Ne compte pas sur moi pour te répéter tous les jours que tu me plais parce que je suis persuadé que t’en as déjà conscience. Parce que même si tu me fais bien chier, avec toi j’me sens… réel. J’en ai rien à branler que je paraisse niais, je veux juste que ça rentre dans ton putain de crâne, ajoute-t-il en appuyant son index sur le sommet mon front.
« - Va te faire foutre, Williams.
- Nan. Aucun mec n’en vaut la peine ici.
- Parce que tu crois que toi oui ? ricane-t-il.
- Oh si tu les entendais, ris-je. « Oh Oui Lena, continue », « oh, aucune femme ne t’arrive à la cheville »...
(...)
- Arrête, putain ! s’exclame-t-il. Je ne veux pas savoir ce que mecs...disent. »
Je ne peux refuser l'éventualité que, moi aussi, j'éprouve des sentiments pour lui. Ce n'est pas de l'affinité, et encore moins de l'amitié. C'est bien plus que ça. Plus puissant que du désir. C'est une vive émotion qui pousse nos coeurs à battre à l'unisson, à entremêler nos souffles, et sceller nos esprits, l'un contre l'autre.
D’une manière inexplicable, il tient à moi. Et d’une manière tout autant inexplicable, je tiens à lui. Peut-être même trop. Je pense à lui sans arrêt. C’est idiot. Mais c’est la vérité. Je m’en veux de l’avoir repoussé. J’ai besoin de lui, plus que je ne le crois. Et plus qu’il ne le sait.
Les paroles me paraissent évidentes, et les notes tristes broient mon cœur d’autant plus. Le paysage défile sous mes yeux fatigués. Il est flou, rapide. Je ne distingue pas tout. Juste le soleil d’été haut dans le ciel, dont les rayons solaires m’aveuglent par moment.
Le voyage me paraît durer une éternité. Et durant cette éternité, je me retrouve enfermée dans ma propre tête. Je ne cesse de penser à elle. Puis à ma mère. Mon frère. Tout le monde, en fait.
Je m’imagine dans une autre vie. Peut-être dans l’espace. Peut-être une existence où je ne serais même pas résidante de la Terre, et où je serais libre, où je n’éprouverais pas le moindre sentiment. Loin de tout, loin des Williams, loin de Chase, loin des émotions qui me poursuivent avec acharnement.
On parle souvent du sexisme qu'endurent les femmes, et je suis conscient qu'elles en bavent souvent au quotidien. Mais l'injustice se répercute même chez les hommes. C'est terriblement difficile d'en être un. Tu aimes la danse ? C'est pas viril. Tu apprécies le rose ? C'est pas viril. Tu préfères la douceur à la violence ? C'est pas viril. Sois masculin. Un homme, un vrai. Celui qui n'a peur de rien. Celui qui protège. Celui qui se bat. Celui qui est féroce. Fort. Indépendant. Qui enchaîne les femmes. Séducteur. Les femmes aiment les bad boys après tout, non ? Nous sommes sans cesse formatés par l'image que la société voit en nous. Pourquoi ? On m'a dit que c'était la vie. Que c'était comme ça depuis toujours.
Je le considère avec des yeux ronds, ne parvenant pas à croire ce que je viens d’entendre. Tout explose en moi, le chemin de mes songes déraille, les mots s’emmêlent, et mes gestes restent perturbés.
Chase, autant troublé que moi, passe nerveusement une main dans ses cheveux, et se dirige à l’opposé de moi. Je me mords la lèvre, puis me lève. Je m’avance prudemment et lui touche l’épaule. Il se retourne. Ses yeux bleus percutent les miens. Il me contemple comme si j’étais la plus belle chose au monde, mais qu’il ne faut en aucun cas toucher de peur de me fissurer. Comme une fragile poupée de porcelaine.
Ses prunelles m’envoient une décharge électrique lorsqu’elles rencontrent les miennes. Je bascule dans l’océan de ses yeux. Je vais m’y noyer. Il m’a promis de ne jamais me laisser couler.
- Est-ce qu'on peut briser un coeur qui l'est déjà ?
- Oui. Encore et encore. Même s'il ne reste que des morceaux, alors on peut les piétiner jusqu'à obtenir une poussière de coeur brisé.
La douleur est pour moi une sorte de piqûre de rappel. Elle indique que je suis toujours en vie. Que je ressens toujours des choses. Bonnes ou mauvaises. Je suis là, en vie.