cette adulation de manière à la rendre plus fondée. À ce rythme, il se dit que Blanche est partie pour révéler une relation du même type dans le prochain tome. Passé ces détails plus ou moins sensibles pour le lecteur, il se plonge dans la traque menée par Soldier Sun et sa fille pour éliminer Salina Santilla, comme cela avait été annoncé dans la dernière page du tome précédent. Ce personnage est apparu pour la première fois dans Jessica Blandy, tome 6 : Au loin, la fille d'Ipanema... (1990), une aventure particulièrement éprouvante pour Jessica, et elle était revenue dans Jessica Blandy, tome 18 : Le contrat Jessica (2000). Dans le même temps, les deux dernières apparitions de Jessica se déroulent au temps présent et le lecteur peut apprécier qu'elle aille mieux, qu'elle soit dans une phase constructive : elle a arrêté de boire, et elle veut retrouver son fils adoptif. Le lecteur se plonge donc avec plaisir dans la suite de cette histoire, bien tordue, avec des personnages abîmés et dangereux… jusqu'à la dernière page. Il reste interdit devant Soldier Sun décidant de ne pas éliminer Jessica Blandy dans l'avant-dernière page, en découvrant la suite de la liste des contrats dans la dernière page.



Pour le lecteur qui a suivi la série depuis le premier tome, c'est toujours un plaisir de retrouver les magnifiques planches de Renaud, toujours aussi convaincant pour représenter les femmes fatales, et pour emmener le lecteur dans des endroits magnifiques : la ville de Taxco sur un flanc de montagne, le marché alimentaires et ses étals, les arches du jardin de Royola, des plages pour touristes avec un bon budget, une plage privée, le car traversant un désert avec ses cactus, les piments à sécher, le magasin de vêtements, etc. Les scènes de violence sont malsaines à souhait, pour peu que le lecteur accepte de consentir un petit peu plus de suspension d'incrédulité, ou d'y mettre un peu du sien. Le récit exhale alors les saveurs vénéneuses que le lecteur est venu chercher.
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Jessica Blandy, tome 21 : La Frontière

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 20 : Mr Robinson (2002) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2002, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée et mise en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Elle compte 46 planches. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - L'intégrale - tome 7 qui contient les tomes 21 à 24.



À New York, Forest Dingley, un inspecteur de police afro-américain est en train de s'habiller, alors que Jessica Blandy est encore au lit. Il est en train de regarder une photographie du régiment des Hellfighters, le quinzième régiment d'infanterie en 1917 dont son grand père faisait partie. C'est lui qui s'est occupé de la mère de Forest quand son père a disparu. Un matin, il s'est levé, il a pris ses affaires et il s'est retourné vers son épouse en lui disant qu'il savait maintenant où est la frontière, qu'une sorcière noire la garde, mais qu'il avait une chance de passer. Il est sorti et il n'est plus jamais revenu. Le policier part au boulot, en laissant Jessica profiter de son appartement. Il sort : un ciel pur, des couleurs tranchées. On pourrait s'y tromper. Croire qu'une belle journée vos attend. Pour certains, ce sera une réalité. Pour d'autres une désillusion cruelle ou blessante. Robert Dingley fait partie des autres…



Forest Dingley est un flic, un bon flic même. Mais ce matin-là, comment aurait-il pu deviner que sa vie allait basculer, que lui aussi approchait de la frontière. Il arrive au commissariat et entend un collègue prendre la déposition d'un homme âgé. Le fils de ce dernier a disparu. Kevin Mason, 23 ans, a indiqué à son père qu'il avait enfin trouvé ce qu'il cherchait, qu'il allait rejoindre la sorcière noire pour se payer du bon temps et que ce n'était pas la peine de l'attendre. Il n'est pas revenu depuis presque deux mois. Dingley indique à son collègue qu'il prend en charge cette affaire. Peu de temps après, il a un rendez-vous avec Charlène Blaine, la conjointe de Kevin avec qui il envisageait de se marier. Comme le père de Kevin, elle indique qu'il ne se droguait plus, mais qu'il avait été recontacté par un individu louche Le soir, Forest Dingley rejoint Jessica Blandy à une soirée. Elle le présente à monsieur Obergast, un individu qui a du mal à accepter qu'elle fréquente un afro-américain. Forest entraîne Jessica dans l'arrière-salle pour rencontrer le Passeur qui se tient derrière le comptoir, dans la pénombre. Dingley pose des questions sur qui aurait pu fournir Kevin Manson en amphétamines de type Blue Bayou, alors que de grands costauds sont arrivés derrière eux, et que l'un d'eux commence à caresser Jessica sous sa robe.



Après une histoire bien glauque de maltraitance sur des handicapés, le duo Renaud & Dufaux met à nouveau Jessica Blandy au contact d'individus au comportement déviant. Cela commence doucement avec cette légende urbaine de l'individu qui décide de tout plaquer du jour au lendemain : de partir de chez lui et de ne plus jamais y revenir, sans donner signe de vie à sa famille, ses parents ou sa femme et ses enfants. Le scénariste déroule son intrigue de manière très régulière : Jessica Blandy et Forest Dingley interrogent un témoin après l'autre, le premier suggérant de contacter le suivant et donnant son adresse, ou peu s'en faut. Bien sûr, il y a des obstacles : un interlocuteur qui a passé l'arme à gauche avant qu'il ne puisse être contacté, et un prix à payer au péril de sa vie. Pour autant, l'enquête progresse de manière implacable. Dufaux joue un peu avec l'écoulement du temps, certaines séquences se suivant dans la même journée, d'autres étant séparées par plusieurs semaines. Le lecteur ne s'en retrouve pas moins accroché par le mystère de ce que peut être cette frontière. Il retrouve avec plaisir Jessica Blandy toujours aussi calme et déterminée, rien ne pouvant entamer sa résolution d'aller jusqu'au bout. Il se prend vite de sympathie pour Forest Dingley, même s'il sait peu de choses sur lui, juste parce que ce personnage jouit du respect et l'amour de Jessica Blandy. Les personnages du Passeur et de la sorcière le font sourire car ils jouent un rôle mystérieux, tout en étant inquiétants par l'emprise qu'ils ont sur d'autres êtres humains.



Le rythme posé de l'intrigue incite le lecteur à prendre le temps de regarder les cases à loisir. L'aménagement de la chambre à coucher de Dingley n'est pas spectaculaire par sa décoration, mais unique par son mur en briques apparentes, les cadres accrochés au mur et un effet d'espace ouvert qui donne à penser qu'il n'y a pas forcément un mur de séparation avec le salon. Le lecteur contemple ensuite une vue sur des façades d'immeubles, avec les réservoirs typiques en bois sur les toits, les façades avec de nombreuses fenêtres toutes identiques, et des gratte-ciels disparates attestant d'un urbanisme de type libéral. Au cours du récit, il peut contempler la ville depuis le trottoir à plusieurs reprises en relevant les détails : le bloc d'air conditionné à l'extérieur sous la fenêtre, une riche demeure dans les faubourgs, une rue déserte avec les échelles métalliques de secours en façade, un quartier résidentiel défavorisé avec une dent creuse (l'équivalent d'un gros pâté de maison en France), et à nouveau une vue un peu éloignée d'immeubles, en pied rendant bien compte de l'échelle des gratte-ciels à New York.



Sur le fil directeur de son intrigue, le scénariste sait faire en sorte de promener ses personnages, chaque nouvelle rencontre se produisant dans un nouveau lieu. C'est un dispositif narratif qui permet d'éviter une forme d'uniformité d'une discussion à une autre, et d'apporter des informations visuelles nourrissant elles aussi l'histoire. Là aussi, les images invitent le lecteur à consacrer un peu de temps : regarder les fonctionnaires de police et les civils dans la grande salle du commissariat, avoir envie de s'assoir à la table de Charlène pour prendre un café avec elle dans cet établissement peu fréquenté à cette heure-là, naviguer de groupe en groupe dans cet hangar industriel reconverti en lieu de fête en détaillant les tuyauteries apparentes et les poutrelles métalliques, s'assoir sur la pelouse devant le fleuve aux côtés de Jessica Blandy pour profiter du calme de la verdure et de la silhouette des gratte-ciels dans le lointain, prendre place à une longue table froide et métallique pour une séance d'un genre très particulier. Renaud est toujours aussi épatant pour décrire des lieux plausibles, concrets, dont l'aménagement entretient une étroite relation avec la scène qui s'y déroule, et une incidence sur le comportement des personnages.



Bien sûr, le lecteur est impatient de retrouver Jessica Blandy : toujours aussi séduisante et toujours aussi endurcie. Cette fois-ci, elle ne se retrouve pas nue, et ne doit subir qu'un pelotage de sein. Elle est toujours aussi magnifique sous le crayon de l'artiste, avec une distinction et une classe naturelle qui en impose. Comme à son habitude, Renaud ne cherche pas à épater le lecteur par des toilettes exquises : il ne fait que montrer que Jessica sait choisir la bonne toilette dans sa garde-robe, une robe très échancrée pour une soirée mondaine, une robe un peu plus sophistiquée pour un dîner, une robe noire stricte pour le deuil, un pantalon et un corsage pour marcher en ville. La direction d'acteur reste dans un registre naturaliste, donnant ainsi encore plus de personnalité à Jessica Blandy, et aux autres. Ces derniers existent avec le même naturel sur la page : Forest Dingley assuré et agréable, Kevin Manson aux abois et fiévreux, Charlène Blaine sûre d'elle avec une magnifique chevelure, sans oublier la sorcière noire jouant son rôle, totalement habitée par ses certitudes. Le lecteur observe Jessica Blandy, et observe avec elle les personnages qu'elle rencontre.



Le scénariste fait reposer la dynamique de son récit sur une disparition et de mystérieux propos évoquant une frontière à atteindre et à franchir, ainsi qu'une mystérieuse sorcière noire. Jessica Blandy et Forest Dingley suivent les traces de Kevin Manson découvrant très progressivement ce qui a pu l'inciter à tout quitter. La nature de ce qu'il cherche n'est révélée que dans l'avant-dernière scène qui dure 9 pages. D'un côté, Jean Dufaux sait bien mettre en scène une envie irrépressible, au point d'en devenir une obsession faisant perdre le sens commun, une forme d'addiction ultime, en même temps que la recherche d'une sensation forte sans égale, en mettant en œuvre des conventions de polars et de thriller. D'un autre côté, le lecteur n'est pas forcément convaincu par le traitement de ces conventions qui apparaissent souvent un peu exagérées, un peu artificielles. La sorcière noire semble singulièrement dépourvue de mystère et de pouvoir de conviction, au point de ne pas être crédible. Les épreuves finales sont bien classiques : elles sont censées acquérir une autre envergure par l'absorption d'un mystérieux breuvage, beaucoup trop mystérieux pour être convaincant, pour dépasser le stade de l'artifice narratif superficiel. En outre, le scénariste ne parvient pas à connecter son récit avec une forme de culture ou une autre, même en citant le Dixieland Jazz band ou Walt Whiteman (1819/1892), et en déclamant des platitudes comme les sortilèges des grandes jungles ou l'esprit libre qui a franchi la frontière.



D'un côté, il est impossible de résister à la narration visuelle de Renaud, toujours aussi élégante et sophistiquée, tout en restant naturelle et discrète. De l'autre côté, la dynamique simple du récit ne suffit pas pour masquer une intrigue manquant de corps.
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Jessica Blandy, tome 18 : Le contrat Jessica

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 17 : Je suis un tueur (2000) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2000, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée et mise en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Elle compte 46 planches. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - Intégrale, tome 6 qui contient les tomes 18 à 20.



Une équipe de trois tueurs se trouve dans un grand hôtel de d'une station balnéaire au Mexique, sur la côte Pacifique. Le responsable appelle leur commanditaire Ernest Zoloco pour indiquer que Jessica Blandy n'est pas dans sa chambre, mais qu'ils vont aller la buter sur la plage. Ils trouvent rapidement une jeune femme allongée sur le ventre, avec un sombrero lui cachant la tête, avec sa clé de chambre à ses côtés, correspondant à la chambre de Jessica. Ils l'abattent en lui tirant chacun une balle dans la tête. L'un d'eux retourne le cadavre et ils découvrent une chevelure rousse : erreur de cible. Le responsable appelle Ernest Zoloco et admet leur erreur. Ils vont continuer leurs recherches. Ernest Zoloco est lui-même sur la plage, en costume, accoudé à un petit bar de plage, sans personne. Il y est abordé par une magnifique jeune femme en maillot vert. Ils papotent un peu et elle lui propose d'aller sur la corniche pour une vue magnifique. Il accepte. La discussion se poursuit au sommet d'une falaise, elle se termine mal pour la jeune femme.



Pendant ce temps-là, Jessica Blandy est au volant de sa voiture et elle arrive dans une ville de moyenne importance au Mexique. Elle va dans un bar pour prendre une bière. Le téléphone sonne, et c'est pour elle : Salina lui donne rendez-vous à l'église de Santa Prisca. Sur place, elle soliloque devant une statue du Christ, puis elle sort. Elle est suivie par un homme qu'elle n'a aucune difficulté à repérer. Elle parvient à passer derrière sans qu'il ne s'en aperçoive et elle le menace avec son pistolet. Il joue les innocents. Salina arrive sur ces entrefaites et assomme l'homme. Puis elle salue Jessica et lui demande ce qu'elle lui veut. Celle-ci explique qu'un contrat a été passé sur sa tête par un inspecteur de la police américaine. Elle a besoin de trouver une planque. De son côté, Gus Bomby est planqué tranquillement chez lui, quand il voit arriver une équipe de 5 tueurs en costume. Il parvient à se sortir de cette mauvaise situation, sans tirer une seule balle. Une fois chez elle, Salina écoute la version longue de l'histoire de Jessica Blandy. Une fois l'explication terminée, Salina a une proposition à faire à Jessica pour la planque, et elle lui annonce le prix à payer.



Finalement non, pas de retour de Razza dans ce nouveau tome, mais une histoire qui met en avant un personnage secondaire des plus désagréables : Robby. Le lecteur apprend enfin son vrai nom : Eugene Palma Robinson. Cet inspecteur de police était présent dès le premier tome de la série, avec un comportement qui l'avait rendu détestable d'entrée de jeu. Sans tambour ni trompette, sans signe annonciateur, Jean Dufaux décide de faire basculer la situation de Robby : il passe de flic vraisemblablement pourri, ses trafics n'ayant jamais fait l'objet de l'intrigue d'un album, à individu aux abois. En parallèle, Jessica Blandy est en cavale essayant de ne pas se faire avoir par les tueurs à ses trousses. Comme à son habitude, elle est au cœur des événements, mais sans avoir un rôle d'héroïne qui résoudrait les problèmes à la force de sa volonté et de ses capacités physiques ou intellectuelle, sans être ni un artifice narratif miracle, ni une potiche. Renaud est égal à lui-même, descriptif et précis, pour des planches sages et posées, malgré les enjeux mortels, et les jeux de contrainte et de pression malsains. Le lecteur découvre donc cette situation in media res, et le scénariste lui apprend progressivement ce qui s'est passé précédemment pour en arriver là.



Indépendamment de l'intrigue, le lecteur sait qu'il va prendre plaisir à découvrir des lieux singuliers, représentés avec précision. Arrivé au dix-huitième album, il s'agit d'une collaboration bien huilée entre artiste et scénariste, et selon toute vraisemblance, ce dernier fait en sorte de jouer sur ce point fort du premier. Le lecteur en a la confirmation dès la première page avec cette case singulière montrant les balcons des chambres d'hôtel par une magnifique vue en plongée sur sa cour intérieure. Ensuite Renaud s'attache plus aux arbres de la plage qu'à la texture du sable qu'il préfère représenter avec la couleur. Les formations rocheuses en bordure d'océan sont déchiquetées et réalistes, l'eau de l'océan étant vivante grâce à la couleur. En planche 3, le lecteur découvre une autre vue d'ensemble splendide : la vision en légère élévation de la ville où arrive Jessica Blandy. En repensant aux différents lieux visités, il prend conscience de leur variété, de l'effet de diversité géographique, et de décalage parfois d'une simple case. Ainsi il va prendre un verre dans un petit bar mexicain, il se recueille devant une effigie du Christ dans une église. Il profite du calme avant le déchaînement de violence dans le salon de Gus Bomby. Il regarde un car traverser une zone désertique. Il admire la luxueuse villa d'Osmond Portland sous plusieurs facettes : son ponton, son kiosque au toit de chaume, ses volumes spacieux et propices à la circulation de l'air dans cette région chaude, la baraque en planches mal jointives où Ernest Zoloco reçoit Portland, etc. Il est pris par surprise avec cette simple case de 5 tueurs avançant dans un champ de blé (planche 9). Renaud & Dufaux ne cherchent pas à épater le lecteur en le baladant d'un endroit magnifique à un autre : le passage par un endroit, par un lieu arrive de manière organique dans l'intrigue, et l'artiste ne se lance pas dans des cases démonstratives pour attirer l'attention. Il réalise des cases pour raconter l'histoire, investissant du temps du talent pour montrer le lieu avec un regard attentif aux détails qui en font son identité, à l'opposé d'une enfilade de lieux génériques.



L'investissement pour que les lieux soient si consistants a une incidence sur les personnages : à aucun moment le lecteur n'éprouve la sensation de voir des acteurs jouant leur rôle sur une scène de théâtre. Chaque protagoniste interagit avec le lieu où il se trouve, se livre à une occupation particulière en utilisant les accessoires de manière organique. Dans un autre endroit, les choses se dérouleraient autrement. En outre, chaque personnage dispose d'une apparence physique unique, se déclinant en postures spécifiques. Le lecteur voit par lui-même que la corpulence de Robby fait qu'il évite les gestes brusques, que la maladie d'Osmond Portland fait qu'il se montre précautionneux dans ses gestes, que Jessica Blandy entretient un rapport d'assurance vis-à-vis de son apparence. Comme souvent dans une de ses aventures, elle se retrouve nue face à un homme ou plusieurs. Sa confiance en elle et son naturel font que le lecteur ressent qu'elle impose sa nudité à son interlocuteur qui en ressent une gêne, à l'opposé d'une victime à la merci d'un individu exerçant une forme de sadisme ou de cruauté mentale pour assurer sa domination. Jessica n'apparaît pas dans toutes les planches, le récit n'est pas raconté de son seul point de vue, ce qui n'obère en rien sa force de caractère, sa présence rayonnante.



Le scénariste prend le lecteur au dépourvu avec ce basculement imprévu de la situation de Robby, un individu détestable apparaissant de manière chronique dans la série. Jessica Blandy continue d'être le point d'ancrage pour le lecteur, toujours aussi belle et forte. Dufaux bâtit son intrigue sur la dynamique d'une course-poursuite, moteur toujours efficace pour insuffler un rythme dans le récit. Il met en œuvre des personnages secondaires apparus de manière encore plus sporadique dans la série, personnages qui ne parleront vraisemblablement qu'au lecteur assidu : le tout jeune adolescent Rafaele, et sa tutrice officieuse Victoria. Il est également fait référence à Kim, une amie décédée de Jessica, apparue pour la première fois dans le tome 1 (1987). Salina était déjà apparue dans Jessica Blandy, tome 6 : Au loin, la fille d'Ipanema... (1990). D'un côté la fonction de Victoria et Rafaele est assez basique (otages potentiels) pour que tous les lecteurs puissent la saisir ; de l'autre cela a plus d'impact pour ceux connaissant leur lien avec l'héroïne. Le scénariste a conçu une intrigue avec une belle mécanique, dont le déroulement se fait de manière linéaire. Même si le caractère de chaque personnage n'est pas très développé, le lecteur perçoit que l'histoire se serait passée autrement si cela avait été d'autres personnages. Ce n'est pas donc une intrigue générique plaquée sur les personnages qui aurait très bien pu se dérouler à l'identique, indépendamment des protagonistes. Le thème sous-jacent de la série reste mineur dans ce tome : les comportements déviants ne sont pas au cœur du récit. Toutefois, le scénariste en intègre au début avec le meurtre gratuit commis par Zoloco, pour bien montrer qu'on ne plaisante pas avec lui. En revanche, le thème de la contrainte par la violence court tout le long de cette histoire, thème également inhérent à la série.



Les auteurs surprennent le lecteur avec cette nouvelle aventure de leur personnage. Jessica Blandy n'est pas confrontée à un nouveau tueur à l'esprit dérangé : elle doit se sortir d'un contrat sur sa tête, passé par un personnage récurrent de la série. Le scénariste met à profit plusieurs éléments et personnages des tomes précédents pour un thriller bien construit. Lui et Renaud savent donner vie aux personnages par leurs actions, leurs expressions, leurs décisions. Le récit est d'autant plus savoureux qu'il se déroule dans des lieux particuliers, réalistes et uniques dans lesquels le lecteur se projette avec plaisir.
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