Citations de Abdelfattah Kilito (17)
Qui est celui qui peut être à l'abri de l'erreur lorsqu'il discute longuement les erreurs de ses prédécesseurs?
(trad. personnelle)
Le vieil Abdelmalek était sceptique sur les saints dont les prouesses ne provoquaient chez lui,lorsqu'on lui faisait part,qu'un froncement de sourcils ou une moue dédaigneuse.Quand aux médecins ,tous des"nazaréens",il refusait obstinément de traiter avec eux.Il affirmait que s'il n'y avait pas de médecins ,il y aurait moins de malades:on ne compterait plus que sur soi-même et on éviterait les excès,source de tous les maux.Sur ce point il était,sans le savoir,platonicien;il s'arrangea du reste pour ne jamais tomber malade.p44
Que l'amour se mue en son contraire, qu'il devienne aversion, dégoût, voilà ce qu'il n'était pas prêt à comprendre, et encore moins à admettre.
Quand je demandais à mon grand-père de me dire comment est Dieu,de me décrire Son visage,il souriait et estimant que je risquais de me perdre dans le labyrinthe des explications théologiques,se contentait de me répondre par une citation du Coran:"Rien ne lui ressemble;il entend et voit tout".P.39
Un écrivain qui venait de recevoir un exemplaire de son nouveau livre, un exemplaire tout frais, tout neuf, le montra fièrement à sa petite fille. « Regarde, c’est moi qui l’ai écrit », lui dit-il. Pour l’impressionner davantage, il lui indiqua son nom sur la couverture, au-dessus du titre. Fronçant les sourcils, elle s’écria, indignée : « Tu as copié tout ça ?» Il s’attendait à être admiré, il dut en rabattre.
Sa fille niait sa qualité d’auteur en assimilant son travail à une vulgaire copie, à une punition analogue à celle qu’on impose aux élèves turbulents.
Pire encore, il aurait subi une sanction bien plus grave : copier tout un livre, au lieu d’une ou deux pages. Mais ce qui paraissait le plus scandaleux à la petite élève, c’était de constater qu’il s’était prêté à ce jeu inepte de lui-même, par un acte volontaire et délibéré.
Nous ne savions rien de la littérature marocaine, ancienne ou moderne, rien de ce monde parallèle, réfléchissant, duplicateur, qu’est d’ordinaire une littérature. Nous vivions sur l’idée que notre langue natale était abâtardie, dégénérée, indigne de la littérature, de l’écriture.
Aussi tout locuteur s’exprime-t-il dans les langues étrangères à partir de la sienne, reconnaissable par un accent, un vocable ou une construction insolites, mais également par le regard et les traits du visage (oui, la langue a un visage). Quels que soient les mots étrangers que je profère, mon arabe demeure audible, marque indélébile.
La seule façon pour moi de lire était de recopier...
Il est vrai que j'attendais le moment où je passerais naturellement à la rédaction de mes propres livres.
Je situais cependant dans un avenir lointain la réalisation de ce projet. J'avais l'impression que je ne méritais pas d'écrire, et l'idée de prétendre à l'originalité m'effrayait, comme si j'allais commettre une action condamnable tout ce qui se présentait à moi, c'étaient des phrases de livres que j'avais recopiés. J'étais habité par des paroles d'autrui. Incrustées dans ma mémoire, elles constituaient une richesse encombrante dont je n'arrivais pas à me débarrasser.
Comment peut-on (...) deviner le contenu d’un livre qu’on n’a pas lu et dont on ignore le titre et l’auteur?
N’est digne d’interpréter une œuvre, les Nuits en l’occurrence, que celui qui peut l’écrire.
Je mis du temps à comprendre que les Espagnols ne lisaient que des livres en espagnol, ce qui était plutôt déconcertant pour moi qui venais d'un pays où les librairies franaises étaient aussi nombreuses que les librairies arabes
Lamatière langagière est à la portée de tout lemonde,mais seuls quelques-uns ont le privilège de convertir le métal en monnaie et de frapper les pièces qui servent aux échanges culturels.
Dans l’Ancien Testament, au début du Livre de Daniel, le roi Nabuchodonosor met à l’épreuve les devins en leur ordonnant, non pas d’interpréter le rêve qu’il a fait, mais d’en deviner le contenu.
Chez tout lecteur sommeille un Shahriar.
J’abordai la lecture, la littérature, sous le signe de la maladie et de la culpabilité. Ce fut le premier livre que je tentai de lire, le premier livre arabe, le premier livre tout court. Je lisais dans mon lit, à la lumière du jour... C’était contraire à l’intention de Schéhérazade qui, elle, racontait la nuit et se taisait à l’aube. En interrompant le soir la lecture, je contrevenais à sa prescription implicite et inversais l’ordre des choses.
Pourquoi le roi n’a-t-il pas chargé Shéhérazade de la tâche d’enregistrer les contes, elle qui est décrite dès le départ comme lettrée et possédant mille livres. (...) On mentionne la bibliothèque de littérateurs, d’hommes d’État, califes, vizir, mais a-t-on jamais décrit les livres d’une femme ? C’est là un fait digne d’attention et qui rend d’autant plus remarquable, car unique, la bibliothèque de Shéhérazade. Ses mille livres, brièvement évoqués au début des Nuits, méritent que l’on s’y intéresse de près. Pourquoi n’en est-il plus question par la suite ? Pourquoi les a-t-on oubliés, Naha étant le seul à ne pas les passer sous silence.
J’ai analysé ces textes en m’efforçant de préserver leur fraîcheur, leur candeur (parfois perverse) et la vague nostalgie qui les travaille. Car se profile toujours, à leur horizon, la splendeur des jardins du paradis.